Le « projet de loi pour contrôler l’immigration et améliorer l’intégration » sera ré-examiné par le Parlement à l’automne. La droite républicaine, qui sait que le gouvernement a besoin de ses voix pour l’adoption, met la pression à l’exécutif pour durcir un texte déjà très critiqué dans sa version première.


 

Le projet de loi « pour contrôler l’immigration et améliorer l’intégration », porté par Gérald Darmanin et Olivier Dussopt, ministres de l’Intérieur et du Travail, a été présenté le 1er février 2023 en Conseil des ministres. Très critiqué, le texte contient une réforme du droit d’asile, des mesures pour faciliter l’expulsion des étrangers « délinquants » et un volet intégration qui concerne la régularisation pour un an des travailleurs sans-papiers présents sur le territoire depuis plus de 3 ans.

Sans surprise, les leaders du parti d’Éric Ciotti, Les Républicains, jugent le texte trop laxiste et s’opposent au volet intégration avec un positionnement radical qui s’apparente à celui de la droite identitaire.
L’examen mi-mars en commission des lois du Sénat permet de largement muscler le texte. Entre autres mesures, le texte instaure des quotas migratoires, durcit les critères de regroupement familial et remplace l’aide médicale d’État (AME) par une aide médicale « d’urgence » réduite.

Mais alors que la colère sociale gronde, le texte est jugé trop controversé pour être débattu et son examen par le Parlement est renvoyé à l’automne.

Le 22 mars 2023, Emmanuel Macron annonce vouloir découper le texte en plusieurs morceaux, dans le but de faire voter la partie contre l’immigration illégale par la droite et la partie intégration et régularisation dans les secteurs en tension (agriculture, restauration, bâtiment…) par la gauche, puis il se ravise.

Le 17 avril 2023 lors de son allocution télévisée, le Président dévoile son programme des « 100 jours » pour relancer son quinquennat. L’immigration en fait partie. Alors que l’Europe cherche une position commune sur le sujet, Emmanuel Macron annonce vouloir prioritairement « renforcer le contrôle de l’immigration illégale », tout en offrant la possibilité d’être régularisés aux travailleurs sans-papiers des métiers où la main-d’œuvre est difficile à trouver.

Gérald Darmanin et Olivier Dussopt veulent une reprise des débats avant l’été, mais la Première ministre estime que le projet de loi n’aura pas la majorité. Sans les voix de la droite, le projet ne peut passer. Elisabeth Borne confirme, le 26 avril, le report devant le Parlement à l’automne. Le 9 mai, elle demande à Gérald Darmanin de reprendre les concertations dans le but de proposer en juillet un nouvelle mouture du projet au Conseil des ministres.

 

Surenchère tendance extrême droite

Les Républicains décident alors de mettre la pression au gouvernement. Dans les colonnes du JDD, le 21 mai, les leaders du parti, Éric Ciotti, Olivier Marleix et Bruno Retailleau annoncent la couleur avec deux propositions de lois (PPL) « pour en finir avec l’immigration de masse ».

La première loi est ordinaire. Nommée « reprendre le contrôle de la politique, d’immigration, d’intégration et d’asile », elle s’inspire des travaux du Sénat avec quelques ajouts voulus par Éric Ciotti1 :
– une loi votée par le Parlement qui fixerait chaque année, par motif, le quota d’étrangers admis en France ;
– l’obligation d’une « caution retour » et des droits universitaires majorés pour les étudiants étrangers ;
– le durcissement des conditions d’octroi de la nationalité au titre du droit du sol ;
exclure de la régularisation les travailleurs sans-papiers des métiers en manque de main-d’œuvre ;
– l’élargissement du champ de la double-peine et rétablissement du délit de séjour clandestin abrogé il y a plus de dix ans ;
– les demandes d’asile devront être déposées de l’étranger, ou placement en rétention de tous les demandeurs d’asile (CRA) — cette disposition deviendrait alors une mesure de droit commun. En cas d’arrivée légale en France, un délai de 15 jours serait accordé pour déposer la demande qui ferait « l’objet d’une instruction administrative accélérée ». En cas de refus, « l’éloignement effectif du territoire » serait signifié…

La deuxième proposition de loi, qui ne fait pas consensus à droite, est constitutionnelle. L’ambition n’est pas des moindres, il s’agit de modifier plusieurs articles de la Constitution « afin de restaurer notre souveraineté en matière migratoire ». Par exemple, pouvoir déroger à la primauté des traités européens ou soumettre la politique migratoire au référendum « quand les intérêts fondamentaux de la Nation sont en jeu ».

Christelle D’Intorni, députée LR, décide de renforcer le mur législatif anti-immigration avec une troisième proposition de loi « visant à lutter contre les dérives du droit d’asile »2. L’idée est de refuser d’office toute demande d’asile réalisée en France avec suppression de l’aide médicale et « obligation de quitter le territoire » (OQTF), après un recours éventuel devant la Cour nationale du droit d’asile (CNDA).

Et, si l’exécutif avait la velléité de faire passer « un texte laxiste » par 49.3., LR menace de présenter une motion de censure qui pourrait faire tomber le gouvernement en cas de coalition des oppositions.

La proposition de loi ordinaire LR (PPL) est déposée au Sénat puis à l’Assemblée le 1er juin.

 

 

 

 

Concertations et compromis

Elisabeth Borne questionnée par un journaliste de Radio J sur les propositions de la droite est plutôt évasive sur le sujet. Les réponses à l’immigration doivent se bâtir dans le cadre européen, « on ne se met pas en marge des règles européennes, on agit pour faire bouger des règles… ». Puis elle met rapidement un terme au sujet : « les discussions vont être menées par Gérald Darmanin, je ne vais pas me prononcer plus à ce stade. »

Le ministre de l’Intérieur, qui n’est pas opposé à plusieurs propositions de la droite concernant le droit d’asile (examens des motifs d’admission à la première demande d’asile, pas d’autres demandes possibles sauf en cas de circonstances nouvelles, ouverture des prestations sociales à partir de 5 années de résidence en France…), explique également qu’« il souhaite conditionner la délivrance du titre de séjour à la maîtrise d’un niveau minimum de la langue française ». Quant aux conditions d’octroi de la nationalité, le gouvernement ne se montre pas vraiment frileux sur le sujet. Pour rappel, des limitations ont été mises en place à Mayotte dès 2018 « pour en limiter l’attractivité » faisant de cette île un territoire d’exception3.

Le 15 juin, dans un entretien au Figaro, Elisabeth Borne se dit prête à un compromis avec la droite sur les titres de séjour. Concernant la régularisation dans les métiers sous tension, elle propose notamment de porter de 3 ans à « 5, 6 ou 7 ans » la condition de résidence avec obligation d’avoir un CDI et un revenu à 1,5 du SMIC.
Quant à l’aide médicale d’État, la Première ministre ne juge « pas anormal » que « l’on se questionne régulièrement » sur le panier de soins4.

 

La politique « du moins pire »…

Le 23 juin, le ministre de l’Intérieur annonce dans une interview au Figaro avoir échangé avec Gérard Larcher, président du Sénat ; in fine, le gouvernement ne présentera pas de nouvelle mouture du texte. Gérald Darmanin s’appuiera sur le projet de loi « tel qu’il a été discuté et amendé par la commission des lois du Sénat ».

L’examen du projet de loi reprendra au Sénat à l’automne pour aller ensuite à l’Assemblée nationale.

La forme première du texte gouvernemental soulève déjà d’importantes critiques. La Défenseure des droits, dans son avis du 23 février, alerte sur la nature du projet de loi qui porte gravement atteinte aux droits fondamentaux des étrangers, déjà tristement bafoués. Jean-Claude Samouillet, président d’Amnesty International France, qui s’est exprimé dans une tribune du journal Le Monde affirme : ce projet de loi « ne peut représenter une alternative acceptable aux propositions des Républicains […] Depuis plus de 20 ans, des lois de plus en plus restrictives sont adoptées en France, sans que soit questionnées leur utilité ou même leur faisabilité, ni qu’en soit analysé leur réel impact ».

Partis de gauche, ONG, associations des droits de l’Homme et collectifs de soutien aux sans-papiers dénoncent des mesures qui ne feront « que fragiliser et restreindre les droits des personnes exilées ». Ces organisations appellent à mettre en place « une politique migratoire fondée sur l’accueil, le respect des droits fondamentaux et la dignité humaine », mais aussi à mettre fin au règlement Dublin III et à renégocier le Pacte européen5.
Alors que les drames se succèdent en mer Méditerranée centrale, celles-ci rappellent l’obligation de se plier aux règles du droit international, de porter secours et le principe de non-refoulement vers des pays où les personnes encourent un risque réel d’être soumises à la torture ou à des traitements inhumains ou dégradants.

 

… et l’art de la dialectique

Le 24 juillet, Emmanuel Macron revient sur le sujet à l’occasion du bilan des « 100 jours » lors de son allocution télévisée : « Premièrement, il n’y a pas que les textes de loi, il y a aussi le travail européen. On doit mieux protéger les frontières communes de l’Europe. Et nous, on doit réformer notre droit. » Le Président réaffirme ensuite sa volonté première (réduire les entrées, lutter contre les trafiquants et les réseaux d’immigration illégale, intégrer dans les secteurs en besoin) et compte sur « les oppositions républicaines qui veulent que le pays soit mieux protégé dans ses frontières, ait moins d’immigration clandestine, raccompagne mieux ceux qui n’ont rien à faire chez nous troublent l’ordre public ou sont dangereux, et intègre mieux ceux qui sont là et aident la nation à réussir, qu’en bonne foi ils nous aident à bâtir un texte. »

Gérald Darmanin reprendra les concertations avec la droite à la rentrée.

Dans les nombreux débats, le drame d’Annecy, mais aussi les « émeutes », sont brandis par les politiques comme arguments majeurs pour justifier les mesures drastiques du projet de loi. Fabriquer, distiller la peur (à Annecy, l’agresseur était chrétien et en situation régulière), le venin de la haine, ici de « l’étranger » désigné comme responsable de tous les maux, est la bien connue méthode de persuasion de l’extrême droite. La banalisation de cette rhétorique de l’absurde et de la déraison est loin d’être anodine.

Que contiendra la version finale du projet de loi « pour contrôler l’immigration et améliorer l’intégration » ?

Une chose est sûre, la France, terre d’accueil et des droits de l’Homme, prend mauvaise tournure.

Sasha Verlei

 

Lire aussi : Immigration, partout des restrictions incessantes,

 

Notes:

  1. précise publicsénat.fr.
  2. Projet de loi déposé le 10/5/23 à l’Assemblée nationale et renvoyée à la Commission des lois constitutionnelles.
  3. Le Conseil constitutionnel qui avait été saisi pour « rupture d’égalité » a validé la mesure sans réserves « au regard de la pression migratoire ». Cette mesure pourrait bien se durcir, Gérald Darmanin ayant déclaré au JDD vouloir inscrire dans la loi l’obligation pour l’un des deux parents d’être régulièrement sur le territoire de Mayotte depuis plus d’un an (contre 3 mois actuellement). Mayotte où, depuis le 24 avril 2023, le gouvernement mène l’opération sécuritaire Wuambushu, initiée par le ministre de l’Intérieur pour accéder à une demande des élus locaux et d’une grande partie des Mahorais « afin de lutter contre la délinquance, l’immigration clandestine et l’habitat insalubre ». L’opération, dénoncée par les associations comme une violation du droit des réfugiés et une méthode « anti-pauvres » brutale, vise à déloger et à expulser massivement des sans-papiers, le plus souvent vers les Comores, et à détruire les bidonvilles habités par des familles.
  4. Par ailleurs, Elisabeth Borne déclare au Figaro ne pas être « sûre » que la répartition des mineurs isolés de Mayotte sur le territoire métropolitain soit « la réponse » aux difficultés de l’île, comme l’avait suggéré Laurent Marcangeli, président du groupe Horizons.
  5. Le jour du drame d’Annecy, le 8 juin 2023, les ministres européens parvenaient à un accord majeur sur le pacte « Asile et migrations »; accord qui modifiera la situation des demandeurs d’asile aux frontières et fixera les modalités de leur « répartition » en Europe, si le Parlement européen valide. En cas de rejet de la demande d’asile, le renvoi vers le pays d’origine ou vers un autre pays (si le demandeur y a transité de façon avérée) se fera plus rapidement.
Sasha Verlei journaliste
Journaliste, Sasha Verlei a de ce métier une vision à la Camus, « un engagement marqué par une passion pour la liberté et la justice ». D’une famille majoritairement composée de femmes libres, engagées et tolérantes, d’un grand-père de gauche, résistant, appelé dès 1944 à contribuer au gouvernement transitoire, également influencée par le parcours atypique de son père, elle a été imprégnée de ces valeurs depuis sa plus tendre enfance. Sa plume se lève, témoin et exutoire d’un vécu, certes, mais surtout, elle est l’outil de son combat pour dénoncer les injustices au sein de notre société sans jamais perdre de vue que le respect de la vie et de l’humain sont l’essentiel.