Entretien avec Nicolas Liénart, Chef du service Hydrogéologie du Département de l’Hérault.
L’Hérault est le seul Département de France à avoir créé un service d’hydrogéologie ; qu’est-ce qui a présidé à cette décision ?
Le service départemental d’hydrogéologie répond principalement à la réalité des choses, pourrait-on dire. Aujourd’hui, 95 % de l’eau potable de l’Hérault qui alimente les Héraultais provient de l’eau souterraine. La particularité de notre territoire c’est que cette eau provient de multiples ressources. Cela pourrait venir de la même nappe, comme dans les Landes ou dans le bassin parisien où à une certaine profondeur on tombe sur des nappes importantes continues et homogènes ; ici nous avons beaucoup de formations géologiques qui contiennent de l’eau, c’est ce qu’on appelle les aquifères. C’est une spécificité puisque chaque nappe ne se trouve pas à la même profondeur et ne dispose pas des mêmes caractéristiques ; on ne trouve pas la même qualité d’eau d’une nappe à l’autre. Donc à chaque forage il faut se questionner. La création du service d’hydrogéologie répond aux besoins liés à cette diversité géologique naturelle de l’Hérault.
Que nous apprend l’étude des eaux souterraines de notre département ?
En premier lieu, le fait que nous disposons de plusieurs types de réservoirs dont chacun a ses caractéristiques, ce qui nous évite de dépendre d’une seule source. Si je peux me permettre cette comparaison, je dirais que nous ne sommes pas approvisionnés par un seul fournisseur. Nous disposons de réservoirs souterrains qui sont au fond et permettent d’emmagasiner de l’eau, ce qui peut être intéressant en période de sécheresse. À l’inverse, d’autres réservoirs géologiques sont peu profonds. Ceux-là ont besoin de recevoir régulièrement de la pluie pour pouvoir se réalimenter et se recharger. On sait que l’usage que l’on en fait est limité dans le temps, alors qu’avec les réservoirs profonds on peut sans doute disposer de plusieurs mois d’autonomie.
C’est-à-dire que nous pouvons mesurer l’état des ressources par rapport à la situation en surface ?
Les réserves souterraines n’ont pas toujours de lien avec la surface. On peut se trouver en situation de sécheresse hydrologique avec des cours d’eau très secs, des sols très secs, très appauvris, mais disposer de réserves en profondeur si la recharge s’est faite. Cela offre la possibilité d’avoir une réserve hydrogéologique conséquente, alors qu’en surface on est en période de stress hydrique.
Quelle est la situation actuelle du département et de ses réserves souterraines ?
La situation est préoccupante. Depuis l’année dernière, voire même l’année d’avant, et avec un automne et un hiver où il n’y a pas eu de pluie, les réserves géologiques ne se sont pas vraiment rechargées. Donc là on est à la fois sur une sécheresse hydrologique, une sécheresse dans les sols et une sécheresse dans les souterrains. Cela signifie qu’on peut difficilement compter sur les eaux souterraines pour venir en réserve d’appui. En temps normal on a des sources qui continuent d’alimenter les rivières et les fleuves et qui viennent soutenir le débit d’étiage1 pendant la période de sécheresse.
À quoi doit-on s’attendre ?
Votre question renvoie aux indicateurs dont nous disposons pour y répondre. Après un forage nous plaçons des instruments de mesure à l’intérieur de la nappe d’eau. Du fait de la diversité importante d’aquifères, on est obligés d’avoir des indicateurs sur chacun de ces réservoirs. On peut avoir une ressource souterraine qui va se recharger correctement au nord de Montpellier et d’autres qui resteront déficitaires dans la vallée de l’Hérault ou sur le Larzac méridional. Sur le département, nous disposons aujourd’hui de soixante-dix points de mesure pour les eaux souterraines. Ce réseau a été créé en 2003 et il continue de se compléter pour décrire le niveau d’eau. Dans certains secteurs on a plus de vingt ans d’historique de données. Aujourd’hui la situation est hétérogène mais préoccupante sur certains secteurs. Dans la vallée de l’Hérault par exemple, au 10 mai nous avons atteint le même niveau qu’un mois d’août le plus bas jamais enregistré depuis vingt ans. Au 15 août, je sais que ce sera forcément un nouveau niveau historique ; on se trouve dans des situations qui n’ont jamais été connues.
Quels territoires sont les plus exposés ?
Les zones exposées sont en cohérence avec l’arrêté sécheresse. Cela concerne toute la partie de l’Orb qui est quasiment limitrophe de l’Aude, à l’exception du Minervois, et toute la vallée de l’Hérault jusqu’aux portes de Montpellier. Toute cette zone est placée en alerte sécheresse et les restrictions vont vraisemblablement se renforcer dans les semaines à venir. Cet arrêté est tout à fait cohérent avec l’état des ressources. Les deux tiers du département sont vraiment concernés. La partie biterroise jusqu’au barrage d’Avène connaît des niveaux très bas. Cette zone a eu encore moins de pluie que dans le centre Hérault, le cœur Hérault et le nord de Montpellier.
Si on se projette un peu sur les moyen et long termes, disposons-nous d’une approche quantitative de l’impact du changement climatique sur l’hydrogéologie du territoire ?
Très honnêtement, c’est difficile de se prononcer aujourd’hui. Je dirais que ça fait trois ou quatre ans que nous constatons un dérèglement. Nous sortons d’un fonctionnement météorologique et climatologique classique si on peut dire, et ce dysfonctionnement crée aussi un dérèglement sur les eaux souterraines. Certains réservoirs supportent bien le fait d’avoir moins de pluie pendant une année ou deux, parce que nous avons quand même des épisodes de pluie qui reviennent. L’année dernière nous étions très inquiets sur une zone du département et une seule pluie a sauvé un ensemble de communes jusqu’à septembre. La pluie du 14 mars a quasiment permis de tenir plus de six mois. Cette année, la situation est incertaine. La question est : allons-nous être capables de caractériser ce qui se passe sur chaque réservoir ?
Vous travaillez en coordination avec les autres acteurs, que ce soient les services de l’État, les communes ou les EPCI ; comment cela s’articule-t-il ?
Il y a deux niveaux d’action concertée. Celle qui concerne la planification au niveau du SAGE (Schéma d’aménagement de gestion de l’eau) et la répartition des ressources où le Département agit en conseil, et un autre niveau d’action face aux situations d’urgence, comme c’est le cas aujourd’hui. Ce type de situation mobilise tout un relais d’acteurs de terrain présents dans les comités ressource en eau qui comprennent également tous les services de l’État, que ce soient les polices de l’eau ou la gestion sanitaire pour la qualité des eaux distribuées. Il y a également les structures en charge de l’irrigation agricole.
Le transfert de compétences eau et assainissement vers les communautés de communes favorise-t-il la solidarité entre les territoires ?
Historiquement il y avait beaucoup de communes qui étaient en régie avant la loi, la loi NOTRe de 20152 qui a un peu poussé au transfert de compétences de l’eau et de l’assainissement. Au départ ces compétences relevaient de l’échelle communale. Beaucoup de communes géraient leur forage ou leur source. Le transfert de compétences vers les communautés de communes — il en existe cinq grosses dans l’Hérault qui ont pris la compétence en charge — permet de rebattre les cartes. Je pourrais citer plusieurs exemples de collectivités qui étaient un peu seules face à leurs problèmes et où la solidarité s’est mise en œuvre à l’échelle intercommunale.
Comment le Département, notamment votre service, accompagne-t-il les communes ?
Nous avons déployé un service qui pose du matériel de mesure dans les petites communes. Certains maires nous appellent quand il n’y a plus d’eau dans leur commune, mais quand il n’y a plus d’eau ça veut dire qu’on est en rupture. Parfois je leur demande s’ils prendraient leur voiture pour partir en voyage sans jauge de niveau d’essence ; moi je préfère avoir un appareil qui mesure. C’est important de pouvoir anticiper en disant aux élus “dans deux mois vous serez en difficulté”. Ça nous laisse le temps de trouver des solutions alternatives. Une fois que l’on a déterminé qu’il va y avoir un risque de pénurie, on essaie de trouver des solutions alternatives, techniquement et financièrement.
Pouvez-vous aussi aider les communes à chercher de l’eau ?
Cette année on est sur huit ou dix demandes de recherche, juste pour le premier semestre. Chercher de l’eau est une de nos missions de base, mais plus globalement, notre accompagnement se traduit par ce qu’on appelle une assistance au maître d’ouvrage. Les maîtres d’ouvrage ce sont les communes ou les syndicats qui souvent ne disposent pas de service spécialisé. Donc ils nous demandent de faire l’intermédiaire avec les entreprises spécialisées. C’est-à-dire qu’il nous revient d’établir le programme de travaux et son pilotage. Ces prestations s’opèrent dans le cadre de l’Agence technique départementale Hérault Ingénierie. Nous aidons également les élus à la prise de décision, ainsi que sur le volet financier, parce que chaque décision a un impact financier.
Quelle stratégie dans le temps face à l’évolution de la situation ?
Dans le cadre de sa démarche volontariste pour la préservation de l’eau, le Département va lancer un schéma directeur du petit cycle de l’eau qui concerne les ressources de la partie eau potable et de la partie assainissement. Ce schéma va permettre de déployer une stratégie à l’échelle du territoire : quelles sont les zones où nous disposons de ressources ? Celles où il faut faire des études pour mieux les connaître ? Quelle solidarité on peut mettre en œuvre sur les grands territoires ? Nous allons poursuivre le travail pour mieux identifier les enjeux et envisager des solutions concrètes.
Nicolas Liénart sur le terrain (à droite sur la photo.)
Cet entretien est un complément du cahier Le département de l’Hérault H2O à retrouver dans #altermidi Mag#8 disponible jusqu’au 15 septembre 2023 en kiosque 5€.