samedi 20 avril 2024
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UE Allemagne :
Guerre en Ukraine. À la rencontre des sceptiques allemands


Ils se disent méfiants, inquiets, hésitants. Sans pour autant soutenir l’invasion russe, de nombreux Allemands expriment des doutes face à la politique occidentale de soutien aux Ukrainiens. Die Zeit 1 relaie leurs témoignages.


 

À peine nous a-t-il répondu au téléphone que Klaus Wagner nous demande sans hésiter s’il peut dès à présent nous parler de la « principale raison de [sa] colère » ? Celle qui explique pourquoi il vient de résilier son abonnement à Die Zeit — on ne peut que vouloir en savoir plus, non ? Pour l’heure, nous ne connaissons Klaus Wagner que par une courte lettre. Il a envoyé un courriel à la rédaction, une plainte :

« Les adversaires des livraisons d’armes [en Ukraine] auront-ils la parole dans le prochain numéro ? Plus de la moitié des Allemands s’opposent à ces livraisons. »

Âgé de 73 ans, il vit à Francfort. Il a derrière lui une carrière de « commandant de bord » chez Lufthansa, donc de pilote. Il a régulièrement séjourné aux États-Unis et y a également suivi sa formation. Un homme qui a traversé l’Atlantique plus souvent que beaucoup de ceux qui se disent transatlantiques. L’Amérique : un bon pays, estime-t-il.

Mais Klaus Wagner ajoute : « J’ai une attitude critique vis-à-vis de la politique de grande puissance des Américains. Je condamne la guerre que la Russie a déclenchée en Ukraine. Mais je suis convaincu qu’elle aurait pu être évitée. » Que l’Occident aurait sa part de responsabilité.

L’Otan aurait marché sur les platebandes des Russes, en accueillant des pays d’Europe de l’Est et en déployant des armes lourdes plus près des frontières de la Russie. Ce qui aurait fini par inquiéter les Russes.

« Cette guerre est terrible, c’est clair, déclare Wagner. Mais je crains que les Ukrainiens ne soient pas en mesure de l’emporter. Ou alors, elle va se transformer en Troisième Guerre mondiale. Et c’est ce que je veux éviter à tout prix. C’est pourquoi je suis pour les négociations. Maintenant. »

 

Les Allemands, divisés

 

Nous voici arrivés à la “principale raison de [sa] colère” : Klaus Wagner considère que c’est un angle que la “Zeit” n’aborde pas assez : « je pense que les convictions et l’avis d’une grande partie de la population ne sont plus représentés dans la presse. Vous me décevez, je vous le dis franchement. »

Dans les sondages, un nombre non négligeable de citoyens disent voir d’un œil critique les livraisons d’armes à l’Ukraine, en particulier celles de chars lourds. Selon le baromètre politique de la ZDF [publié en février], 32 % des personnes interrogées estiment que les livraisons d’armes devraient être renforcées, mais 23 % sont favorables à un soutien moins important. « Dont moi », assure Wagner.

En outre, 40 % pensent que le gouvernement allemand s’est engagé sur la bonne voie, mais reste à savoir s’ils assimilent à cette voie les hésitations du chancelier social-démocrate Olaf Scholz ou l’attitude plus offensive de la ministre des Affaires étrangères écologiste Annalena Baerbock. Et les Allemands de l’Est font montre d’un scepticisme beaucoup plus marqué que les Allemands de l’Ouest.

Dans cette atmosphère qui oscille entre pessimisme, peur et lassitude, la contestation se développe, un an après le début de la guerre. Le philosophe Jürgen Habermas a publié une tribune dans la Süddeutsche Zeitung2 où il appelle à des pourparlers de paix.

La journaliste Alice Schwarzer et la personnalité de gauche Sahra Wagenknecht ont, quant à elles, publié un « manifeste pour la paix » et appelé à une manifestation à Berlin [qui a rassemblé, le 24 février, environ 13 000 personnes selon la police, 50 000 selon les organisateurs, ndlr].

Une initiative qui leur a valu des critiques, en particulier parce qu’elles n’ont rien fait pour empêcher l’extrême droite de se joindre à l’événement. Mais les signataires à être issus de ce spectre politique sont sans doute rares. [Le 4 avril, plus de 770 000 personnes avaient signé leur pétition contre la livraison d’armes, ndlr] « dont moi », réitère Wagner.

 

Deux poids, deux mesures

 

Il est impossible de prédire le déroulement d’une guerre. Personne, aucun spécialiste, ne peut dire jusqu’où Poutine laissera la guerre s’aggraver. Par conséquent, la réponse à la question de savoir ce qu’il faut faire dépend souvent de l’orientation de chacun.

Petra Würdig, âgée de 66 ans, jette sur la situation un regard que l’on peut qualifier d’est-allemand. C’est sur Facebook que nous l’avons rencontrée : sur la page du ministre-président conservateur de Saxe, Michael Kretschmer. Lequel a déclaré dans un entretien accordé à la Berliner Zeitung3 : « Les Allemands de l’Est savent de quoi la Russie est capable pour ne pas perdre une guerre. » Petra Würdig l’a félicité :

“Respect, vous dites tout haut ce que beaucoup pensent tout bas. Il faudrait discuter au lieu de continuer à alimenter la guerre avec des armes.”

La sexagénaire vit à Bad Düben, en Saxe, et travaille comme représentante commerciale. Elle explique qu’elle vient de quitter son parti, Les Verts. Parce qu’ils ont adopté un « cap favorable à la guerre ». Lors de la campagne des législatives de 2021, elle distribuait encore des prospectus pour la formation politique, sur lesquels on pouvait lire : “Pas de livraison d’armes dans les régions en guerre et en crise”. Pour Petra Würdig, « ce qui était autrefois un parti pacifiste est devenu un parti qui préconise et attise la guerre ».

En tant qu’Allemande de l’Est, Petra Würdig dit considérer la Russie différemment. « Je condamne toute forme de guerre. Je condamne aussi ce que Poutine a fait là-bas. Mais présenter les Russes de façon aussi unilatérale comme les méchants n’a aucun sens à mes yeux. » Elle juge que le comportement de l’Amérique prouve qu’il existe deux poids, deux mesures, car la guerre en Irak, par exemple, a été déclenchée au prétexte que ce pays détenait des armes de destruction massive — « pourquoi n’a-t-on pas infligé des sanctions aux Américains à l’époque ? »

Mais, madame Würdig, maintenant que la Russie a commencé cette guerre, qu’elle commet de graves crimes de guerre et qu’elle mène un combat qui pourrait aboutir à la destruction de l’Ukraine, que faire, sinon aider ? Elle répond : « C’est comme à l’école. Il y a un groupe d’enfants, ils en repèrent un, veulent lui faire la peau. Alors on les sépare, on arbitre, on parle. On dit : ‘Les gars, ce n’est pas comme ça que ça marche.’ C’est maintenant à la communauté internationale d’intervenir. »

 

Des débats manichéens

 

La comparaison a quelque chose de sinistre, sachant que des enfants meurent effectivement en Ukraine. Elle pousse cependant à se poser une question : faut-il avoir une solution à proposer si l’on est contre les livraisons d’armes ? Ou, à l’inverse : peut-on s’opposer aux livraisons d’armes uniquement si l’on est capable de présenter un plan pour mettre fin à la guerre ? C’est la question que nous avons posée à Mathias Siekmeier.

Siekmeier, 61 ans, de Cologne, a lui aussi écrit à la Zeit, parce qu’il lui déplaisait de voir que l’opposition aux livraisons d’armes était présentée comme irrationnelle — alors que l’évaluation des risques dans leur ensemble devrait être « le premier commandement de toute politique responsable ». Siekmeier est docteur en histoire, et l’Ostpolitik du [parti libéral, ndlr] FDP était son sujet de prédilection. Il travaille aujourd’hui dans une maison d’édition spécialisée dans le droit, où il est également délégué du personnel.

« Je ne suis pas globalement contre les livraisons d’armes, confie-t-il. Mais je ne suis pas globalement pour non plus. Je ne pense tout simplement pas qu’elles nous permettront de mettre fin à cette guerre, au bout du compte ». Pourquoi ? « Parce que je pense que la Russie pourra toujours mobiliser plus de ressources, plus de matériel, plus de personnel. La Russie sera toujours en mesure d’atteindre une partie de ses objectifs. »

Ce qui le gêne dans ce débat, c’est que l’on peut argumenter en faveur des deux points de vue — pour ou contre les livraisons d’armes —, mais que tous deux présentent des points faibles. « Or on ne s’intéresse qu’aux angles morts des discours de ceux qui critiquent [les livraisons d’armes], dit Siekmeier. Je déplore le fait qu’en Allemagne il n’y ait pas de débat sérieux à propos d’un plan B ».

 

“Faire cesser l’effusion de sang”

 

Dans le cadre de cet article, nous avons, force est de le reconnaître, croisé quelques curieuses façons de penser. Comme cette enseignante de shiatsu de la Hesse, qui pense que cette guerre peut être réglée à l’aide de la “pédagogie de la paix”, de la justice sociale et d’une lettre à Poutine. Dans laquelle il suffirait de lui rappeler qu’il donne un mauvais exemple à ses propres enfants. De quoi le faire changer d’avis !

Nous avons aussi rencontré un professeur d’histoire qui soutient que l’on n’a pas seulement l’obligation d’aider l’Ukraine, qu’il faut également veiller à savoir ce qu’il advient des armes que l’on fournit. Et que l’Occident doit donc avoir son mot à dire sur les décisions se rapportant à la fin de la guerre, et ce maintenant !

« Notre politique, commente ce professeur, doit avoir pour mission de faire cesser l’effusion de sang. Mettre fin à une guerre à certaines conditions, par exemple au prix de l’abandon de certains territoires, ne signifie pas que cela soit ensuite immuable à tout jamais ». Beaucoup de ceux à qui les livraisons d’armes posent problème ne prétendent absolument pas avoir une solution simple pour sortir du conflit. Pour eux, cette guerre est une véritable source de tourments.

Quelques-uns ont même changé d’avis au cours de l’année écoulée. Carola Wendt-Kettenburg, une coach personnelle de 65 ans qui vit à Berlin et qui, oui, est également signataire de l’appel Schwarzer-Wagenknecht, dit qu’elle était convaincue qu’il fallait aider l’Ukraine. « Et je dois dire que nous avons eu raison de livrer des armes. Qui aurait pensé que les Ukrainiens pourraient se battre si bien pendant si longtemps ? Ça n’a été possible qu’avec le soutien du monde entier. Et c’est formidable, ce que les gens font en Ukraine. »

Maintenant, au bout d’un an, elle est désormais persuadée qu’ils ne pourront jamais vaincre la Russie. Peut-être parviendront-ils à chasser Poutine. Mais qui peut savoir s’il les laissera tranquilles ? Pour elle, Poutine est imprévisible, assoiffé de sang, enragé. « Malgré tout, je dis : ‘négocie avec ton ennemi. Demande-lui ce qu’il veut.’ Il y a des centaines de milliers de gens qui sont tombés au combat. Il y a des millions de réfugiés. Des morts. Des destructions. C’est trop d’horreurs ».

Notes:

  1. Die Zeit (« Le Temps ») est un hebdomadaire allemand d’information et d’analyse politique.
  2. De tendance libérale de gauche, le Süddeutsche Zeitung (« Journal sud-allemand ») est un des trois plus grands quotidiens allemands.
  3. Fondé à Berlin-Est, le Berliner Zeitung (« Journal Berlinois ») est aujourd’hui le principal quotidien régional berlinois, en concurrence avec le Berliner Morgenpost (« Poste du Matin de Berlin ») et le Tagesspiegel (« Daily Mirror »). Il se définit comme un journal « de l’Est et de l’Ouest » et se déclare « jeune, moderne et dynamique » avec des ambitions sur l’ensemble du territoire allemand. En 2003, le journal atteint un tirage de 207 800 exemplaires et un lectorat de 468 000 personnes.
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