La performance du plasticien chypriote Christodoulos Panayiotou, Dying on Stage, programmée à Montpellier par le Centre  chorégraphique national ICI en partenariat avec La Vignette, l’Université Paul-Valéry et le MO.CO. traite avec ironie de la mort sur scène.


 

On pourrait dire que Christodoulos Panayiotou s’intéresse à l’interstice séparant la représentation de la réalité. La pièce est présentée sous un format qui pourrait rappeler celui d’une conférence. Christodoulos Panayiotou, surplombant le public depuis la scène, fait défiler une compilation de vidéos YouTube tout en déroulant les récits sous-jacents aux images montrées ; l’artiste nous questionne, de vidéo en vidéo, d’histoire en histoire. Nous nous introduisons à l’intérieur de l’espace mental et virtuel de l’artiste — en contact direct avec les interrogations par lesquelles son travail est sous-tendu. Les questionnements théoriques sur lesquels se construisent un spectacle deviennent ici le spectacle en lui-même ; la mise en scène est minimaliste, le jeu transparent. L’artiste endosse son propre rôle ; son obsession pour la mort est fictionnalisée à travers la distance au public que produit le format du spectacle. Nous sommes à l’intérieur de ce qui accompagne la création : à l’intérieur des interrogations qui poussent Christodoulos Panayiotou à se produire devant nous.

La première partie de la pièce est en grande partie consacrée à la question de l’ironie tragique du destin des acteurs dont la mort représentée sur scène des milliers de fois précède à leur réelle disparition. Les acteurs, chanteurs et danseurs dont la vie entière est consacrée à la représentation font de leur propre mort une représentation — sans que cela ne dépende de leur volonté. Ils s’entraînent à mourir le mieux possible, de la manière la plus crédible possible ; l’ironie tragique de la mort réelle qui les rattrape ne peut que sauter aux yeux. On note l’exemple de Sarah Bernhardt, photographiée sur son lit de mort vingt ans avant sa mort. Cet “all-over” de morts à l’écran produit un effet comique : la mort se décrédibilise. Pourtant, elle rattrape. Trompe-t-on la mort en surjouant la mort ? Certains acteurs ont connu la mort sur scène — la vraie. Certains acteurs ont quitté la scène — ils sont resté vivants ; pourtant, ils sont morts à la scène aussi bien qu’à l’écran, ils ne jouent plus, ils meurent à la scène parce qu’ils échappent à la représentation. La mort sur scène telle que Christodoulos Panayiotou nous la fait voir est à l’intersection de la réalité et de la manière dont on la représente. Le temps passe et la distance s’affine — les frontières se brouillent ; on meurt sur scène et dans la réalité —, on représente la mort et on finit par en mourir.

 

Christodoulos Panayiotou

 

La deuxième partie de la pièce introduit une seconde interrogation centrale : les progrès réalisés par les technologies de captation de l’image ont bien souvent été utilisés en premier lieu afin de capter l’image de la mort. La captation de l’image est sciemment utilisée dans le but d’immortaliser la mort ; ainsi, la mort véritable peut être mise en scène, elle aussi. L’exemple de Topsy le démontre. Topsy, éléphant de cirque, puis de zoo, a été électrocuté lors d’une représentation filmée donnée à Coney Island en 1903. Cette exécution donnée à voir en spectacle et immortalisée en vidéo a entre autres permis de démontrer la dangerosité du courant électrique alternatif — permettant par la suite l’instauration de l’utilisation du courant électrique continu. Les nouvelles technologies ont souvent été utilisée en premier lieu pour donner la mort ; les nouvelles méthodes de captation de l’image ont souvent été utilisées pour la capter.

On ne peut s’empêcher de noter la part d’ironie que comporte en elle-même la mise en scène d’une pièce dont le sujet central est la mort sur scène. La pièce se termine, Christodoulos Panayiotou quitte la scène, les applaudissements du public retentissent et les lumières se rallument ; le spectateur se retrouve dans la réalité, coupé de l’espace de la représentation ; alors on se rappelle que l’artiste, depuis la scène, nous parle peut-être de l’ironie tragique de son propre destin : le spectacle dont il est le principal acteur consiste en une réflexion sur l’ironie tragique du destin de ceux qui représentent la mort sur scène, exercice qu’il vient très exactement d’accomplir avec un succès saisissant au cours des cinq heures qui ont précédé.

Oxanna Bertrand