Le contenu de la nouvelle réforme de l’assurance chômage se précise. La loi, adoptée le 17 novembre par le Parlement, prévoit de donner un blanc-seing de plus d’un an au gouvernement afin qu’il puisse se substituer aux partenaires sociaux pour fixer de nouvelles règles d’indemnisation.
Il s’agirait, selon les députés de l’opposition, en donnant toute latitude au gouvernement d’instituer de nouvelles règles par décret, d’empêcher un vrai débat à l’Assemblée nationale. Sans leur faire offense, ce sont d’abord les acteurs du paritarisme qui sont mis sur la touche par cette loi. Et on peut penser que c’est contre un autre contre-pouvoir que le gouvernement tente de se prémunir : celui du Conseil d’État qui, suite aux recours des confédérations syndicales, a fait de la précédente réforme un calvaire pour Mesdames Pénicaud et Borne qui ont dû gérer le dossier tour à tour de 2018 à 2021 au ministère du Travail.
On en connaissait le principe général, voilà désormais le détail des changements de règles que le gouvernement entend prendre par décret : moduler la durée d’indemnisation des allocataires en fonction de la conjoncture. Le ministre du Travail a annoncé aux syndicats qu’en deçà de 9 % de taux de chômage, la durée d’indemnisation serait abaissée de 25 %.
Modulation selon la conjoncture
Le principe de cette modulation a suscité légitimement beaucoup de critiques. On peut d’abord s’étonner du reniement de la parole donnée que constitue ce choix de diminuer la durée d’indemnisation. Alors ministre du Travail, Elisabeth Borne n’avait eu de cesse d’expliquer que les « allocations ne baissaient pas » car la durée d’indemnisation augmentait pour ceux dont le montant de l’allocation baissait1.
Manifestement, ce prétendu « marqueur de gauche » de la réforme précédente a fait long feu. Sur le principe, cette modulation soulève d’importantes interrogations en matière de justice sociale. La durée d’indemnisation de celles et ceux qui n’ont pas réussi à trouver un emploi est rabotée au prétexte que d’autres y sont parvenus… En quoi le fait que les chômeurs soient moins nombreux justifie-t-il de diminuer leurs droits ?
Autre critique intéressante, certains s’inquiètent à juste titre du caractère automatique de la modulation : le remplacement de la démocratie sociale, et plus largement de l’idée même de délibération démocratique, par un algorithme pose question. Faut-il se priver de délibérer des paramètres de l’indemnisation en fonction du contexte comme nous le faisons depuis l’origine du dispositif ?
Le débat mérite d’autant plus d’être abordé qu’historiquement, ce sont les moments de mauvaise conjoncture et non d’embellie économique qui ont justifié de baisser les dépenses d’indemnisation. À l’image de ce que permettaient les systèmes de retraite par points de type suédois dont les pensions évoluent automatiquement à la baisse quand l’espérance de vie augmente, il s’agit de gouverner de façon automatique sans qu’il soit besoin, comme chez nous, de débattre ou de risquer un conflit social à chaque fois qu’on touche à un paramètre du dispositif.
Calculs de coin de table
Enfin, dernier argument mis en avant par certains économistes de gauche, il y aurait derrière cette réforme une intention cachée : celle de mettre la pression sur les salariés — de « réduire leur pouvoir de négociation » — afin qu’ils révisent à la baisse leur prétention en matière de salaire, de conditions d’emploi ou de travail.
En réalité, malgré la qualité et la justesse de ces critiques, c’est encore en écoutant ses promoteurs que l’on mesure à quel point cette réforme est délétère, mais aussi à quel point le raisonnement qui la sous-tend révèle surtout un rapport totémique à l’emploi. Son principal défenseur est le rapporteur de la loi à l’Assemblée nationale, Marc Ferracci, un professeur d’économie orthodoxe, intime du président de la République, ancien conseiller spécial de Muriel Pénicaud qui s’est lancé en politique en devenant député des Français de Suisse et du Lichtenstein. Monsieur Ferracci ne craint pas d’ailleurs, malgré les déboires qu’elle a valus à son camp, de revendiquer d’avoir été « la cheville ouvrière » de la précédente réforme qui en 2019 prévoyait notamment de diviser par quatre — selon une logique que le Conseil d’État a jugée aléatoire — le salaire de référence de certains salariés à l’emploi discontinu.
Il faut donc bien écouter Marc Ferracci. Selon lui, baisser la durée de l’indemnisation n’a pas d’effet sur le pouvoir de négociation des salariés, mais les incite seulement à reprendre un emploi plus tôt : « De nombreuses études démontrent un lien entre le taux de retour à l’emploi et les règles d’indemnisation. Par exemple, si on augmente d’une semaine la durée durant laquelle vous touchez votre allocation, vous resterez au chômage entre 0,1 et 0,4 semaine » déclare-t-il ainsi dans Le Journal du Dimanche.
Il y aurait beaucoup à dire d’un point de vue scientifique sur un tel calcul de coin de table. Mais il suffit de s’y pencher attentivement pour en mesurer l’inanité d’un point de vue politique. La disproportion entre les sacrifices opérés et le résultat attendu est patente. Prenons l’exemple d’un salarié qui perd son emploi, rémunéré à hauteur de 2 000 euros brut, et qui se trouve en position de chômage durant 24 mois avant de retrouver un emploi à la rémunération équivalente. Avant la réforme, il aurait bénéficié de 24 mois d’indemnisation à hauteur de 1 140 euros brut mensuels environ. Que gagne-t-il avec la réforme ? Si l’on admet les projections de Marc Ferracci, il devrait en moyenne retrouver un emploi entre 18 et 72 jours plus tôt, ce qui représente entre 1 200 et 4 800 euros de salaire. Que perd-il avec la réforme ? Six mois d’indemnisation qui représentent 6 840 euros d’allocation. Au final, dans l’hypothèse la plus pessimiste retenue par le rapporteur de la loi lui-même, supprimer six mois d’indemnisation aura donc pour effet de réduire de 18 jours la durée de chômage de ce salarié, de le mettre en situation de chômage non indemnisé pendant 5 mois et 12 jours et de lui faire perdre ainsi 5 640 euros.
Faire perdre près de 6 000 euros à un salarié pour l’inciter à retrouver un emploi 18 jours plus tôt, voilà donc l’ambition avouée du gouvernement. « Nous venons d’adopter définitivement la loi réformant l’assurance chômage et le marché du travail à l’Assemblée. Le plein-emploi est accessible ! », s’est réjoui Marc Ferracci sur Twitter.
On mesure ainsi la disproportion du prix que le gouvernement, dans un rapport religieux à un plein-emploi devenu totem, est prêt à faire payer aux salariés pour faire baisser le taux de chômage de quelques dixièmes.
Mathieu Grégoire
Sources. Cet article a été publié le Le 22/11/2022 dans la rubrique Opinion d’Alternatives Économiques. Dessin paru Dans La Croix.
Voir aussi : Assurance chômage : Les futures règles d’indemnisation à la carte