Accueillie par la ville de Montpellier au Domaine de Grammont dans le cadre du mois de l’ESS, la rencontre qui s’est tenue mardi à l’initiative de la CRESS Occitanie a rassemblé les entrepreneurs de l’Économie sociale et solidaire et les collectivités autour d’un sujet très actuel : « l’ESS actrice des transitions pour le développement des territoires ». Une occasion pour les acteurs de l’ESS en Occitanie de croiser leurs regards et pour les collectivités territoriales d’affirmer leurs engagements.


 

Le choix de l’intitulé de la rencontre et les pistes de réflexion qu’il permet d’ouvrir donnent l’occasion à l’ESS de se faire entendre, après deux ans durant lesquels le manteau de la pandémie ne lui en n’a guère donné la possibilité. Non que les acteurs.trices aient été inactif.ve.s durant cette période, bien au contraire, mais parce qu’elle a pu relayer ce pan considérable de l’économie du pays dans le rôle utile, mais corseté, d’une économie de la réparation. Ce qu’elle n’est plus, si tant est qu’elle l’ait été un jour.

À la faveur des crises systémiques environnementale, démocratique, sociale et économique, l’ESS surgit comme une économie de la réconciliation correspondant aux attentes des citoyen.ne.s. C’est ce que révèle le sondage commandé par France Active à l’institut Harris Interactive.

Une majorité de Français.es déclarent faire confiance aux entreprises (61 %), bien que celle-ci demeure relative. Le niveau de confiance envers le système économique de la France en général s’avère en revanche minoritaire (48 %) et 21 % des Français.es indiquent même ne pas avoir du tout confiance. Si 82 % des Français.es partagent le sentiment que les entreprises participent au développement de l’économie et à l’attractivité du territoire, iels se montrent notamment partagé.e.s quant à l’action des entreprises pour limiter les effets néfastes qu’elles peuvent avoir sur le territoire où elles sont localisées, d’un point de vue environnemental : seule la moitié d’entre eux.elles déclarent que les entreprises sont mobilisées dans cette perspective (52 %).

Un des intérêts de l’enquête est qu’elle se rapporte à l’ensemble de l’activité économique tout en en faisant ressortir la correspondance entre les attentes exprimées par les citoyen.ne.s et les valeurs de l’ESS qui s’attachent à des aspirations profondément démocratiques, et donc politiques.

Les principales préoccupations des citoyen.ne.s concernent les problèmes énergétiques, les problèmes alimentaires et les problèmes de revenus et d’organisation, de mutualisation pour apporter des réponses collectives.

« On s’aperçoit que quand les réponses sont à finalité lucrative limitée ou non lucrative, quand les gens s’organisent à égalité, ou quand l’idée est d’apporter une mise en perspective dans la durée, les gens se saisissent de l’ESS », analyse Antoine Détourné, le Délégué Général d’ESS France présent à Montpellier. « C’est important d’avoir cela en tête parce que L’ESS c’est un assemblage de petites républiques, ce ne sont pas des gens qui attendent qu’on leur apportent des solutions. Ce sont des personnes qui s’organisent de manière égalitaire pour trouver des réponses entre-eux. C’est comme cela que s’animent les territoires et c’est comme cela que se construisent les relais pour les grandes transitions que nous avons à mener. »

 

Renouer avec l’action de longue portée

 

Il y a la volonté exprimée par les citoyennes et les citoyens que les entreprises agissent dans la durée sur un territoire, alors que le temps long s’oppose au mode de rémunération des actionnaires dans les grandes entreprises et à l’action politique calée sur l’agenda électoral. « Retrouver le magistère du temps long, cela suppose de faire preuve d’une forme de courage personnel et collectif, parce qu’il n’y a rien de plus ingrat que de se projeter dans 15 ans », affirme le maire de Montpellier Michaël Delafosse. « Nous vivons actuellement une crise des déserts médicaux liée au choix de restriction de la formation des médecins pour des raisons de rémunération des mêmes médecins. Il faudrait multiplier par quatre la formation des médecins mais aucun des présidents de la République ne prendra cette décision, parce que ce sera le président du quinquennat de 2032 qui en tirera les bénéfices politiques. Qu’allons-nous faire alors… si ce n’est piller les pays du Sud en faisant venir leurs médecins ici. Je me demande souvent ce que sera Montpellier dans quinze ans, son bilan carbone, sa qualité de l’air, le pouvoir d’achat des habitants… Aujourd’hui nous avons besoin d’entreprise qui pensent l’avenir. L’une des grandes forces de L’ESS est de maîtriser le temps parce quelle n’est pas en prise avec la pression de l’hyper-lucrativité immédiate. »

Pour ces raisons, l’ESS n’est plus considérée comme un supplément d’âme mais comme un levier pour structurer les territoires. Elle s’intègre dans les stratégies économiques. « On le mesure, témoigne Antoine Détourné, il y a de plus en plus de plans métropolitains de développement de l’ESS qui articulent différentes communes, différents échelons de développement économique qui se connectent avec l’économie mainstream ou traditionnelle pour organiser des coopérations au service des territoires. Il reste cependant du chemin à faire au niveau de l’État. Nous sommes confronté.e.s a une forme de plafond de verre. Aujourd’hui, rapportées à l’emploi généré, les Chambres de l’ESS, les CRESS, disposent de cinquante fois moins de moyens que les CCI. Ce n’est pas une marche à franchir, c’est un univers à construire et à traverser. Et pour autant, on sait que dans notre pays il y a une très grande vivacité, un esprit d’initiative qui demande à être transposé et dupliqué. »

 

L’ESS sous de bons auspices en Occitanie

 

La situation de l’ESS en Occitanie bénéficie de circonstances favorables liées à la culture du territoire. Le modèle coopératif a structuré l’agriculture, avec un rôle important joué par les caves, auquel s’ajoutent les ressources historiques de la mutualité et la vigueur du tissu associatif. Plus proche de nous, les réussites comme la Cité de l’ESS Réalis, pôle d’incubation soutenu par la Région, ou la Halle Tropisme dans le domaine culturel, font référence au niveau national.

Représentant la présidente de Région Carole Delga, Marie Thérèse Mercier a rappelé l’implication résolue du Conseil régional en faveur de l’ESS : « Lorsqu’on parle de l’ESS, on évoque régulièrement et à juste titre les secteurs sanitaire, médico-social, ou les activités ayant trait au recyclage, mais au-delà de ces dimensions sectorielles que l’on pourrait compléter, l’ESS a aussi pour mission d’inspirer tous les autres entrepreneurs. » La conseillère régionale a également évoqué la feuille de route, qui sera prochainement mise en place par la Région Occitanie, au cœur de laquelle l’ESS figure en bonne place. « Le monde financier va changer au niveau européen dès la fin de cet exercice. D’ici cinq ans l’ensemble des investisseurs, les banques les premières, devront privilégier et démontrer qu’ils financent des entreprises à impact positif avec du partage de la valeur, notamment sur les critères écologiques. Notre objectif est de devenir la première région à économie positive. Pour y parvenir nous mettons en place des dispositifs qui vont concourir à l’accélération d’une prise de conscience globale. La transformation de l’économie et de nos territoires passe par là. Les entreprises engagées opéreront un auto-diagnostic. L’idée c’est de regarder d’où on part pour définir où on veut aller. C’est une démarche globale où chacun participe pour mesurer son impact environnemental en termes de bien-être, de gouvernance… Et pour l’ESS c’est une occasion de travailler sur le partage de la valeur. Les aides financières de la Région seront soumises au principe d’éco-conditionnalité. La Région soutiendra davantage les entreprises qui respectent les valeurs de l’économie positive. »

Le président de la CRESS, André Ducournau, parle d’une heureuse conjonction de planètes dans le ciel d’Occitanie : « Avec un Conseil régional volontariste et de plus en plus de collectivités territoriales qui manifestent leur engagement pour l’ESS, nous sommes plutôt bien lotis sous le ciel d’Occitanie. Les collectivités qui s’engagent ne le font pas pour nous faire plaisir mais parce qu’elles réalisent que l’ESS est un levier de développement essentiel, à la fois économique mais aussi parce que les pratiques de l’ESS apportent des réponses à des enjeux sociétaux. Aujourd’hui on réalise que les questions de l’insertion, du handicap, les questions du développement du territoire sont intimement liées ; l’inscription dans l’ESS permet de créer du lien. »

Face aux enjeux de transition, l’ESS apparaît aujourd’hui à l’avant-garde des mutations que doivent engager les territoires. L’ensemble des acteurs présents lors de ces rencontres semblaient en convenir. Ce rôle de vigie que peuvent tenir les acteurs de l’ESS suppose qu’ils affirment résolument leurs principes d’action autour de l’intérêt collectif, la résorption des inégalités et la transition écologique.

Jean-Marie Dinh