Leoluca Orlando préside le Festival du Cinéma Méditerranéen de Montpellier. Il a été maire de Palerme à trois reprises depuis 19851. Éternel partisan et défenseur d’un rôle majeur de la Méditerranée dans l’Union européenne, il a lutté contre la mafia et s’est engagé pour le droit des migrants. Leoluca Orlando se distingue par sa vision politique, mais peut-être surtout parce qu’il conjugue avec lucidité cette vision à l’action concrète.
À propos du Cinéma méditerranéen, vous exprimez le fait que le cinéma est un vecteur majeur de la contradiction, qu’entendez-vous par là ?
Sans contradiction la Méditerranée n’existe pas. Je pense que la Méditerranée est une contradiction vivante. Je pense que la vie est faite de contradictions. Mais il faut savoir si l’on entend le terme contradiction dans le respect du droit humain ou contre le respect du droit humain. Si l’on entend la contradiction dans le sens de la légalité ou de l’illégalité, de la justice ou de l’injustice. Je pense que le Cinemed est le festival du métissage de la Méditerranée. Un festival qui donne la confirmation que la Méditerranée n’est pas seulement une mer qui divise les peuples mais un continent d’eau qui nous unit. Sur ce continent d’eau on trouve la France, le monde arabe et l’Allemagne ; oui, aussi l’Allemagne, parce qu’il faut penser que la Méditerranée est un point de rencontre des sensibilités en dehors de la Méditerranée. La Méditerrannée n’est pas une zone géographique. C’est une dimension culturelle, spirituelle, cela signifie qu’il est possible de découvrir que le Sénégal est méditerranéen, que les Maldives et que l’Allemagne peuvent l’être aussi.
Je pense que la magie du cinéma est liée au fait que le cinéma donne de la dignité à la contradiction, et ce festival est très riche de contradictions.
Accepter la contradiction est un signe d’ouverture. Est-ce qu’aujourd’hui, en Europe, nos démocraties vous paraissent dans la disposition de tolérer la contradiction ?
Il y a un risque que l’Europe trouve les moyens de sortir de la contradiction en s’affranchissant du respect des droits de l’homme. Comme il y a un risque que le climat change en Italie. Je ne fais pas référence à un retour du fascisme. Il y a un temps pour chaque chose. En ce moment, ce n’est pas le temps pour le fascisme. En ce moment le plus dangereux c’est le changement du climat culturel, le changement du climat constitutionnel qui a fait de l’Italie l’exemple de liberté, l’exemple de la culture d’accueil, l’exemple du vivre ensemble dans la cité.
Comme à Palerme…
Il faut se souvenir que le processus de paix de la ville de Palerme est venu après les années de guerre. La guerre avec les armes de la mafia, la guerre avec les sentences de l’État, en 1985, l’année ou j’ai été élu maire de Palerme, on était dans un temps de guerre. Puis est venu la restauration du contrôle public de la ville avec la promotion d’une culture civique. Après l’assassinat des juges Giovanni Falcone et Paolo Borsellino en 1992, il y a eu une réaction populaire. C’est ainsi que nous sommes passés de la guerre à la paix. De la guerre des armes à la paix du droit, à la vérité, à la justice, à la vie, à la diversité. Aujourd’hui, nous organisons dans la ville de Palerme la plus grande gay pride du Sud de l’Europe.
L’engagement en faveur de l’accueil des migrants fait aussi de votre ville une référence pour la citoyenneté universelle ?
Si vous me demandez combien de migrants il y a dans la ville de Palerme, je ne réponds pas 80 000, ou 100 000, je vous réponds nous n’avons pas de migrants à Palerme. Il n’existe pas de distinction entre celui qui est né dans la ville de Palerme et celui qui vit dans la ville de Palerme. Nous sommes contre le permis de séjour, parce que pour nous le permis de séjour c’est le nouvel esclavage, c’est la nouvelle peine de mort. Il a fallu beaucoup de temps pour abolir l’esclavage, beaucoup de temps pour en finir avec la peine de mort. À Palerme, selon ma vision, il est possible de vivre sans permis de séjour. Il est possible d’être visible parce que si vous êtes invisible vous êtes dangereux. Pour rendre visible les migrants, il n’y a pas de distinction entre un criminel invisible parce qu’il est fugitif et un migrant invisible parce qu’il n’a pas de papier. Ils sont dangereux pour eux-mêmes et pour les autres. Cela signifie de travailler à la lumière ? Qu’il est possible de payer ses impôts, qu’il est possible pour la police de trouver les migrants. Ainsi, la sureté n’entre pas en contradiction avec le droit commun alors qu’en dictature, la sureté passe avant le droit commun. Nous ne sommes pas en dictature.
Votre optimisme donne de l’espoir. Dans le contexte préoccupant que nous connaissons aujourd’hui en Espagne, en France, en Suède et en Italie, quel message pouvez-vous transmettre aux peuples européens qui s’inquiètent de cette montée de l’extrême droite sur le continent ?
Trop de citoyen.ne.s n’ont pas voté, trop de citoyen.ne.s ont laissé aux autres la décision du futur de leur pays. Je pense que nous avons besoin d’une alliance entre les citoyen.ne.s et les institutions européennes. Sans l’UE il n’y aura pas l’arrivée du fascisme mais l’affaiblissement du climat démocratique, des droits des femmes, des migrants, des LGBT… Il y a un risque très fort.
Auriez-vous une adresse plus particulière à l’égard de vos concitoyen.ne.s italien.ne.s à l’heure où Giorgia Meloni a constitué son gouvernement ?
Il faut voir, parler, et tenir ouvert ses yeux. Prendre garde de ne pas rester dans le silence qui lui permettrait de changer le climat démocratique et constitutionnel dans notre pays.
Cette année le festival offre un espace particulier à Francesco Rosi dont le film Salvatore Giuliano offre une fresque de la Sicile…
Je pense que Francesco Rosi est l’inventeur d’un nouveau cinéma. Avec son film Salvatore Giuliano il a fait la démonstration que la vie quotidienne devient l’Histoire. Pour cette raison, Salvatore Giuliano est un bandit mais c’est aussi une personne qui vie la vie quotidienne. Les films de Francesco Rosi nous font découvrir la relation entre le pouvoir politique, économique et criminel. Rosi est un contempteur scrupuleux de la réalité italienne. On retrouve dans son œuvre toutes les contradictions de la culture italienne : la tragédie de la mafia, la tragédie de l’affaire Moro avec l’assassinat du président de la démocratie chrétienne, la tragédie de main basse sur la ville qui montre la spéculation immobilière dans la ville de Naples, la tragédie de la violence urbaine, la tragédie du bandit Salvatore Giuliano.
Je pense que le Cinemed donne un moyen de faire connaître la Méditerranée d’hier, d’aujourd’hui, mais aussi qu’il contribue à envisager la Méditerranée de demain. Si quelqu’un me demande ce qu’il va advenir de la Méditerranée dans le prochain millénaire, je lui dirais “penchez vous sur le programme du Cinemed de cette année, ça suffit”.
Quel regard portez-vous sur le cinéma italien d’aujourd’hui ?
Aujourd’hui le cinéma italien vit un temps très vivant, très brûlant, mais pas particulièrement profond. Il est attractif. Je crois qu’actuellement le cinéma italien cherche à communiquer, chose très importante, avec le sourire.
Recueilli par Jean-Marie Dinh
Coopération décentralisée
Question subsidiaire à Leoluca Orlando
Comment appréciez-vous la candidature de Montpellier pour être la capitale de la culture européenne en 2028 ?
Je pense que Montpellier est une capitale européenne de la culture. Pour cette ville, la compétition n’a pas pour objet qu’elle le devienne puisqu’elle l’est déjà, mais d’avoir un document, une certification. Je pense que la ville à besoin d’un projet d’activité qui prenne en compte son passé et son futur, ce qu’elle est en train de constituer. Je lui apporte mes congratulations, je pense que l’opinion publique va valider, nous attendons le certificat.
Jumelage Montpellier Palerme
Depuis 2016, Montpellier Méditerranée Métropole est jumelée avec la Ville de Palerme. Le pacte de jumelage tripartite porte sur les domaines culturel, universitaire, sportif et médical. Dans le cadre de l’édition 2021 du Parlement Mondial des Maires, le Maire de Montpellier, Michaël Delafosse, s’est rendu à Palerme en octobre 2021. Cette visite a permis de renforcer les liens de jumelage entre les deux villes, dont la culture sera un des enjeux majeurs, de positionner Montpellier en tant que ville engagée sur les questions de migrations causées notamment par le changement climatique, et de signer la charte de Palerme et l’adhésion au réseau From the Sea to the City2.
Notes:
- Maire de Palerme de 1985 à 1990, de 1993 à 2000, puis de 2012 à 2022. Leoluca Orlando vient d’achever son dernier mandat.
- De la mer à la ville vise à unir ses forces pour réinventer la position européenne sur la migration avec les villes et les droits de l’homme au centre. Une Alliance Migrations est intervenue le 1er juillet 2021 au sein de la Conférence des Maires à Palerme pour parler d’une gouvernance alternative des migrations et de la coopération entre villes et société civile dont la dynamique est incarnée par le travail d’Alliance Migrations.