Deux soirées durant, Les Suds ont mis en lumière toute la richesse des musiques venues d’Afrique, leur art du mélange et leur dimension universelle. De la beauté du chant d’Emel Mathlouthi à l’incandescence électro.


 

À l’heure où le chant des cigales s’éteint dans la nuit, après une journée sous un soleil de plomb, Emel Mathlouthi apparait sur la scène magique du Théâtre antique. La beauté de sa tenue noire et or est à l’aune de son talent. Celle que l’on décrit comme une des voix de la « révolution de jasmin » (lorsque le peuple tunisien chassait du pouvoir l’autocrate Ben Ali) chante tantôt en arabe, tantôt en anglais, accompagnée d’un quatuor à cordes1 et d’un batteur-percussionniste. Elle fait part de son bonheur de retrouver le festival connu en 2010, à l’orée de sa carrière, évoque l’anniversaire de sa fille, huit ans le jour-même, invite sur scène ses amies Léonie Pernet, Laura Cahen et Awa Ly pour des duos.

Également percussionniste, Emel Mathlouthi marie sonorités électro, effets d’écho sur sa voix et instrumentation classique ; sa musique est à la fois orientale et universelle. Son art (le mot n’est pas trop fort) incarne en cette chaude soirée du 15 juillet l’esprit de ce festival qui conjugue les esthétiques sans exclusive. Elle chante le pouvoir du rêve, livre les chansons de son dernier album The Tunis Diaries écrit pendant le confinement, avec une émotion toute en nuances qui laisse sans voix. La classe.

 

La chanteuse malienne Oumou Sangaré (Photo Stéphane Barbier-Les Suds)

Les Suds avaient choisi de placer leurs deux dernières soirées sous le signe de « l’africanité ». Il faut entendre ce terme avec tout son caractère pluriel, comme l’a démontré la soirée où Emel Mathlouthi et la chanteuse malienne Oumou Sangaré ont partagé l’affiche. À la retenue de l’une répond l’afro-rock de l’autre où se conjuguent la kora (Abou Diarra), les chœurs (Kandy Guira et Emma Lamadji) et une énergie débordante, portée par la guitare électrique (Julien Pestre), la basse (Élise Blanchard), les claviers (Alexandre Millet) et la batterie (Jon Grandcamp). Le tout au service, là aussi, de son dernier album, Timbuktu, ville du Mali au patrimoine unique mis à mal par des jihadistes.

Pour prolonger cette soirée africaine, le duo ougandais Otim Alpha se produisait après minuit dans le jardin du Théâtre antique pour un des multiples concerts gratuits organisés au long de cette semaine.

Vent de liberté

Et comme pour prouver que le goût des croisements est décidément la marque de fabrique de ce festival, la 27e édition a consacré sa nuit de clôture aux musiques d’Algérie en cette année de soixantième anniversaire de son indépendance. Comme un parfum de liberté pour un pays éprouvé aujourd’hui encore.

Aux Suds, il n’y a pas de première partie où les artistes qui ouvrent le bal ne seraient là que pour faire patienter en attendant les « stars ». Le public accueille chacun, chacune avec la même attention. De la tradition incarnée par un étonnant groupe de musiciennes, Lemmacréé par Souad Asla qui fait vivre le patrimoine musical de sa région d’origine, aux portes du désert, à l’électro tellurique d’Acid Arab, en passant par les rythmes synthétiques et hypnotiques de Sofiane Saïdi. La première formation est résolument inter-générationnelle (la doyenne a 80 ans), formée de chanteuses et percussionnistes qui se produisent notamment dans les mariages. « Lemma signifie la communion », précise Souad Asla qui possède l’art de communier aussi avec le public. Sans ostentation, sans formule toute faite mais avec authenticité.

Cet art, Sofiane Saïdi le possède aussi, dans un autre registre. Dit par un francophone, l’homme qui invite son public à reprendre des paroles en arabe pratique volontiers l’humour : « Les francophones, il va falloir vous intégrer ». Ses beats sont au-delà des mots, dans une région où la musique transcende toutes les frontières. Où le langage du corps passe avant le verbe, comme avec le « trio infernal », Acid Arab, avec aux manettes Kenzi Bourras, Guido Minisky et Hervé Carvalho. Pas de mots, juste le pouvoir de faire danser au pied de la scène et jusque dans les gradins du Théâtre antique. Ils en ont vu d’autres en 2000 ans d’histoire, mais ça secoue grave.

J-F. Arnichand

Photo Stéphane Barbier-Les Suds

Notes:

  1. Charlotte Patel (violoncelle), Mostafa Fahmy (alto), Clara Froger et Agathe Hemma (violon), plus Mathieu Poterie (claviers), Olivier Poterie (batterie).
JF-Arnichand Aka Morgan
"Journaliste durant 25 ans dans la Presse Quotidienne Régionale et sociologue de formation. Se pose tous les matins la question "Où va-t-on ?". S'intéresse particulièrement aux questions sociales, culturelles, au travail et à l'éducation. A part ça, amateur de musiques, de cinéma, de football (personne n'est parfait)...et toujours émerveillé par la lumière méditerranéenne"