Trois collèges du nord Vaucluse, deux en REP (Réseau d’éducation prioritaire) — Vallis Aeria à Valréas et Barbara Hendricks à Orange — et un en zone rurale — Victor Schoelcher à Sainte-Cécile-les-Vignes — ont décidé d’être solidaires pour défendre leurs besoins en moyens humains. Pas question pour eux de continuer à dépouiller Pierre pour habiller Paul.


 

 

Que sont les parents d’élèves et les équipes enseignantes de trois collèges face à une administration qui décide seule des moyens et de l’organisation du travail ? S’il n’est pas nouveau que les professeurs de collèges de Vaucluse se déclarent “à l’os” en matière de moyens pour assurer l’avenir de leurs élèves, il est rare que la solidarité se manifeste au delà d’un établissement concerné. Et pourtant, suite aux informations reçues quant aux dotations horaires pour la rentrée prochaine, les trois établissements (Vallis Aeria à Valréas, Victor Schoelcher à Sainte-Cécile-les-Vignes et Barbara Hendricks à Orange) avaient déjà été reçus par la Directrice Académique des Services de l’Éducation Nationale (DASEN), chacun de leur côté, afin de faire part de leurs inquiétudes et demander les moyens nécessaires.

 

Ne pas déshabiller l’un pour mettre des haillons sur l’autre

Mais comme souvent, ce genre d’entrevue pouvait finir sur des moyens enlevés à un autre établissement, tout en ne permettant pas de pallier véritablement aux manques dénoncés par enseignants et parents ; L’initiative venue de l’établissement de Valréas consistait, le 15 juin dernier, à manifester leur mécontentement devant l’inspection académique et demander à être reçus ensemble pour mettre sur la table les problèmes communs aux deux établissements en REP1 et à celui en zone rurale. Le principal point commun : tous ont appris qu’au moins une classe serait fermée à la rentrée, avec le risque de faire passer des effectifs déjà tendus bien au-delà de 30 élèves par classe. Si l’initiative est venue de la base, les organisations syndicales (Snes, FO et CGT Éduc-action) n’étaient pas en reste et participaient au rassemblement initié par les trois collèges du nord du département.

Dans une lettre ouverte, enseignants et parents des trois collèges résument la situation : « Ces élèves ont subi la crise sanitaire, ils méritent des moyens pour la rentrée. On nous octroie… des heures supplémentaires en lieu et place de postes à maintenir ou à créer. Ce n’est plus possible. Là, des classes sont supprimées. La classe de troisième de Barbara Hendricks, alors que les élèves qui arrivent ont subi le confinement en sixième et la diminution de l’ouverture culturelle à cause des projets et sorties rendus difficiles ou impossibles » ; la sixième SEGPA (Section d’enseignement général et professionnel adapté)2 à Vallis Aeria « résultat de manipulations de chiffres empêchant les élèves de la Drôme de s’y inscrire afin de mieux fermer la classe » ; ou encore la quatrième à Sainte-Cécile-les-Vignes qui, en fermant, ramène les effectifs des autres classes de quatrième à 32 élèves. « Et ce sans tenir compte, d’une part des inclusions d’élèves ULIS (Unités Localisées pour l’Inclusion Scolaire)3, et d’autre part des effectifs actuels de l’établissement qui divergent des prévisions du rectorat. »

Et d’ajouter que « les moyens insuffisants des DGH (Dotation globale horaire)4 mettent à mal les projetsqui permettent aux élèves d’apprendre autrement et de s’enrichir culturellement et  scientifiquement — en obligeant, par exemple, à utiliser les moyens de l’autonomie des établissements pour ouvrir des classes au lieu de mener ces projets pédagogiques. Elles mettent aussi en péril les groupes d’Aide Personnalisée, de sciences, de langue propices à l’individualisation des élèves. »

Mais au-delà des problèmes posés par la dotation horaire prévue pour septembre, la pénurie de moyens est une constante. « Le ratio d’heures supplémentaires prévu est devenu excessif et ne peut plus être absorbé par les équipes. Il en résulte des créations artificielles de compléments de services dus, ou des diminutions de complément de service [déjà] tellement ridicules à Valréas que ces postes ne seront pas pourvus, car peu attractifs en termes de nombre d’heures et géographiquement isolés, ce qui laissera des élèves sans enseignant ! Les équipes pédagogiques se trouveront déstabilisées et les personnels sur ses “bouts” de postes seront partagés et donc moins disponibles pour s’investir autant qu’ils le voudraient auprès des élèves. »

 

Être reçus ensemble

Après consultation, la direction académique annonce accepter de recevoir huit personnes, deux enseignants de chaque collège et deux parents d’élèves, afin d’entendre leurs besoins. Il est 15h30, ils seront reçus une heure plus tard. En attendant, on revient aux réalités d’une organisation du travail défaillante. « Le changement de ministre ne change rien, chaque établissement subit des difficultés structurelles, des manques de moyens criants depuis au moins 5 ans. Avec l’augmentation du nombre d’élèves, nous avons vu aussi l’augmentation du nombre d’heures supplémentaires. Nous disons pour notre part qu’il est hors de question d’accepter plus de deux heures supplémentaires. Il faut mettre l’administration devant ses responsabilités », explique Marie-Antoinette Mosca de FO Lycées et collèges. « Et beaucoup de collèges dans des situations similaires aux nôtres ont déjà été reçus individuellement par la DASEN. Là, on a trois collèges différents avec les mêmes problématiques. Réunis par une initiative venue du collège de Valréas qui avait lancé un appel aux établissements du nord Vaucluse, les trois ont constaté des revendications communes. Et désormais il ne faudra plus rester enfermé dans son établissement et que des moyens soient enlevés ailleurs pour “calmer” ceux qui se battent. Il va falloir être solidaires et refuser que d’autres établissements soient dépouillés. »

Pour Philippe Brenier du Snes-FSU 84, il fallait « se retrouver dans une action forte afin de mobiliser encore pour une manifestation à Orange lundi 20 juin, en vue d’exiger un plan d’urgence pour l’Éducation visant à corriger l’impact de la crise sanitaire. Il est nécessaire d’obtenir des moyens supplémentaires. Il ne faut pas abandonner les enfants, dans 20 ans la société le regretterait. Juin, c’est le moment des stratégies pour la rentrée, et là, il faut choisir des moments stratégiques aussi, comme la rentrée, pour entamer un mouvement de grève. Si le jour de la rentrée nous constatons qu’il ne nous a pas été donné des moyens soutenables, nous déposerons un préavis de grève. »

En cinq ans les collèges du département ont accueilli 1 000 élèves supplémentaires sans aucun moyen supplémentaire. Seules des heures supplémentaires ont été proposées et les enseignants disent désormais « stop ». La nouveauté résiderait dans une solidarité entre établissements que les trois du nord Vaucluse initient dans leur rencontre avec la direction académique. Rencontre qui s’est finalement soldée par une entrevue, non pas avec la directrice académique, mais avec ses services, maintenant ainsi le statu quo par rapport aux demandes des enseignants et des parents. Ces derniers restent mobilisés.

Christophe Coffinier

Notes:

  1. Les REP regroupent les collèges et les écoles rencontrant des difficultés sociales plus significatives que celles des établissements situés hors éducation prioritaire. Les élèves et les équipes éducatives bénéficient d’un meilleur accompagnement dans leur apprentissage afin de réduire les inégalités et d’améliorer les résultats scolaires.
  2. Une classe SEGPA accueille les jeunes de la 6e à la 3e présentant des difficultés scolaires importantes, graves et durables, ne pouvant pas être résolues par des actions d’aide scolaire et de soutien. La classe (16 élèves maximum) est intégrée dans un collège où les élèves suivent des enseignements adaptés à leurs difficultés, avec des aménagements, individualisant ainsi le parcours de chacun.
  3. Les ULIS accueillent des enfants suite à une décision de la Commission des droits et de l’autonomie de la Maison départementale des personnes handicapées (MDPH). L’admission de l’élève est ensuite prononcée par le directeur de l’école ou du chef d’établissement, à qui le PPS (projet personnalisé de scolarisation) a été transmis : définition du déroulement de la scolarité de l’enfant en situation de handicap, de ses besoins notamment en termes de matériels pédagogiques adaptés, d’accompagnement, d’aménagement des enseignements.
  4. DGH : nombre d’heures allouées à un établissement par l’inspection académique (collège) ou le rectorat (lycée), en fonction des effectifs, des nécessités, et des options.
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Passionné depuis l’âge de 7 ans, de photo, prise de vue et tirage, c’est à la fin d’études de technicien agricole que j’entre en contact avec la presse, en devenant tireur noir et blanc à l’agence avignonnaise de la marseillaise. Lors d’un service national civil pour les foyers ruraux, au sein de l’association socio-culturelle des élèves, c’est avec deux d’entre eux que nous fondons un journal du lycée qui durera 3 ans et presque 20 numéros. Aprés 20 ans à la Marseillaise comme journaliste local, et toujours passionné de photo, notamment de procédés anciens, j’ai rejoint après notre licenciement, le groupe fondateur de l’association et suis un des rédacteurs d’Altermidi, toujours vu d’Avignon et alentours.