B. est algérien, né en 1954. Il a connu l’indépendance de son pays à l’âge ou l’on va à l’école primaire et a vécu une jeunesse algérienne agitée par les mouvements de revendication des premières années du jeune pays. Cadre dans une entreprise publique, il rejoint la France en 1994 suite à une tentative d’assassinat par les islamistes. Il témoigne aujourd’hui de la relation entre les deux pays depuis la guerre de libération.


 

B. est né en Algérie en 1954, à une époque ou un « non-Européen » ne disposait pas de la citoyenneté française. En 1954, il naît donc « Français musulman ».

« En 1961, un enfant d’algérien n’avait pas le droit d’être inscrit à l’école publique. C’est une faveur qu’on accordait. Mon père a dû attendre qu’il y ait de la place et être parrainé par un caïd. »

Le système du caïdat était ce qui permettait de faire l’interface entre les algériens non européens et l’administration française. « Le Caïd c’est celui qui décidait si tu obtiendrais ce que tu demandais à l’administration, c’est lui qui décidait si on pouvait aller à l’école. Mon père a préféré demander l’intercession d’un parent harki, et j’ai été inscrit deux mois après la rentrée. Sans cela, j’aurais pu être parmi les très nombreux illettrés de cette époque. » Le système du caïdat a servi par la suite en France d’interface entre les harkis et l’administration.

« Au moment de l’indépendance, j’étais très jeune. J’ai appris à écrire avec les slogans FLN qui fleurissaient sur les murs. À 14 ans, je me suis engagé au Parti Communiste Algérien, en solidarité avec le mouvement étudiant. Nous livrions de la nourriture aux grévistes. »

 

Une guerre civile et fratricide

 

Si pour lui la guerre d’Algérie était une guerre civile, « l’Algérie c’était trois départements français », le rapport entre colonisateurs et colonisés était quotidien. « Il y avait aussi des rapports de fraternité, notamment avec ceux qui ont aidé à la lutte pour l’indépendance, et des liens de sang puisqu’il y a eu de nombreux mariages mixtes, même si c’était mal vu. »

La relation entre les deux peuples n’était pas le problème pour B. qui situe les difficultés dans les rapports des dirigeants des deux pays entre eux. Et ce, dès avant le conflit. « les généraux et les gens qui ont pris le pouvoir en Algérie étaient très souvent des anciens officiers de l’armée française encouragés à rejoindre le maquis. À Marseille, les premiers dockers étaient algériens. L’Estaque a été construite par des kabyles dans les années 20. Cette nombreuse main-d’œuvre algérienne n’était pas immigrée, c’est un dépeuplement qui était organisé depuis 1860. »

 

En France depuis la « décennie noire »

 

En France depuis les années 90, B. ne se considère pas comme un immigré « selon les accords d’Évian. Avant que les lois Pasqua ne viennent changer cela, la règle pour les Algériens en France et les Français en Algérie, c’était la libre circulation. » Venu en France suite aux menaces des islamistes du FIS contre sa compagne de l’époque, professeur des universités, il rappelle le contexte : « En 1988 le FIS a gagné les élections, les premières élections libres depuis 1962. Les islamistes sont ainsi passés de clandestins à officiels. Ils ont ciblé ma femme qui était enseignante. C’est par une reporter du Nouvel Obs venue faire un reportage que nous avons été prévenus. Après avoir interviewé ma femme, elle a rencontré le représentant des syndicats islamistes, et c’est à cette occasion qu’elle a appris notre condamnation à mort par un tribunal islamique. Grâce aux relations de cette femme, nous avons obtenu de Lionel Jospin, qui était ministre de l’Éducation à l’époque, qu’elle puisse aller enseigner en France. Nous avons reçu un contrat de travail, et elle est partie pour paris. »

À l’époque B. était directeur général d’une entreprise d’État. Il est d’abord resté en Algérie. « Mais après l’assassinat du président Mohamed Boudiaf, c’était à mon tour d’être menacé, et une tentative d’assassinat contre moi a fini par me convaincre de rejoindre mon épouse. » Cette dernière, d’abord en situation irrégulière, a fini par obtenir la nationalité française. « Et c’est comme cela qu’elle a pu faire valoir le regroupement familial, afin que je vienne la rejoindre, à l’époque à paris. » Après des mois de navette paris-Alger, il a obtenu un contrat de travail à Marseille. « J’ai pu constater que les algériens qui travaillaient en France depuis longtemps avaient mesuré la force des syndicats et des partis comme le PC. Je pense que c’est ce qui a fait comprendre à beaucoup, dans les années précédent l’indépendance, qu’on pouvait ne pas subir un salaire de misère et qu’on pouvait se libérer. »

 

La relation de domination de la colonisation maintenue

 

Imprégné de la relation coloniale vécue dans son enfance, « J’ai pu observer les restes de cette relation coloniale au quotidien. La gestion des quartiers populaires en est directement inspirée. L’invention des grands frères, l’utilisation du terme « caïd » pour désigner ceux qui feraient la loi, des voyous, alors que pour l’État colonial c’était le notable chef de troupeau… Même l’islam de France et sa gestion relèvent des réminiscences de l’État colonial, qui fut en sont temps le premier État musulman du monde. »

Il rappelle que les Algériens n’étaient pas des citoyens dans cette Algérie française : « Il y avait deux représentations législatives, les députés élus par les Français, qui siégeaient à l’assemblée nationale, et ceux des Algériens qui siégeaient dans un deuxième collège. Il fallait dix voix d’élus algériens pour une voix française. »

Du point de vue des relations économiques, la France est restée le premier partenaire de l’Algérie, jusqu’à ce que la Chine prenne sa place. « L’Algérie assurait la fourniture de gaz et de pétrole à des prix préférentiels — la France ne payait que 30 % du prix du marché — même si cet accord était contesté par la population. Total exploite toujours du gaz de schiste en Algérie, ce qui met en danger la nappe phréatique du Sahara par la fracturation hydraulique, alors qu’il s’agit d’un immense réservoir d’eau potable encore préservé. »

 

La France a des concurrents en Algérie

 

Mais désormais, d’autres puissances lorgnent sur l’Algérie. « les États-unis s’intéressent aux sous-sols, notamment une partie des gisements du Grand Sahara. La Chine, elle, veut devenir le nouveau partenaire commercial. Malgré tout cela, le Français reste la 1ère langue nationale et est enseigné dès l’école primaire. » L’attrait du pays vient, pour lui, du fait que « l’Algérie est le poumon de l’Afrique. Elle détermine l’accès à de nombreux pays subsahariens. Si la France a encore un pied en Afrique, c’est parce qu’elle garde encore la main sur l’Algérie. C’est un pays stable politiquement, corrompu, ce qui permet de garantir les intérêts de la France… Et cela lui permet de garder le contrôle des pays frontaliers comme le Mali, le Niger ou le Tchad. »

Aujourd’hui la situation est à un tournant, avec les puissances précitées qui avancent leurs pions. « Les intérêts français se heurtent de plus en plus à ceux des Américains, et même des Russes qui dominent le marché de l’armement. De plus, il ne faut pas oublier que l’Algérie a participé au sauvetage d’Alsthom et que des sociétés françaises importantes comme la Générale des eaux ou la Société Générale ont de gros intérêts chez nous. »

Pour résumer les relations franco-algériennes, « c’est Macron plus les généraux contre les deux peuples. Et le peuple algérien verse dans la misère pendant que l’équipement militaire s’accumule en Algérie. Il y a toujours des liens familiaux entre les deux pays, ce sont deux peuples politiques qui se ressemblent, mais la guerre de libération a laissé comme un contentieux non réglé entre cet ancien département français et l’ancienne puissance coloniale. »

 

Recueilli par Christophe Coffinier

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Passionné depuis l’âge de 7 ans, de photo, prise de vue et tirage, c’est à la fin d’études de technicien agricole que j’entre en contact avec la presse, en devenant tireur noir et blanc à l’agence avignonnaise de la marseillaise. Lors d’un service national civil pour les foyers ruraux, au sein de l’association socio-culturelle des élèves, c’est avec deux d’entre eux que nous fondons un journal du lycée qui durera 3 ans et presque 20 numéros. Aprés 20 ans à la Marseillaise comme journaliste local, et toujours passionné de photo, notamment de procédés anciens, j’ai rejoint après notre licenciement, le groupe fondateur de l’association et suis un des rédacteurs d’Altermidi, toujours vu d’Avignon et alentours.