En parallèle de l’exposition Cinés Monde accueillie au Festival photo de Marseille, Stephan Zaubitzer présente Cinés Méditerranée à la Chapelle des Pénitents bleus à La Ciotat. Les salles de cinéma de cinq pays de la rive sud de la Méditerranée à la lumière d’une chambre noire et en cinquante clichés sont à découvrir jusqu’au 30 octobre. Quand le photographe se passionne pour l’architecture. Et pour l’art de la rencontre.


 

Ancien photographe de presse, Stephan Zaubitzer s’est arrêté un jour de 2003 pour prendre son temps. Le temps long d’un projet de photographies documentaires axé autour des salles de centre-ville du monde. Il en aura fallu un peu moins pour que les débuts de ce projet intitulé Cinés Monde ne soient salués par un prestigieux World Press. Depuis il a continué d’aller au cinéma. Des centaines de fois, des milliers peut-être. Qu’importe le lieu et l’heure.

À la Chapelle des Pénitents bleus, l’artiste a choisi d’offrir au public une séance spéciale avec Cinés Méditerranée, une série consacrée aux salles de cinéma de cinq pays de la rive sud de la Méditerranée. Plus qu’un hommage, Stephan Zaubitzer livre un témoignage sur une histoire passée mais si présente. Une célébration de ces lieux de culture en danger, à quelques mètres à peine de l’Eden Théâtre, la doyenne des salles de cinéma.

 

Stéphan Zaubitzer, photographe photographié

 

 

Cinés Méditerranée fait partie d’un vaste projet photographique intitulé Cinés Monde, présenté cette année au Festival photo de Marseille. Comment est née l’idée de photographier les salles de cinéma à travers le monde ?

En 2003, j’étais à Ouagadougou au Burkina Faso. Je revenais de reportage et j’avais une semaine en attente d’un avion. J’ai découvert autour de là où j’habitais, en centre ville, des salles de cinéma en plein air. J’ai commencé à les photographier. Puis le projet a été interrompu avant d’être repris.

 

Différemment ?

Au début je photographiais les cinémas en moyen format. À l’époque j’étais photographe de presse et toujours très dans l’esprit. À partir de 2009, je suis passé à la chambre photographique. Ma façon de photographier a changé. Elle prend plus de temps. Je travaille en argentique, je fais très peu de photos, j’essaie d’avoir un cadre plus large.

 

Pourquoi ce parti pris ?

Je pense que cela correspondait à une envie de rupture dans ma pratique professionnelle. Quand j’ai commencé à regarder mes premières photos, je trouvais qu’elles ne rendaient pas assez hommage aux bâtiments et à leur environnement. J’étais encore dans les codes de la profession. Avec la chambre noire, je suis passé du photojournalisme à la photographie documentaire. “Spectateur de l’homme”, je suis devenu “spectateur des architectures”. Je suis dans une photographie plus contemplative, qui a besoin de temps. Pour installer l’appareil sur pied, déployer la chambre, attendre que la lumière soit belle. Il m’est arrivé de me rendre plusieurs fois au même endroit et de ne pas déballer ou de remballer mon matériel simplement parce que la lumière ne convenait pas. Cela me permet techniquement de faire du décentrement, les bâtiments restent droits. C’est beaucoup de contraintes. Mais il y a quelque chose de plus cérémonial à photographier ainsi ces bâtiments dont l’existence est menacée.

 

 

« L’Olympia Menzel Bourguiba » (Tunisie, 2018, photo S. Zaubitzer)

 

 

La Chapelle des Pénitents bleus, à La Ciotat, accueille jusqu’au 30 octobre une série extraite de ce projet, consacrée aux cinémas de cinq pays de la rive sud de la Méditerranée que sont le Maroc, l’Algérie, la Tunisie, l’Égypte et le Liban.

Après avoir été en Californie, au Brésil et en Inde, j’ai resserré mon propos. Je m’étais un peu perdu dans ce monde. J’ai eu besoin de construire un fil rouge qui allait du Maroc jusqu’au Liban. Le cinéma est né au nord de la Méditerranée et très rapidement, il a traversé les mers. J’ai voulu photographier les salles obscures, ou du moins de ce qu’il en reste de l’autre côté.

Aujourd’hui avec cette exposition à La Ciotat, toutes ces salles reviennent au bercail, là où est née la doyenne mondiale des salles, l’Eden Théâtre. J’ai d’ailleurs pu photographier sa cabine de projection avant sa réhabilitation.

 

De Casablanca à Tripoli, que disent ces lieux de culture des pays et de leur population ?

En fait, ces cinémas ont souvent été construits par la puissance dominante, par les colons. Et pourtant, les pays se sont approprié ces structures. Je pense à l’Algérie notamment où les salles ont été très actives. Avec une cinématographie importante, tout comme en Égypte. Ces cinémas ont été le lieu de construction d’une identité nationale. De façon étonnante d’ailleurs puisqu’ils ont été édifiés par des Européens. Je trouve ce renversement des choses intéressant. Il y a eu dans les années 1930, et pas uniquement sur la rive sud de la Méditerranée mais dans le monde, une floraison des cinémas. Ces bâtiments modernes sont devenus un point central de la ville. Ils représentent pour moi le lieu de la prégnance de l’image animée dans le tissu urbain.

Beaucoup de ces salles sont aujourd’hui fermées, mais le phénomène est mondial. Et pourtant, les habitants y sont restés très attachés. Sur la place centrale de Meknès au Maroc par exemple, quand le Camera, un vrai bijou architectural, a été menacé de fermeture, les associations se sont mobilisées pour le sauver et faire en sorte qu’il continue à vivre. Et quand malgré tout un cinéma disparaît, le quartier garde son nom. Comme un souvenir d’une partie de son patrimoine.

 

 

« Le Century » à Oran (2018, Photo S. Zaubitzer)

 

 

Y-a-t-il une image qui résonne particulièrement pour vous ?

En fait, j’ai du mal à isoler une photo. C’est dû à mon histoire. Une photographie ne se suffit pas à elle-même, elle a besoin d’être entourée pour construire un récit. Mes photographies sont d’abord des histoires humaines. Des rencontres avec les responsables et personnels de ces salles qui m’ont accueilli tout au long de mon travail. Je retiens leur grand attachement à ce patrimoine. Pour moi c’est un ensemble.

 

Alors que le public est quasiment absent de vos clichés, il y en a un qui se distingue, celui du Rialto d’Alexandrie en Égypte.

Il est différent effectivement car c’est le seul endroit où il a été possible d’ouvrir les issues de secours de la salle qui donnaient sur l’extérieur. La photo est particulière car l’angle de prise de vue l’est. J’ai pu faire une photo très large en me mettant dans l’ouverture de l’une de ces portes. Comme je prends à une vitesse assez lente, j’ai demandé au jeune qui me regarde, de ne pas bouger. Il est resté immobile au moins 20 secondes. Depuis, le cinéma a été détruit pour construire un centre commercial.

 

Votre exposition a une particularité : vous avez choisi de légender vos photographies sur un dépliant mis à la disposition du public. Pour quelles raisons ?

Comment s’appelle le cinéma ? Dans quelle ville se trouve-t-il ? Quand la photo a-t-elle été prise ? Ce sont évidemment les questions que le spectateur se pose.

Au-delà des contraintes techniques imposées par le classement de la Chapelle au titre des monuments historiques, j’aime l’idée du jeu de piste. L’idée que le visiteur cherche sur le dépliant la photo qu’il apprécie et sur laquelle il désire avoir des informations. Je souhaite vraiment laisser parler les images entre elles, leur donner la priorité. Je ne les ai d’ailleurs pas rangées par pays afin de créer une histoire commune. Chaque exposition est une expérience.

 

Certaines de vos images datent de 2010. Êtes-vous retourné sur certains lieux ?

Non, parce que ma priorité a été pendant ces années d’aller à chaque fois dans un nouveau pays. Cela m’a pris du temps pour trouver des financements, obtenir les autorisations pour rentrer le matériel en douane… On n’a pas autant de difficultés quand on photographie à l’IPhone ! Aujourd’hui, je viens de finir ce travail. Et pourtant, le cinéma et la Méditerranée sont tellement liés. Je me dis que je pourrais peut-être faire le tour de la Méditerranée et poursuivre ce projet.

 

Propos recueillis par Sandrine Guidon


 

Cinés Méditerranée à la Chapelle des Pénitents bleus à La Ciotat

Du mardi au samedi de 10h à 12h30 et de 14h à 18h30 jusqu’au 30 octobre, boulevard Anatole France à La Ciotat (13600). Entrée libre. L’exposition se poursuit dans et hors les murs de la Médiathèque, rue de l’Ancien Hôpital.

Exposition  à la galerie « Fermé le lundi » à Marseille

Dans le cadre de l’édition 2021 du festival Photo Marseille, la galerie « Fermé le lundi » accueille l’exposition Cinés Monde jusqu’au 23 octobre, au 130 boulevard de la Libération à Marseille (4e). Entrée libre.

Festival Photo Marseille : jusqu’au 19 décembre http://www.laphotographie-marseille.com

Livre

Les photographies des salles de cinéma de la rive sud de la Méditerranée de Stephan Zaubitzer sont rassemblées pour la première fois dans un ouvrage inédit Cinés Méditerranée. Plus de 70 photographies et cartes retracent l’histoire de ces lieux mythiques du Maroc, de l’Algérie, de Tunisie, d’Égypte et du Liban. La préface est signée Alain Bergala, critique de cinéma, auteur et réalisateur.

Cinés Méditerranée, éditions Building Books, 136 pages, 29 euros.

Rencontre à la Friche de la Belle de Mai à Marseille

Dans le cadre de ses rencontres Les Faits divers, la librairie La Salle des Machines organise une dédicace avec Stephan Zaubitzer autour de son ouvrage Cinés Méditerranée, le jeudi 21 octobre à 18h30. Cette rencontre sera animée par Olivier Monge, directeur de la galerie d’art « Fermé le lundi ». Gratuit dans la limite des places disponibles. La salle des machines, Friche de la Belle de Mai, 41 rue Jobin à Marseille (3e).   https://www.lafriche.org