dansePlateForma #21 qui se tient actuellement au château d’O propose un panorama de choix pour découvrir la danse contemporaine russe. Le programme renoue avec l’esprit d’ouverture et de découverte qui a fait de Montpellier une ville escale pour les chorégraphes du monde entier.


 

« En Russie, si tu pars tu es considéré comme un traître. » Ce propos ne remonte pas à la guerre froide, il est tenu aujourd’hui par le chorégraphe russe Mitia Fedotenko qui a fondé sa compagnie Autre MiNa, à son arrivée à Montpellier il y a vingt ans. « Je suis un exilé volontaire. »

Mitia Fedotenko puise son inspiration chorégraphique dans la vie quotidienne. Il pratique son art avec exigence en le confrontant à son environnement, mais aime aussi partager dans les rues et les parcs un rapport au corps avec des non-danseurs pour retrouver des gestes spontanés. C’est un des rares chorégraphes à se sentir concerné par les mouvements sociaux et à avoir répondu présent sur les lieux d’occupation pour défendre la cause artistique.

L’instant de déséquilibre plus ou moins grand entre deux équilibres, qui vaut pour le corps du danseur comme pour son environnement social et culturel, pourrait être à l’origine de dansePlateForma, un projet conduit avec l’administratrice de la compagnie, Nathalie Brun, pour initier des rencontres, aller au cœur de la relation avec les artistes russes, créer des échanges entre les artistes et les publics par-delà leurs frontières. La manifestation est soutenue par la Métropole de Montpellier et la Maison des Relations Internationales dans le cadre du jumelage avec la Province de Kalouga.

En France, la danse russe se résume très sommairement à Diaghilev et les ballets russes, et à l’étoile Nijinski. En 41 ans d’existence, le Festival Montpellier Danse a programmé trois compagnies russes. C’est donc avec curiosité qu’on s’intéresse aux chorégraphes russes.

 

Sur quoi repose la notion de contemporanéité ?

 

« L’expression chorégraphique russe est restée fermée sur les pays de l’ex-Union soviétique, Ukraine, Biélorussie, pays Baltes… indique Mitia Fedotenko. À un moment, on considérait que les danseurs contemporains été ceux qui n’avaient pu se qualifier pour les ballets classiques. Puis dans les années 90, certains danseurs sont partis en Europe étudier chez Keersmaeker, chez Ohad Naharin en Israël et aux États-Unis ramenant des influences multiples. Pour moi qui étais sensibilisé par l’influence des arts plastiques, la représentation de So Schnell de Bagouet, donnée à Moscou par les danseurs des Carnets Bagouet, a été déterminante. Elle m’a conduit à Montpellier. Avec dansePlateForma, je me suis demandé : « est-ce que je peux apporter quelque chose à mon pays ? » »

La première étape de dansePlatForma #20 s’est déroulée en octobre 2020 au Centre d’innovation culturelle de Kalouga, au Sud de Moscou, en partenariat avec la Région de Kalouga1 et Montpellier Méditerranée Métropole. « Nous avons lancé un appel à candidature pour constituer la programmation sélectionnée par un jury franco-russe, précise Nathalie Brun, nous avons reçus plus de 70 candidatures venant de toute la Russie. Les spectacles et rencontres professionnelles organisés là-bas ont rencontré un succès impressionnant sur place et en ligne, réunissant 24 000 internautes. »

 

Transfert du poids du corps

 

Le programme de dansePlatForma #21 qui se tient actuellement à Montpellier jusqu’au 13 juillet se compose de Master class, de rencontres et de représentations réunissant quatre chorégraphes. Il propose un tour d’horizon de la création contemporaine russe avec les chorégraphes Pavel Glukhov, Anna Deltsova & Alexandr Tronov, Viktoria Archaya, et Mitia Fedotenko qui reprend une pièce poignante évoquant la rencontre du peintre Modigliani et de la poétesse russe Anna Akhamatova.

L’initiative interculturelle est d’importance. Elle permet de déconstruire les représentations qui réduisent souvent la Russie à la stature contestée de son chef. Concernant la liberté d’expression artistique, on pourra noter une volonté d’indépendance assez marquée à l’égard du pouvoir, le cadre du jumelage offrant la possibilité de s’affranchir d’une allégeance que suppose l’organisation étatique tout en prenant en compte le cadre d’institutions décentralisées.

dansePlateForma s’inscrit dans le mouvement et dans le quotidien, comme la danse, d’une manière sereine. C’est un corps plus libre, plus confiant que les corps constitués, qui apparaît plus apte à déverrouiller les esprits. Ce programme d’échanges artistiques permettant de découvrir la danse contemporaine russe à Montpellier est aussi en capacité d’ouvrir des fenêtres à des artistes d’ici vers de vastes horizons.

Jean-Marie Dinh

 

Anna Deltsova et Alexander Tronov, Alone with myself. Photo Dr

 

Réservez pour assister aux spectacles sur le site www.domainedo.fr ou bien par téléphone au 0 800 200 165.

Notes:

  1. La région de Kalouga se trouve à 159 km au sud-ouest de Moscou. Son agglomération compte 560 000 habitants.
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Après des études de lettres modernes, l’auteur a commencé ses activités professionnelles dans un institut de sondage parisien et s’est tourné rapidement vers la presse écrite : journaliste au Nouveau Méridional il a collaboré avec plusieurs journaux dont le quotidien La Marseillaise. Il a dirigé l’édition de différentes revues et a collaboré à l’écriture de réalisations audiovisuelles. Ancien Directeur de La Maison de l’Asie à Montpellier et très attentif à l’écoute du monde, il a participé à de nombreux programmes interculturels et pédagogiques notamment à Pékin. Il est l’auteur d’un dossier sur la cité impériale de Hué pour l’UNESCO ainsi que d’une étude sur l’enseignement supérieur au Vietnam. Il travaille actuellement au lancement du média citoyen interrégional altermidi.