Gardons nous d’une lecture passive de la programmation de danse contemporaine dansePlatforma qui se tient du 23 au 28 janvier au Domaine d’O et dans plusieurs lieux de la ville. Ce ne sont pas seulement les noms qui figurent à l’affiche qui éveillent notre curiosité, mais la mise en jeu des différentes valeurs en faveur de la paix qui se retrouvent en présence à Montpellier à ce moment de l’histoire.


 

«  Nous avons créé dansePlatforma, il y a trois ans, dans la volonté d’aller au cœur de la relation avec les artistes de l’Est à l’Ouest de l’Europe et de faire découvrir la danse des pays de l’Europe de l’Est très méconnue en France aujourd’hui. »

On imagine la force morale qu’il a fallu puiser pour Nathalie Brun et le chorégraphe Mitia Fedotenko, les cofondateurs du projet qui ont dû propulser leur volonté face à un vent puissant d’éléments contraires. Caprices étranges du destin ou malédiction… En 2021, à la veille de la première édition de dansePlatforma, alors que tout est prêt, la crise sanitaire du Covid-19 gèle les possibilités de circulation. L’équipe décide de s’adapter et maintien le rendez-vous. Bien qu’amputer d’une partie de la programmation, celui-ci inscrit la volonté artistique du projet dans le désert des propositions du moment.

Mitia Fedotenko

En 2022, un mois après que Mitia Fedotenko a mis fin à sa dernière création prophétiquement intitulée Roulette russe1, les troupes russes entrent en Ukraine. « Les personnes qui ont vu mon spectacle pensent qu’il s’agit d’une création en réaction par rapport à la guerre en Ukraine », confie le chorégraphe. Ce qui en dit assez long sur le prisme qui s’est emparé des esprits au point de faire oublier que le spectacle a été conçu avant le déclenchement de l’invasion.

Nathalie Brun

Depuis le 24 février dernier, la guerre en Ukraine paraît construite sur une série d’oppositions fixes qui permettent un nombre limité de changements et d’interactions. Le peuple courageux contre les méchants, le monde libre contre la Russie, la loyauté contre la déloyauté… Ces couples constituent depuis près d’un an le récit quotidien de nos médias auxquels personne ne peut échapper.

Dans ce contexte, la plateforme de danse contemporaine s’est retrouvée prise dans la tempête. Une nouvelle fois, le déroulement des faits dépasse les tranquilles prévisions, les coups de théâtre s’additionnent. Des portes se ferment. Les liens tissés dans le cadre de la coopération décentralisée avec la Région de Kalouga en Russie, disparaissent. La Russie sort des programmes européens.

 

Acting for Peace

 

« Suite à l’agression de l’Ukraine par la Russie, nous avons décidé de consacrer cette édition à la paix en ouvrant notre programme aux artistes d’Ukraine et à des pays frontaliers du conflit qui se trouvaient aux premières loges. La Pologne concernée par l’afflux des réfugiés et la Roumanie où l’on entendait le bruit des bombes. Nous accueillons également des artistes russes dissidents », indique Nathalie Brun.

Une démarche d’autant plus nécessaire que le ressentiment produit par le conflit gagne les artistes. « Plusieurs artistes ukrainiens ont retiré leur candidature de l’appel à projet Acting for peace après avoir appris la présence d’artistes russes dissidents, pointe le chorégraphe russo-ukrainien Mitia Fedotenko. Il est probable que cette prise de position ait trait à des directives de l’État ukrainien. Côté russe, les tensions sont montées d’un cran le 21 septembre ; suite à la mobilisation partielle instaurée par Poutine, tout le pays s’est trouvé embarqué dans la guerre.

« Les artistes qui se mobilisent pour la paix, cela sonne comme des mots creux aux oreilles de ceux qui vivent la guerre sur le terrain. Aujourd’hui la guerre est plus forte que le dialogue de la paix », analyse Nathalie Brun. L’art demeure pourtant un moyen de résister à la guerre. Mais comment faire vivre la volonté de créer des ponts artistiques et culturels dans un contexte en bichromie où les couleurs ont disparu, où tout doit se décliner en noir ou en blanc ?

La guerre en Ukraine est venue bousculer le fonctionnement de l’événement, mais c’est peut-être dans ce déchaînement qu’émerge la stature réelle d’un projet qui renvoie à la nécessité du « vivre ensemble » à l’échelle planétaire. Ouvert sur l’espace public, à l’instar de la performance de Natacha Kouznetsova « La marée Humaine 2», le programme de dansePlatforma offre durant 6 jours des possibilités d’échanges et d’expressions aussi bien citoyennes qu’artistiques. En amont de l’événement, des cafés citoyens se sont tenus à Montpellier et à Lunel, occasion de s’interroger sur la place des artistes en temps de guerre et de retenir quelques questions qui seront posées aux artistes invité.e.s lors de tables rondes au Théâtre la Vignette et à la Panacée. Le 24 janvier, les élèves du Conservatoire de Région et d’Epsedanse auront carte blanche à la Cité des arts.

 

Iona Marchidan

 

Dissident russes exilés, polonais, ukrainiens, roumains, les artistes sélectionnés posent tous un acte artistique fort qui résonne avec l’actualité. Le spectacle fragile et intime Reverse discourse de la roumaine Iona Marchidan est programmé au Hangar Théâtre. À découvrir à la Hall Tropisme l’installation vidéo de l’ukrainien Denys Zhdanov dernièrement présenté au Palais de Tokyo, couplé avec la performance « Out Of Season. Undancing Vivaldi du polonais Rafal Dziemidok. L’essentiel de la programmation artistique (à découvrir ici) se tient au Domaine D’O qui accueille 6 spectacles. Parmi lesquels Shell Shock O’K du chorégraphe ukrainien basé à Berlin, Dmytro Grynov, inspiré par des réfugiés d’Ukraine qui ont partagé leurs histoires personnelles et leur voyage depuis les zones de guerre.

Prestance physique, courage et agilité d’esprit seront au rendez-vous de cette seconde édition de dansePlatforma, comme la fidélité obstinée au devoir d’artiste. Les nombreuses rencontres donneront l’occasion d’en appréhender les contours. S’il reste difficile d’évaluer les incidences de la guerre en Ukraine sur l’avenir, la première étape est de parvenir au retour de la paix.

Dans le feux de l’action, dansePlatforma donne l’occasion de toucher du doigt les plus beaux gestes qui se libèrent et par là-même mettent les spectateurs au défi de parvenir à gérer les différences, la diversité et l’hétérogénéité de l’Europe de l’Est, dont les artistes invités à Montpellier expriment les valeurs intrinsèques.

Ce projet singulier nous appelle à découvrir des rives méconnues. Il invite à créer des passerelles avec les cultures de l’Est de l’Europe. On peut y souscrire de différentes manières pour donner du poids à l’Europe de demain. L’entente dans la paix et la diversité est précisément ce qui fait la force du vieux continent et la culture est un puissant véhicule pour y parvenir.

Jean-Marie Dinh

 

Réservation Domaine d’O :
0 800 200 165 (numéro vert)
Billetterie ouverte du lundi au vendredi de 14h et 18h
www.domainedo.fr
Entrée Nord – Hall du Théâtre Jean Claude Carrière (Tram 1 arrêt Malbosc)

Notes:

  1. Roulette russe le 24 janvier à 20H30 au Domaine d’O
  2. La marée Humaine de Natacha Kouznetsova : un hymne dansant pour la paix qui lancera la manifestation le 23 janvier à la Station de tramway “Corum” se déplaçant progressivement pour rejoindre la Maison des relations internationales.
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Après des études de lettres modernes, l’auteur a commencé ses activités professionnelles dans un institut de sondage parisien et s’est tourné rapidement vers la presse écrite : journaliste au Nouveau Méridional il a collaboré avec plusieurs journaux dont le quotidien La Marseillaise. Il a dirigé l’édition de différentes revues et a collaboré à l’écriture de réalisations audiovisuelles. Ancien Directeur de La Maison de l’Asie à Montpellier et très attentif à l’écoute du monde, il a participé à de nombreux programmes interculturels et pédagogiques notamment à Pékin. Il est l’auteur d’un dossier sur la cité impériale de Hué pour l’UNESCO ainsi que d’une étude sur l’enseignement supérieur au Vietnam. Il travaille actuellement au lancement du média citoyen interrégional altermidi.