Rencontrés au moment des vacances de Pâques, Gabrielle, Emma et Thomas, étudiants en Licence LLCER – Anglais à l’université d’Avignon, ont témoigné des difficultés dues à un manque d’organisation, mettant en péril la scolarité de nombreux étudiants, voire leurs conditions de vie. Leur deuxième année à l’université aura été celle de la confusion et de l’incertitude. L’une des trois a contracté la Covid… chez elle. Cet entretien a été réalisé en distanciel.


 

 

Nous sommes au printemps, depuis quand n’êtes-vous plus allés en fac  ?

Gabrielle : Mes derniers cours en présentiel étaient en octobre dernier. Nous avons été autorisés ensuite à revenir deux fois par semaine, mais beaucoup étaient retournés chez leurs parents et n’ont pas pu garder l’appartement qu’ils louaient ici. Donc, nous n’avons plus de cours en présentiel, beaucoup de profs nous envoient du travail mais sont trop souvent injoignables. On leur envoie des mails et ils ne répondent jamais.

Il y a beaucoup d’étudiants qui dépriment « grave ». Les cours sont asynchrones, il n’y a pas d’horaires, nous sommes livrés à nous-mêmes. Il y a quand même deux ou trois profs qui essaient de rendre tout ça un peu plus interactif. Les autres donnent des « pdf » de 13 pages.

Mais le plus difficile, ce sont les relations avec l’administration, qui nous annonce les décisions relatives aux cours, à la présence, beaucoup trop tard. Par exemple, on a appris cette semaine que les vacances étaient pour la semaine prochaine. On sait aussi qu’il y a des problèmes avec l’organisation des semaines à venir, il y a même des profs qui apprennent les infos par des étudiants.

 

Il semblerait que vous ayez des problèmes de communication avec l’administration ?

De temps en temps, nous avons un mail de la secrétaire de l’université. En gros, chaque fois que Macron a parlé, nous avons reçu un message. À côté de ça, chaque prof fait à sa sauce. Il y en a qui font tout en distanciel, ceux qui tiennent aux examens en présentiel. Notre délégué va souvent voir les profs pour essayer de démêler tout ça.

 

Avant cette situation, y a-t-il eu une rentrée dans les locaux de l’université ?

Nous avons eu des cours à la rentrée, avec le masque et une chaise libre entre chaque étudiant. Ça, c’était jusqu’à la Toussaint, puis après ça a été le confinement, nous n’avons plus repris. Ailleurs, comme aux Beaux-Arts, les cours ont lieu en présentiel, à l’université de Bordeaux, c’était une semaine sur deux. C’est compliqué à gérer parce que ça change tout le temps. Nous avions des cours qui finissaient à 19h, quand le couvre-feu est passé à 18h… De toute manière, nous ne sommes plus retournés en cours.

 

Pourrais-tu nous parler de la situation matérielle des étudiants que tu connais ?

Je sais que l’université a prêté des ordinateurs pour les cours, avec caméras. Certains sont, au maximum de leurs possibilités, restés à Avignon mais c’était compliqué pendant le confinement, beaucoup se sont retrouvés enfermés dans de petits appartements… Ils ont fini par rentrer chez leurs parents. Surtout ceux qui viennent d’autres régions assez lointaines. Il y avait beaucoup d’étudiants de Bretagne dans notre section, ce semestre; ils ont préféré rentrer chez eux. Les profs disent qu’ils ne sont pas assez motivés.

La deuxième semaine après la rentrée, j’ai été testée « cas contact », donc je prenais les cours à distance, et dans ma promotion il y a des jeunes mamans qui sont en famille pendant le cours.

 

Emma nous a rejoint. Que dis-tu, de ton côté, de la situation créée par les mesures successives depuis plus d’un an ?

Emma : Ça pourrait être pire. Bon, au niveau de l’organisation de l’université, on est loin de l’excellence. D’accord, on a appris que les vacances étaient déplacées, mais au final, ça nous arrange. Ça permet de faire une coupure et d’avoir une semaine de révision. Nous devons nous réorganiser pour réviser et aussi pour les cours, mais dès que l’on sait comment, tout change. Des profs veulent nous faire venir, alors que ce n’est pas préconisé. Il y en a un qui fait un peu ce qu’il veut, il enlève son masque en cours. Ce sont ceux qui habitent loin qui sont vraiment touchés, parce que ça occasionne des dépenses ; ils ont fini par rentrer dans leurs familles et ne vont pas revenir pour un seul cours par semaine… Au début, on a bien essayé de nous organiser en sous-groupes, de diviser le groupe en deux, mais l’idée a fini par être abandonnée.

 

Thomas arrive, il est aussi le représentant des étudiants de cette section. Concernant l’idée des sous-groupes, pourquoi l’idée a-t-elle été abandonnée ?

Thomas : L’idée n’a pas été abandonnée, c’est toujours en place. Le jeudi, je me rends en cours, il y avait jusque-là beaucoup de monde. Mais maintenant, plus aucun prof ne veut le faire, et personne ne va plus en cours, à part un ou deux étudiants chaque semaine.

Emma : Il s’agit de cours comodaux1, des cours en présentiel, selon les souhaits de chacun.

Thomas : Concrètement, ce sont des cours lors desquels les profs sont présents sur le campus, et des étudiants peuvent être là et les autres en distanciel. C’est un peu difficile à organiser, et l’université n’est clairement pas préparée à faire ça. Ils n’ont même pas les connexions nécessaires. Ce n’est d’autant pas normal que ça fait plus d’un an que l’on est dans cette situation. On en veut un peu à l’administration parce qu’ils avaient la possibilité d’anticiper tout ça, mais ils ne l’ont pas fait. Depuis mars 2020, ils ont eu le temps d’y penser, aux problèmes des cours notamment.

 

Et au niveau des conditions d’accueil à l’université ?

Thomas: En début d’année, on nous a distribué du gel hydro-alcoolique dans les salles, les bidons étaient vides au bout d’une semaine, et ça continue comme ça.

Emma : Quand les cours étaient en distanciel et les examens en présentiel, tout le monde venait…

Thomas : Et les bancs, les tables n’étaient pas nettoyés. C’était à nous de le prévoir et de les nettoyer avec des lingettes. Chaque semaine — j’ai constaté que ça continue — aucune table n’est nettoyée. Ils manquent clairement de personnel. Nous connaissons beaucoup d’étudiants qui seraient contents d’être payés pour faire ça.

Emma : On nous demande de venir avec des lingettes, de mettre un coup de gel sur les tables. Il faut aussi venir avec son repas et amener des sacs pour jeter les détritus.

Thomas : on peut manger à l’université, mais dehors. On peut prendre un repas au resto U à condition de jeter les déchets dans les poubelles de la fac. Le pire pour moi c’est la décision concernant les vacances. Cela s’est fait sans aucune concertation. C’est un prof qui nous a prévenus via Facebook. Je suis représentant des étudiants et il savait que personne n’avait été prévenu, aucun élu. On nous avait pourtant dit que nous serions écoutés. Les profs non plus n’ont pas eu leur mot à dire. Nous avons fini par avoir un message de la secrétaire pour nous informer, mais aucun message du président. C’est une décision prise en petit comité.

 

Et concernant les jobs étudiants ?

Emma : j’ai une amie qui travaille. Elle a lâché les cours pour garder son emploi. Une autre a perdu son boulot à cause des changements permanents à la fac.

Thomas : c’est devenu difficile de trouver du boulot. Les employeurs nous parlent de leur perte de chiffre d’affaire. Je travaillais chez MacDonald’s et le patron a licencié tous ceux qui étaient en période d’essai.

Nous avons vraiment besoin d’un porte-parole, nous ne sommes ni écoutés par le gouvernement, ni par la fac, seulement par certains profs. Nous voulions faire une pétition, cela nous a été défendu.

 

Est-ce que cela a découragé des étudiants ?

Thomas : En début d’année, nous étions 80 en L2. Au quatrième semestre, il y a eu 52 devoirs rendus. En cours, nous sommes rarement plus de 20, en présentiel et distanciel confondus. En décembre, nous avons eu peu de vacances alors que les gens n’en peuvent plus, ils pleurent, il y a trop de pression, de décisions qui stressent et qui ruinent leur motivation.

Emma : Nous en sommes arrivés à compter les semaines, les partiels arrivent, rien de facile à l’horizon, mais chaque semaine un devoir à rendre.

Thomas : On reçoit les cours en pdf, ça fait beaucoup de choses à faire, et si on ouvre le cours trop tard, on galère.

C’est difficile dans ces conditions d’être toujours motivé. Il y a la pression de la sélection, notamment pour ceux qui veulent partir à l’étranger en Erasmus, là il faut de bonnes notes. On survit, mais c’est plus dur pour ceux qui sont en première année, qui découvrent tout ça. Beaucoup décident de se réorienter.

Nous avons réussi à avoir les dates d’examens en envoyant un mail à tous les profs. Une seule l’avait donné sans qu’on lui demande. Les autres disaient l’avoir communiqué à l’université la semaine précédent l’examen, mais même en ayant les dates, il reste plein d’incertitudes avec ces examens en distanciel.

 

Au niveau des infrastructures, comment cela se passe-t-il ?

Gabrielle : il y a eu des problèmes de connexion lors des examens. J’ai demandé s’il y aurait des rattrapages et je n’ai jamais eu de réponse. On essaie de relancer les profs quand ils nous oublient. Le problème c’est que si on est absent aux examens, on pourrait être amenés à rembourser les bourses.

Thomas : Beaucoup de profs ne répondent pas aux mails, au prétexte qu’ils en reçoivent beaucoup.

Emma : on a parfois l’impression d’être encore au lycée. On prend les décisions sans jamais nous consulter.

 

Y a-t-il eu des cas de Covid à l’université ?

Thomas : en octobre-novembre, nous avons reçu un mail pour nous dire qu’il y avait eu une vingtaine de cas à l’université, mais on ne nous a pas dit quelle promotion était concernée.

Emma : Au premier semestre, nous avons su qu’un étudiant de notre promotion avait eu la Covid une semaine avant les vacances. Il n’est jamais revenu.

Thomas : Depuis, nous n’avons plus eu d’infos concernant la Covid. On sait que des tests ont été organisés, puis plus rien…

Pour moi, le plus important c’est le manque de considération auquel nous faisons face. On ne nous écoute pas, on ne se met pas à notre place.

L’université n’était clairement pas préparée à la rentrée universitaire alors que ça faisait plusieurs mois qu’on parlait des mesures, comme les cours en distanciel. Mais le réseau à Avignon n’est pas au point, il y a eu des cours ou ça coupait sans arrêt. Il y a du matériel dans deux ou trois amphis, mais c’est tout.

 

Propos recueillis par Christophe Coffinier

Notes:

  1. Cours comodal : gestion simultanée d’une classe physique, d’une classe virtuelle synchrone et d’une classe en ligne asynchrone. Choix hebdomadaire de l’étudiant en fonction de ses besoins et de ses préférences. Le nombre d’étudiants en classe et en ligne fluctue d’une semaine à l’autre. Certains étudiants peuvent être toujours en ligne et d’autres toujours en classe. L’enseignant doit donc être en mesure d’encadrer les étudiants dans tous les modes. 
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Passionné depuis l’âge de 7 ans, de photo, prise de vue et tirage, c’est à la fin d’études de technicien agricole que j’entre en contact avec la presse, en devenant tireur noir et blanc à l’agence avignonnaise de la marseillaise. Lors d’un service national civil pour les foyers ruraux, au sein de l’association socio-culturelle des élèves, c’est avec deux d’entre eux que nous fondons un journal du lycée qui durera 3 ans et presque 20 numéros. Aprés 20 ans à la Marseillaise comme journaliste local, et toujours passionné de photo, notamment de procédés anciens, j’ai rejoint après notre licenciement, le groupe fondateur de l’association et suis un des rédacteurs d’Altermidi, toujours vu d’Avignon et alentours.