Ce jour anniversaire du premier exercice du droit de vote des femmes est l’occasion d’affirmer la nécessaire mobilisation en faveur de l’égalité entre les femmes et les hommes, composante essentielle du « bien vivre ensemble ». Même si elle est le fruit d’une conquête récente, l’égalité en droits est désormais construite. Notre défi reste l’égalité effective entre les femmes et les hommes.
Il y a 77 ans, les femmes votaient pour la première fois en France ! Le 21 avril 1944, le général de Gaulle octroie par ordonnance, dans le cadre du gouvernement provisoire d’Alger, le droit de vote aux femmes françaises. Un siècle s’était écoulé après l’instauration du suffrage universel masculin, en 1848. Les femmes deviennent alors en France « électrices et éligibles dans les mêmes conditions que les hommes ». Le 29 avril 1945, ces Françaises exercent ce droit pour la première fois dans le cadre des élections municipales.
Une conquête tardive en France…
Ce droit de vote des femmes est arrivé tardivement en France. Les Néo-Zélandaises votaient déjà depuis 1893 et les Australiennes depuis 1902. Après la Grande Guerre, le mouvement des suffragettes1 et la participation des femmes à « l’effort de guerre » sont couronnés par l’octroi du droit de vote pour les femmes dans plusieurs pays, comme la Grande-Bretagne, l’Allemagne, les Pays-Bas, les États-Unis, puis l’Inde, la Turquie ou le Brésil 2.
En France pourtant, les réticences subsistent dans l’entre-deux-guerres. Réticences anciennes, que la période de la Révolution française n’a pas permis de lever, bien au contraire. En 1795, les femmes ont même interdiction de se réunir dans la rue à plus de cinq ! Un député affirmait par exemple en 1793 : « Les femmes sont peu capables de conceptions hautes et de méditations sérieuses. »
Les femmes ont pourtant pu voter au cours du Moyen-Âge, dans certaines élections de conseils communaux ou à l’occasion d’états généraux, jusqu’en 1498 où un décret parlementaire classe les femmes parmi les citoyens « passifs » ne pouvant s’acquitter du cens électoral3, au même titre que les enfants et les étrangers. Durant la révolution, Olympe de Gouges s’est illustrée par sa « déclaration des droits de la femme et de la citoyenne » avant d’être guillotinée en 1793. Elle déclarait d’ailleurs :
« La femme a le droit de monter à l’échafaud, elle doit avoir le droit de monter à la tribune »
Lors des législatives de 2017, 224 femmes ont étés élues au Palais-Bourbon, soit 38,8 % des 577 sièges de députés. Elles étaient 155 sous la précédente législature. Un record ! s’est enthousiasmé la presse nationale.
Il avait fallu attendre 1997 pour dépasser 10 % d’élues à l’Assemblée nationale, après les 33 pionnières de 1945 (5,6 %). « À ce rythme de progression du nombre de sièges obtenus par les femmes, la parité serait atteinte à l’Assemblée nationale dans une quinzaine d’années », estime l’Observatoire des inégalités. Avec 32 % de sénatrices, la parité progresse très lentement au Sénat où les femmes occupent 31,6 % des sièges. La présidence du Sénat n’a jamais été occupée par une femme jusqu’à maintenant.
Ce que l’on rend visible n’incite pas au changement
Ce déséquilibre en termes de représentation politique produit des effets dans tous les secteurs de la vie sociale. Un phénomène auquel s’ajoute le fait que la sphère gouvernementale mobilise souvent les figures féminines à contre-courant, à l’instar de la ministre des Armées censée incarner l’autorité sans en disposer. Il y a moins d’un an, Florence Parly annonce, sur la base aérienne de Salon-de-Provence, « l’ambitieux » objectif d’atteindre 10 % de femmes généraux en 2022. Elle attend aujourd’hui les ordres de l’Élysée pour réagir tardivement à l’appel nostalgique de vieux généraux qui souhaitent partir en croisade. Dans un autre registre, on a vu la ministre de la Culture Roselyne Bachelot considérer l’occupation des lieux de la culture « inutile » et définir cette démarche d’émancipation comme une menace pour les « lieux patrimoniaux ». Alors que les femmes, qui sont les premières cibles de la réforme chômage, tiennent dans ce mouvement social une place prépondérante. Sous des angles et à des degrés divers, les compétences des femmes qui sont rendues visibles ne vont pas dans le sens de l’émancipation et du changement.
Les femmes sont surreprésentées dans les professions incarnant les « vertus dites féminines » (administration, santé, social, services à la personne). Elles représentent 97 % des aides à domicile et des secrétaires, 90 % des aides-soignant.es4. Pourtant, les « experts » interrogés par les médias sur la Covid-19 et ses conséquences étaient à 80 % des hommes. « La parole d’autorité reste un monopole largement masculin, y compris dans un secteur comme celui de la santé où les femmes sont majoritaires », constate la revue des médias INA5. Ce que nous pouvons cruellement constater dans la gestion de la crise sanitaire, avec les résultats que l’on sait.
Jean-Marie Dinh
Notes:
- Les suffragettes ou la Women’s Social and political Union (WSPU) [l’union politique et sociale des femmes], est une organisation féministe créée en 1903 et dissoute en 1917, qui a milité en faveur du droit de vote des femmes au Royaume-Uni. En 1918, les femmes britanniques obtinrent le droit de vote à partir de 30 ans (les hommes pouvaient, eux, voter dès l’âge de 21 ans). L’égalité fut établie dix ans plus tard, lorsque les femmes furent autorisées à voter dès 21 ans en 1928.
- Sources : Délégation régionale aux droits des femmes et à l’égalité femmes-hommes en Bourgogne.
- Dans le cadre du suffrage censitaire, le cens est un seuil d’imposition qui conditionne le droit de vote et l’éligibilité des citoyens : seuls les plus imposés ont le droit de voter, et il faut généralement payer un impôt encore supérieur pour avoir le droit d’être candidat aux élections.
- Sources : Observatoire des inégalités données, 2011
- https://larevuedesmedias.ina.fr/etude-coronavirus-information-television-bandeaux-femmes-hommes