Procès en « irresponsabilité » au moindre rassemblement, à la moindre fête d’un côté, cours à distance, privation de liens sociaux, vocabulaire de temps de guerre (le « couvre-feu » à 18 heures) de l’autre : le sort fait à « la jeunesse » en ces temps de crise sanitaire n’en finit pas d’interroger.
« Tenez bon » a dit Emmanuel Macron aux jeunes. Un conseil en forme d’encouragement ou une injonction de plus ? Mais pour « tenir bon », encore faut-il avoir un horizon, commentait il y a quelques semaines la psychologue Marie de Hennezel sur le plateau de C politique. Or, quel horizon propose Emmanuel Macron aux jeunes générations ? Devenir milliardaires pour les uns, travailler pour une plateforme de livraisons pour d’autres qui n’ont pas eu la chance de naître dans les beaux quartiers. Plutôt Uber que dealer, l’alternative est peut-être un peu limitée. Et l’horizon pour le moins bouché.
Les reportages alarmants sur la détresse, voire la misère des étudiant.es se multiplient, de chaînes de télé en colonnes de journaux, même chez ceux qui sont bien en cours. Pourtant, à la moindre occasion, ces mêmes médias dominants ou des « responsables » politiques font des procès en irresponsabilité à la jeunesse. Coupable de se rassembler, sur les quais de Paris ou de Toulouse, coupable de boire un verre, coupable de continuer à s’embrasser. « Sois jeune et tais toi », comme sur une célèbre affiche de Mai 68 ?
La fameuse free party organisée en Ille-et-Vilaine a fait scandale, ajoutant une pièce à ce procès. « Depuis cette polémique, la fête et la nuit sont redevenues le lieu prétendu de toutes les débauches et de contaminations. Or en réalité, un mois plus tard, l’ARS de Bretagne a confirmé qu’il n’y avait pas eu de cluster à cet endroit là », indique Benoît Hocquard, adjoint (Génération-s) au tourisme et à la vie nocturne à la mairie de Paris1.
Où est le vrai scandale ?
Le vrai scandale (le mot est faible) ne serait-il pas dans les files d’attente des aides alimentaires, ou pire, dans les récents suicides d’étudiants, véritables actes d’accusation contre notre société, incapable de proposer un avenir désirable ? Le vrai scandale ne serait-il pas dans le refus obstiné du pouvoir d’instaurer ne serait-ce qu’un RSA jeune — réclamé dès le mois de mai 2020 par le Secours Catholique, ATD Quart Monde et la Fondation Abbé Pierre dans une tribune publiée par Le Journal du dimanche — ou une allocation d’autonomie pour les étudiant.es ? Dans le refus de rétablir l’impôt de solidarité sur la fortune ?
Selon l’INSEE qui fixe le seuil de pauvreté à 1063 euros par mois pour une personne seule (63 % du revenu médian), un pauvre sur deux a moins de 30 ans2.
« Crise sanitaire » nous dit-on. Mais le mot « crise » est omniprésent, non pas depuis 2020 et sa version sanitaire mais depuis les années 1970 ! Une crise vient toujours en chasser une autre, ou plutôt s’ajouter à une autre. Aucun gouvernement, hormis lors de la courte embellie des années 1981-1983, n’a été en mesure d’œuvrer pour un mieux-être, un changement réel des conditions de vie du plus grand nombre ou d’ouvrir des perspectives aux différentes générations. Ce n’est pas de l’impuissance, ou alors une impuissance savamment organisée qui se cache derrière de bien commodes paravents : « l’Europe », la « conjoncture », la « compétition mondiale », « la dette »…
À rebours de certaines représentations médiatiques, on pourrait louer l’infinie patience des jeunes, étudiants contraints de suivre des cours à distance (sauf un jour par semaine), privés de contacts avec leurs pairs, de fêtes, de concerts… « Notre maison brûle et on regarde ailleurs » disait un président en parlant d’autre chose. Et pendant que la maison brûle, une ministre qui devrait être chargée de défendre l’Université et les étudiant.es se vautre dans une pitoyable polémique sur un prétendu « islamo-gauchisme », concept qui n’en est pas un et dont on chercherait en vain un quelconque fondement scientifique. Cela s’apparente fort à l’art d’allumer des contre-feux. Il y a peu, on nous avait fait le coup avec une « théorie du genre » tout aussi inexistante. Faut-il le rappeler ici ? Seules les études sur le genre existent bel et bien.
Si l’on écarte quelques larmes de crocodiles, ils ne sont pas si nombreux ceux ou celles qui se penchent réellement sur la détresse d’une grande partie de « la jeunesse ». En l’occurrence, on peut saluer l’acte de désobéissance de Florence Gourlay, professeur de géographie à l’Université Bretagne Sud qui ne revendique aucun héroïsme mais a entendu le message des étudiant.es et leur soulagement après le retour des cours « en présentiel », ce nouveau mot que la pandémie nous aura légué pour le pire… et pour le pire. Sa hiérarchie a renoncé à la sanctionner.
À Lyon, des étudiant.es de Sciences Po ont décidé le 25 janvier qu’il leur était impossible de vivre un second semestre à l’image du premier où seuls les travaux dirigés (TD) et les partiels avaient lieu « en présentiel ». Aussi, décision fut prise d’organiser des cours autogérés et des ateliers-débats pour aider à se remotiver3. « Tout ça c’est de l’expérimentation. Mais de manière générale il n’ y a pas assez de débats à Sciences Po », souligne une étudiante. Il est vrai que l’institution a davantage fait parler d’elle pour d’autres raisons ces dernières semaines…
Alors, c’est quoi cette foutue période pour les jeunes (et les autres aussi) ? Une mise à l’épreuve, une façon de tester leur capacité à encaisser, comme on dit chez les boxeurs ? Ah non, c’est surement pour travailler leur « résilience », le nouveau mot fétiche de ceux qui se paient de mots. Là où il faudrait enfin, des actes.
J-F. Arnichand
Photo DR altermidi Lucas Arnichand