Ce qui se passe chaque jour nous déconcerte. Face au flux d’information continu, le journaliste rassemble les éléments dispersés en s’efforçant de dégager une cohérence. Cela permet de hiérarchiser les données pour éviter de réagir de façon passionnelle, de mieux comprendre et interpréter ce qui est en train d’advenir. La tâche est rude ces derniers temps…


 

Si altermidi travaille à construire ses contenus avec les acteurs de la société civile sans exclure les représentants politiques, c’est que la question qui se pose aujourd’hui n’est pas de savoir qui va gagner les prochaines élections mais d’offrir les moyens aux citoyens à travers l’information, en diversifiant les sources et les angles de vues, de se forger une opinion et de pouvoir la faire valoir dans un cadre démocratique. Dès lors que le citoyen est supposé posséder la faculté de juger en raison, on doit lui accorder le droit de s’exprimer sur la chose publique.

Reste qu’en prenant un peu de recul, il apparaît qu’aujourd’hui l’information qui émerge de nos boîtes mail ou de la revue de presse effectuée chaque matin au réveil nous plonge dans un univers informationnel de plus en plus étrange et trouble. Force est de constater que l’information diffusée par les médias de masse permet difficilement au citoyen de juger en conséquence. Il en découle un mode de gouvernance où les responsables politiques, s’appuyant sur des savoirs d’experts — en matière économique particulièrement — savent mieux que le peuple ce qui est bon pour lui. Le peuple n’est donc consulté que pour la forme, c’est-à-dire pour entériner des projets de lois sans qu’il ait pris part à leur élaboration.

Ce débat sur le rôle de l’information dans notre démocratie concerne notre métier de journaliste, mais la dégradation des conditions de travail est telle au sein de notre profession qu’il ne trouve pas d’espace d’expression. La précarisation des journalistes, la réduction des effectifs et les directives hiérarchiques conduisent à une baisse de qualité de l’information et à une dépendance croissante à l’égard du pouvoir.

Les récents plateaux télévisés organisés entre le ministre de l’Intérieur et la présidente du RN puis entre le même ministre et le polémiste d’extrême droite Eric Zemmour démontre de manière alarmante où se situe le débat politique français aujourd’hui. Cette semaine, on aura pu mesurer l’ampleur de la dérive avec le sondage Ifop sur la perception qu’ont les Français de la notion d’« islamo-gauchisme » commandé par la chaîne d’information privée CNews où s’exprime le racisme le plus décomplexé, sondage sujet à caution, repris et traité en Une par Le Figaro, BFM TV et la chaîne publique Franceinfo.

Le syndicat de journalistes Snj-Cgt épingle la direction de France télévisions, qui cède à la confusion des genres, dans un communiqué publié jeudi : « Samedi dernier, le 20 heures a décidé de rappeler les Français à l’ordre. « Relâchement », le mot est asséné par le présentateur, et les promeneurs qui se relâchent en omettant de porter leur masque sont montrés du doigt devant la France entière. Filmés à leur insu, et parfaitement reconnaissables, ils sont en infraction, passibles d’une amende de 135 euros. Ils découvrent le soir même qu’ils ont été dénoncés par la télévision publique. Pire, une personne est filmée en train d’être sermonnée par une escouade de policiers qui elle, a droit à l’anonymat. »

 

Jasper Johns, The Critic Sees, 1961.

 

Les effets de la Covid-19 sur l’information

 

Faut-il y voir les effets de la Covid-19 sur l’information ? Alors que cette pandémie appelait un besoin d’information évident pour la combattre collectivement avec efficacité, le traitement paralysant et infantilisant institué par notre gouvernement a produit des effets totalement contre-productifs.

On ne peut dire pourtant de ceux qui nous gouvernent qu’ils ne maîtrisent pas les techniques de communication, bien au contraire… Les Français auraient compris sans effort que face à la situation sanitaire, la tâche était difficile. Mais contrairement à un message visant à associer et responsabiliser la population, en reportant les élections, en neutralisant la fonction des parlementaires, et en interdisant les manifestations, le pouvoir central a choisi d’user de cette situation à ses propres fins politiques. En cela, il n’a pas été digne d’exercer la fonction que lui ont confié les citoyens.

Imposer sans tenir compte de la notion de souveraineté du peuple n’est pas étonnant pour un esprit libéral radical comme celui de notre président. Ce qui apparaît plus inquiétant peut se constater sur un autre terrain, celui d’un rapport de plus en plus autoritaire au pouvoir.

On garde en mémoire que l’avènement d’Emmanuel Macron s’est construit sur le mythe du « sauveur » et la destruction programmée des partis politiques. Qu’une fois élu, le président s’est empressé d’affaiblir les corps intermédiaires avant de se raviser partiellement en réalisant qu’ils pouvaient lui être utiles, notamment dans la crise des Gilets jaunes, partie immergée d’une crise sociale traitée, mais pas dénouée, par la répression.

Face au nombre et à la gravité des blessures infligées fin février 2019, le Conseil de l’Europe a tenu à rappeler au gouvernement français que « les membres des forces de l’ordre ont, en tant que dépositaires de l’autorité publique, une responsabilité particulière », et que « leur tâche première consiste à protéger les citoyens et les droits de l’Homme ».

L’interprétation que fait le président de la République de la démocratie est peu orthodoxe. Elle lui a valu des critiques venant de représentants des diverses variantes de la démocratie, et notamment des parlementaires de tous bords sur les prérogatives exorbitantes que conférait l’état d’urgence sanitaire à l’exécutif.

L’examen du texte sur la sécurité globale qui arrive au sénat le 16 avril et le Livre blanc censé prendre en compte les enjeux de la sécurité intérieure du 21e siècle sélectionnent les mesures plébiscitées par les forces de police en opposition avec le modèle pénal républicain qui tend à concrétiser l’exigence fondamentale qui fait de la liberté le principe cardinal.

À cet égard, il ne s’agit pas seulement de s’interroger sur les moyens de réécrire tel ou tel article mais de réaliser en quoi l’ensemble de cette proposition porte atteinte à notre système démocratique. L’esprit dans lequel s’inscrit la notion de la  sécurité globale se détourne de l’ordre politique proclamé en 1789 par les constituants qui ont inventé avec la République la notion de « sûreté », c’est-à-dire le droit de tout citoyen à la protection de la loi contre tous les abus de pouvoir, qu’ils émanent des puissances privées ou des autorités : seule la loi peut venir limiter l’exercice de la liberté individuelle, et elle doit le faire chaque fois que celle-ci est menacée.

Ce sont bien les fondements de la démocratie qui sont remis en question. Ce qui se résume sur CNews dans la bouche d’Élisabeth Lévy par : « Nous sommes ligotés par notre droit-de-l’hommisme »

Après les présumés terroristes, les complotistes et les « islamo-gauchistes », les « droit-de-l’hommistes » seront bientôt le cœur de la cible… Lorsque les actions du gouvernement manquent de transparence et que les autorités ou des particuliers cherchent à dissimuler des événements pour tenter d’échapper à leurs responsabilités, la presse a un rôle à jouer.

Soucieux de contribuer à la diversification de l’information régionale, altermidi expose des faits susceptibles d’aider les citoyens à se forger une opinion. Cela nécessite bien souvent de démêler les fils continuellement brouillés par la communication politique.

Sans perdre de vue la quête de la vérité qui est la raison d’être du journaliste, il nous semble important dans cette démarche d’inviter à nos côtés les membres de la société civile et de la sphère politique à considérer l’information comme un droit fondamental, et à défendre, construire et renforcer la démocratie.

Jean-Marie Dinh

 

 

Avatar photo
Après des études de lettres modernes, l’auteur a commencé ses activités professionnelles dans un institut de sondage parisien et s’est tourné rapidement vers la presse écrite : journaliste au Nouveau Méridional il a collaboré avec plusieurs journaux dont le quotidien La Marseillaise. Il a dirigé l’édition de différentes revues et a collaboré à l’écriture de réalisations audiovisuelles. Ancien Directeur de La Maison de l’Asie à Montpellier et très attentif à l’écoute du monde, il a participé à de nombreux programmes interculturels et pédagogiques notamment à Pékin. Il est l’auteur d’un dossier sur la cité impériale de Hué pour l’UNESCO ainsi que d’une étude sur l’enseignement supérieur au Vietnam. Il travaille actuellement au lancement du média citoyen interrégional altermidi.