L’effet de sidération dans lequel nous a plongé l’assaut du Capitole nous renvoie à la fragilité de nos systèmes démocratiques. À cet égard, il n’est pas superflu de s’intéresser aux rouages de l’État de droit dans notre pays. Du Conseil d’État aux autorités administratives indépendantes, où le gouvernement dit se garder de toutes interventions directes, il apparaît que les missions de régulation sont mises à rude épreuve sous le quinquennat d’Emmanuel Macron.


 

« Tout homme qui a du pouvoir est porté à en abuser » pensait Montesquieu, le père de la séparation des pouvoirs. Dotée d’institutions solides, la France fonctionne selon le principe politique de séparation des pouvoirs. Les fonctions des institutions publiques sont divisées entre le pouvoir législatif qui fait les lois, l’exécutif qui les met en œuvre et les fait appliquer, et le pouvoir judiciaire qui les interprète et les fait respecter.

Mais d’anecdotes en anecdotes, il apparaît qu’Emmanuel Macron se soucie bien peu de la séparation des pouvoirs qui fonde notre démocratie. Sans remonter jusqu’à l’affaire Benalla, on se souvient qu’en juin dernier le président a demandé à sa ministre de la Justice Nicole Belloubet de « se pencher » sur le dossier Adama Traoré. Difficile d’oublier comment a tourné en eau de boudin la commission d’enquête parlementaire sur la gestion de la crise du Covid-19.

 

Le Conseil d’État, un allié de circonstance ?

 

Dans l’actualité de cette semaine, la décision sur les décrets autorisant le fichage policier des opinions politiques a été rendue lundi par le Conseil d’État. Elle émane du conseiller d’État et juge des référés, Mathieu Herondart, qui  a considéré que ces textes, promulgués le 4 décembre 2020, ne portent pas « une atteinte disproportionnée » à la liberté syndicale, d’opinion, de religion ou à la liberté de conscience.

Problème, Mathieu Herondart était, jusqu’en juillet 2020, directeur de cabinet de Nicole Belloubet, l’ex-garde des Sceaux — qui avait fortement soutenu la loi sur le secret des affaires adoptée en 2018. Il se retrouve donc à juger les actes d’un gouvernement pour lequel il travaillait il y a encore quelques mois.

C’est ainsi que fonctionne le Conseil d’État, les règles ont donc été respectées. Mais cette porosité avec l’exécutif interroge la séparation des pouvoirs. L’institution est censée défendre les libertés fondamentales, lesquelles sont actuellement particulièrement malmenées par le gouvernement.

La plus haute juridiction administrative a été saisie d’une soixantaine de recours sur les décisions du gouvernement. Elle les a rarement remises en cause. « Ces rejets en masse fragilisent gravement l’effectivité du contrôle juridictionnel opéré par le Conseil d’État et remettent en cause son impartialité », ont dénoncé les avocats au barreau de Paris William Bourdon et Vincent Brengarth, dans une tribune au Monde. « La haute juridiction n’est plus simplement le conseiller du gouvernement mais s’en est fait l’allié de circonstance en lui accordant un certificat de légalité qui semble sans fin, couvrant ainsi de graves entorses à l’État de droit. »

 

Les autorités administratives indépendantes menacées

 

Dans un article publié cette semaine sous le titre : Quand Emmanuel Macron piétine les autorités administratives indépendantes, le journaliste de Mediapart Laurent Mauduit s’inquiète, lui, de la probable nomination de Laure de La Raudière pressentie pour prendre la tête de l’autorité de régulation des télécommunications. Une proche d’Emmanuel Macron qui a réalisé une partie de sa carrière chez Orange entre 1990 et 2001 à différents postes de direction. Laure de La Raudière bénéficie également du plein soutien du ministre de l’Économie pour avoir participé activement à la campagne infructueuse de Bruno Le Maire durant la primaire de droite remportée par François Fillon lors de l’élection présidentielle de 2017.

« Imagine-t-on un seul instant qu’un influent homme d’affaires ayant travaillé plus de dix ans pour le sulfureux fonds d’investissement BlackRock puisse un jour être porté par Emmanuel Macron à la présidence de l’Autorité des marchés financiers (AMF) ? Ou alors qu’un dirigeant connu du groupe TF1 soit porté dans les mêmes circonstances à la présidence du Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) ? Ou encore qu’une ex-figure du groupe Sanofi soit nommée à la tête de la Haute Autorité de santé ? », interroge le journaliste de Mediapart.

Lorsque l’on observe les virages et les impasses du quinquennat d’Emmanuel Macron, la réponse est malheureusement oui. Le macronisme a prétendu bousculer les vieilles structures et semblait apporter un souffle démocratique mais il s’appuie sur une idéologie qui veut mettre le pays sur les rails de l’efficacité néolibérale en faisant peu de cas des principes politiques démocratiques.

Les forces centrifuges qui ont conduit les insurgés à vouloir prendre le Capitole travaillent aussi la France. Elles sont le produit de décennies d’abandon de la promesse démocratique.

Jean-Marie Dinh

 

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Après des études de lettres modernes, l’auteur a commencé ses activités professionnelles dans un institut de sondage parisien et s’est tourné rapidement vers la presse écrite : journaliste au Nouveau Méridional il a collaboré avec plusieurs journaux dont le quotidien La Marseillaise. Il a dirigé l’édition de différentes revues et a collaboré à l’écriture de réalisations audiovisuelles. Ancien Directeur de La Maison de l’Asie à Montpellier et très attentif à l’écoute du monde, il a participé à de nombreux programmes interculturels et pédagogiques notamment à Pékin. Il est l’auteur d’un dossier sur la cité impériale de Hué pour l’UNESCO ainsi que d’une étude sur l’enseignement supérieur au Vietnam. Il travaille actuellement au lancement du média citoyen interrégional altermidi.