Une journée nationale de mobilisations contre les divers projets d’implantations d’entrepôts Amazon s’est déroulée le samedi 30 janvier. Illustration à Fournès où 1500 personnes se sont rassemblées pour dire leur refus d’« Amazon et de son monde ». Rendez-vous est déjà pris pour le 29 mai.


 

Amazon, c’est un vrai paquet cadeau pour manifestant-e-s : surexploitation et conditions de travail déplorables qui se traduisent par un turn-over important, atteintes multiples à l’environnement, évasion fiscale… et, cerise sur le gâteau, un PDG, Jeff Bezos, qui trône au premier rang des grandes fortunes mondiales avec une hausse « spectaculaire » de ses revenus en pleine crise sanitaire : selon le récent rapport d’Oxfam, ils ont progressé de  69,3 milliards d’euros entre mars et décembre 2020. Avec un tel client, chacun-e pouvait avoir une, ou plutôt plusieurs bonnes raisons de (se)manifester samedi sur le territoire de la petite commune gardoise de Fournès. L’éventail des personnes participant à ce rassemblement -des formations politiques (France insoumise, PCF, EELV) aux associations (Extinction Rébellion, Alternatiba, Les Amis de la Terre, Action non violente) en passant par des syndicats (Solidaires, Confédération paysanne) – comme la présence d’élues (Leïla Chaïbi, députée européenne FI, Delphine Batho, députée non inscrite, Corinne Morel-Darleux, conseillère régionale d’Auvergne-Rhône-Alpes) avait valeur de message.

Malgré la pluie, 1500 personnes venues du Gard, de l’Hérault, des Bouches-du-Rhône, du Vaucluse ou même de l’Isère, se sont donné rendez-vous pour une immense chaîne humaine et une opération symbolique de plantation d’arbres sur les lieux exacts où le géant du commerce en ligne veut s’implanter. Toutes les raisons de se rassembler en ce samedi, au lieu d’être dans les centres commerciaux, ont été exposées par les intervenants lors des prises de parole. Leur diversité même, de Solidaires au président de la confédération des commerces, illustrait la multiplicité des enjeux. Jusqu’à celui du patrimoine, à 5 km seulement du joyau du Pont du Gard, expliqué par Didier Riesen, membre de l’association Prima Vera basée à Uzès :  « La sortie Pont du Gard de l’A.9 [celle qui pourrait être empruntée par des centaines de camions si l’entrepôt voyait le jour, Ndlr] qui est aussi l’entrée principale de la route d’Uzès est appelée « route de la romanité », c’est un écosystème culturel exceptionnel sur 20 km et à peu près autant de ronds-points. Cette route traverse vingt siècles d’histoire, elle longe trois sites classés au patrimoine mondial de l’humanité : l’aqueduc du Pont du Gard, la réserve  de biosphère des gorges du Gardon, le patrimoine des murets en pierres sèches et d’autres merveilles comme le château de Castille et les gravures monumentales de Picasso, les édifices classés au patrimoine du XXe siècle, le duché d’Uzès, ville d’art et d’histoire. »

 

« Le patrimoine vivant, notre principale ressource économique »

« Le patrimoine culturel comprend aussi les paysages cultivés et entretenus par les agriculteurs, le bâti ancien et les savoir-faire, poursuit Didier Riesen, il est porteur de notre commun et c’est une ressource importante pour le tourisme et les loisirs. Le patrimoine vivant représente la principale ressource économique de ce territoire. Amazon a le projet de s’installer ici, à l’entrée principale du Pont du Gard : est-ce une erreur, une négligence ou une provocation ? » Pour l’intervenant, le Pont du Gard qui a résisté au temps et aux crues « n’est pas juste un monument de l’Antiquité devant lequel on fait un selfie (…) c’est un chef-d’œuvre classé au Patrimoine mondial de l’Unesco, un grand accomplissement de l’humanité au même titre que les pyramides égyptiennes ou le Mont Saint-Michel. Leur influence ne se limite pas à leur visibilité directe, leur rayonnement est universellement reconnu. Imagine-t-on un instant un entrepôt Amazon dans la baie du Mont-Saint-Michel ? »

La quasi coexistence, à quelques kilomètres de distance seulement, du monument romain et de l’entrepôt poserait de sacrés problèmes de discordance des temps. Le militant associatif pour lequel le Pont du Gard est « une application exemplaire » du traité de Vitruve1 souligne l’opposition entre « les pierres issues de carrières locales il y a 2000 ans et les entrepôts Amazon qui, eux, sont construits pour durer quelques années avec des matériaux polluants et délocalisés. Dès qu’un autre emplacement sera trouvé, Amazon changera et laissera place à une friche, l’objectif n’est pas l’intégration locale mais l’optimisation des dividendes pour les actionnaires ».

Pour Patrick Fertil, le responsable de l’association locale Adere2 qui a mené le combat contre ce projet dès le début, c’est « un cas d’école de ce qu’on ne voudrait plus voir en France au 21e siècle : des aménagements démesurés ». 270 mètres de longueur sur 170 de large et 18 mètres de haut : les organisateurs avaient matérialisé l’emprise du projet, rubalise et ballons dans le ciel à l’appui. Difficile aujourd’hui d’imaginer un entrepôt d’Amazon en ce lieu qui est encore une innocente friche, désormais plantée d’oliviers et de romarin, entre autres. « Un projet gigantesque, avancé dans la précipitation et dans la plus grande opacité, selon Patrick Fertil, alors qu’il était en marche depuis 2017, en 2020 on ne savait toujours rien, le nom d’Amazon n’était même pas cité ». Le militant associatif plaide pour « un développement équilibré dans ce territoire et il ne peut se faire sans la contribution des populations, la concertation, la consultation ».

Adere a déposé des recours, instruits par le Tribunal administratif de Nîmes, contre le permis de construire et l’autorisation environnementale. Et, bonne nouvelle pour les opposants au projet : l’annonce par le procureur de la République, la veille du rassemblement, de la nomination d’un juge d’instruction pour faire la lumière sur d’éventuels conflits d’intérêts sur la commune. 3

4 février 2021

PISTES ET PROPOSITIONS:

 

Delphine Batho : députée des Deux-Sèvres et présidente de Génération écologie

   

« J’ai fait une proposition de loi (1) pour arrêter tous les projets d’Amazon en France, parce que les entrepôts comme celui qu’il est prévu de construire ici détruisent l’emploi, sont le contraire de la relocalisation de l’économie, artificialisent les sols, aggravent le changement climatique, abiment nos paysages et nos terroirs. On est ici à quelques kilomètres du Pont du Gard… On ne peut pas continuer comme ça ! Alors que tout le monde parle de relocalisation de l’économie, être dans une situation où l’État laisse faire exactement l’inverse. Ce qui est très emblématique ici, c’est qu’on retrouve dans ce combat des citoyens qui ne sont pas des militants au départ, des commerçants, le président de la fédération des commerçants de France, des ONG comme les Amis de la Terre, et des élus, bien sûr écologistes, mais la proposition de loi dont je vous parle a été signée de façon trans-partisane par des collègues, par exemple du Modem mais de pleins de différents groupes… Le sens de la manifestation d’aujourd’hui, c’est de montrer au gouvernement qu’on peut se mobiliser de plus en plus nombreux pour empêcher ce projet ».

 

Raphaël Pradeau, porte-parole d'Attac

 

« Il existe un outil très important : le moratoire sur les entrepôts du e-commerce proposé par la Convention citoyenne sur le climat. Qu'a fait le gouvernement ? Il a sorti cette mesure de la loi climat qui sera discutée au mois de mars.

Il y a trois pistes sur ces questions : la première, c'est d'instaurer la taxation unitaire des multinationales. Le principe est très simple : faire en sorte que les multinationales paient l'impôt sur les sociétés là où elles réalisent leurs activités plutôt que là où elles veulent bien déclarer leurs bénéfices ; dans les paradis fiscaux. La deuxième, c'est de mettre fin à la fraude à la TVA, d'autres pays l'ont fait, et la troisième c'est la mise en place d'une taxe exceptionnelle pendant cette période. »

 

Propos recueillis par Nathalie Pioch  et Morgan G.

   
Notes:

1/  Proposition de loi n° 3040 du 1er octobre 2020 « instaurant un  moratoire sur l’implantation de nouveaux entrepôts logistiques destinés aux opérateurs du commerce en ligne et portant mesures d’urgence pour protéger le commerce de proximité d’une concurrence déloyale »

Rapport de la commission des affaires économiques

 

 

Mille arbres plantés symboliquement sur le terrain convoité par Amazon à Fournès

Des emplois, oui mais lesquels ?

 

C’est au nom de l’emploi que ce type de projet est accepté, à Fournès comme ailleurs. On peut comprendre que certains élus puissent s’y laisser prendre, mais un récent rapport du cabinet réalisé pour le Conseil social et économique central de l’entreprise pointe « un choix de gestion RH qui consiste à externaliser en partie la main d’œuvre ouvrière ». Soit le recours massif à des intérimaires qui représentaient 44 % de la main d’œuvre totale en 2019.

« Lorsqu’on se présentait, nous simples citoyens, contre ce projet au nom de l’artificialisation des sols, on nous accusait d’être contre les emplois », déplore François Lassalle de l’association Adere, « nous sommes conscients que notre territoire a besoin d’emplois mais pas n’importe lesquels, pas à n’importe quel prix. Faut-il le rappeler, Amazon ne crée pas d’emplois en France, il en détruit. Ce n’est pas nous qui le disons, c’est un ancien secrétaire d’ État. » En effet, selon Mounir Mahjoubi, ancien secrétaire d’État au numérique, chaque emploi créé par Amazon en détruit 2,2 dans les commerces classiques.

« Ce que nous voulons, ce sont des emplois qui respectent notre qualité de vie, qui créent de la valeur et de l’attractivité pour notre territoire, des emplois qui ont du sens pour les générations présentes et futures, pas des emplois qui insultent notre patrimoine, l’héritage que nous ont laissé les générations passées, poursuit François Lassalle, non pas des emplois qui isolent devant des écrans pour inonder les gens de produits fabriqués à l’autre bout de la planète dans des conditions qui nous indignent tous et que l’on espère ne jamais connaître, ni pour nous, ni pour nos enfants. »

 

Il y aurait des alternatives ?

 

Le fantôme de Margaret Thatcher n’étant pas convoqué ce samedi 30 janvier, plusieurs intervenants en ont profité pour dessiner des alternatives à la logistique et au commerce en ligne : « ce que nous proposons pour cette zone, c’est de préserver son caractère agricole, de créer une régie intercommunale pour approvisionner nos cantines scolaires et les riverains en fruits et légumes, créer une pépinière pour des jeunes agriculteurs et faciliter leur installation, leur permettre de se former sur le terrain avec l’appui de techniciens pour développer de nouvelles techniques respectueuses de la biodiversité et de nos écosystèmes méditerranéens, en permaculture, en agroforesterie, d’où le fait de planter des arbres sur ce terrain », précise François Lassalle qui souhaiterait faire de cette zone « une vitrine du futur parc régional ».

« Emplois », disent-ils, sauf qu’ils « ne seront absolument pas pérennes », selon Raphaël Pradeau, porte-parole d’Attac car « Jeff Bezos ne se cache pas pour dire que dans dix ans il veut avoir robotisé ses entrepôts ».

Quant au lien avec le territoire national, il est pour le moins, disons, distendu  : « Amazon ne paie pas d’impôts en France, quand on achète un produit, les revenus sont déclarés au Luxembourg. L’autre problème massif sur les plateformes du e-commerce, c’est la fraude à la TVA, cela représente 4 à 5 milliards d’euros de manque à gagner pour l’État », souligne le militant d’Attac. Ce qui crée une concurrence déloyale avec les commerces physiques. En outre, « Amazon n’aurait pas à payer la taxe sur les mètres carrés qui va vers les collectivités territoriales, vers ces élus qui peuvent redistribuer cet argent « , précise Francis Palombi, président de la Confédération des commerçants de France.

Après le succès de cette journée, illuminée par la générosité et le talent d’HK et de ses complices musiciens et danseuse, un nouveau rendez-vous est déjà programmé pour le samedi 29 mai. Alors, Fournès, le Larzac gardois ? Et pourquoi pas ? Mais sans la pluie cette fois…

                                                                                                           Morgan G.


Notes:

  1. Ses trois principes sont l’utilité (utilitas), la solidité (firmitas) et la beauté (venustas)
  2. Association pour le développement de l’emploi et le respect de l’environnement
  3. Nous reviendrons sur les aspects juridiques dans un prochain article.
JF-Arnichand Aka Morgan
"Journaliste durant 25 ans dans la Presse Quotidienne Régionale et sociologue de formation. Se pose tous les matins la question "Où va-t-on ?". S'intéresse particulièrement aux questions sociales, culturelles, au travail et à l'éducation. A part ça, amateur de musiques, de cinéma, de football (personne n'est parfait)...et toujours émerveillé par la lumière méditerranéenne"