Le texte qui allonge le délai légal d’accès à l’IVG de 12 à 14 semaines de grossesse (16 semaines d’aménorrhée), a été voté hier par 86 voix pour, 59 contre et 7 abstentions, la plupart des groupes politiques étant partagés. C’est désormais au tour du Sénat de s’en saisir.
Dix heures de débats et des pics de tension : l’Assemblée nationale a adopté en première lecture une proposition de loi visant à allonger le délai légal pour l’avortement, mais son examen a ravivé les passions sur ce sujet jugé « sensible » par le gouvernement, prudent face à la majorité.
Du fait d’un manque de praticiens et de la fermeture progressive de centres IVG, il s’écoule souvent plusieurs semaines entre le premier rendez-vous et l’intervention. Chaque année, entre 3 000 et 4 000 femmes « hors délai » partiraient avorter à l’étranger, selon un rapport parlementaire publié en 2000.
Le débat fait suite à un rapport parlementaire de la délégation aux droits des femmes de l’Assemblée qui préconisait cette mesure. 116 amendements ont été déposés.
Huées, bronca ou à l’inverse salves d’applaudissements : les débats entre les partisans du texte et ses opposants, de la droite et d’ex-« marcheurs » comme Joachim Son-Forget et Agnès Thill, ont fait resurgir les fantômes des discussions sur la loi Veil, adoptée il y a 45 ans.
« Nous attendons que les femmes puissent vivre leur accès à l’avortement comme elles le souhaitent. Les entraves continuent dans notre pays », a tonné l’élue LREM Aurore Bergé.
« Personne ne remet en cause le droit à l’IVG », se sont défendus à plusieurs reprises les parlementaires de droite.
L’ex-LREM Matthieu Orphelin, président du groupe EDS (Écologie, démocratie, solidarité) qui avait mis ce texte à l’ordre du jour, s’est félicité d’avoir « tenu bon »: « Les combats pour les droits des femmes sont toujours difficiles face aux conservateurs ».
De la gauche à la droite, tous les députés ou presque ont invoqué les mânes de Simone Veil décédée en 2017, qui a fait adopter la loi dépénalisant le recours à l’interruption volontaire de grossesse (IVG), pour défendre leurs positions.
Le ministre de la Santé Olivier Véran avait d’emblée qualifié le sujet de « sensible », voire « prématuré ».
Le gouvernement avait choisi d’avancer avec prudence sur un terrain qu’il juge trop miné pour être débattu lors d’une « niche » parlementaire. Un avis largement partagé à droite.
Portée par la députée EDS Albane Gaillot, la proposition de loi a obtenu un large soutien de LREM. Elle fait suite à un rapport parlementaire de la délégation aux Droits des femmes de l’Assemblée qui préconisait cette mesure sur le délai de l’IVG.
« La crise sanitaire et le confinement ont compliqué l’accès à l’IVG, alors qu’il existe déjà des résistances éthiques et des disparités territoriales », a indiqué Albane Gaillot.
Le droit à l’avortement est encore un droit fragile
Si les alliés de la majorité MoDem et Agir se sont montrés majoritairement opposés à la réforme, l’ensemble de la gauche a soutenu la proposition de loi. C’est d’ailleurs du groupe LFI que les plaidoyers furent portés avec le plus d’élan, à l’instar de Jean-Luc Mélenchon ou de Clémentine Autain, qui a raconté avoir elle-même avorté mais en se heurtant à une question de « délai ».
De la droite aux centristes, les opposants ont ferraillé à chaque article et critiqué des dispositions qu’ils jugent venir « déséquilibrer » la loi Veil, comme l’ont souligné Jean-Christophe Lagarde (UDI) ou Jean-Louis Bourlanges (MoDem).
Dans leur ligne de mire : la suppression de la clause de conscience spécifique pour les médecins et sages-femmes, qui maintient l’IVG « dans un statut à part » alors que « c’est un acte de santé comme un autre », selon Mme Gaillot. Une affirmation qui a hérissé les opposants.
« Ce texte ne représente pas un progrès mais une dérive purement idéologique », a tweeté la présidente du RN Marine Le Pen.
En France, le droit à l’avortement est encore un droit fragile avec la fermeture des centres CIVG, l’impossibilité pour les sages-femmes de pratiquer l’IVG instrumentale, et la double clause de conscience pour les médecins, estime l’association Osez le féminisme.
Pour le gouvernement, la partition est délicate. Olivier Véran a rappelé qu’il était essentiel d’attendre l’avis du Comité consultatif national d’éthique (CCNE), que le gouvernement a saisi mardi, « pour faire un travail complet abouti » et éclairer les débats.
Celui-ci doit rendre son avis courant novembre, probablement avant le passage au Sénat.
Le taux de recours à l’avortement a légèrement augmenté en 2019, avec plus de 232 000 IVG pratiquées en France.
Le droit et l’accès à l’IVG sont loin d’être garantis dans toute l’Europe. Sous le slogan « les femmes décident », des dizaines d’associations à travers l’Europe réclament une harmonisation de ce droit.
Avec AFP