En ces temps de lutte contre la pandémie il y a une autre urgence. Celle-ci ne concerne pas la santé mais nos libertés publiques. Plusieurs de ses défenseurs sont sortis vendredi 1er-Mai pour rappeler que cette liberté inaliénable est garantie par la Constitution avant les choix politiques.


 

À Montpellier et à Sète, un appel pour défendre nos libertés publiques a été lancé à l’occasion du premier mai. Les signataires, la LDH, la Cimade, le Dal et le Mrap constatent chacun dans leur champs d’intervention que les mesures liées aux mesures d’urgence sanitaire construisent les concepts d’une société sécuritaire qui passe d’un objectif de santé publique à celui d’assurer l’ordre social.

Un nouvel ordre contre « les forces perturbatrices » pouvant s’incarner, comme on l’a vu depuis le mouvement des gilets jaunes, indistinctement dans les traits d’une foule, d’un individu subversif, d’un étranger ou d’un terroriste. Avec le coronavirus, est apparu un nouveau mode d’organisation spatiale et temporelle, auquel s’ajoute le « dressage » du corps aux règles données, en France, comme celle d’une bonne sociabilité.

Cet appel n’était pas une manifestation puisque celles-ci sont interdites. Il s’agissait donc d’être inventif pour mener une action respectueuse des règles de sécurité sanitaire de confinement et des règles politiques d’exception que cette sécurité justifie. L’idée a donc consisté à sortir de chez soi à une heure dite avec une pancarte et à converger, dans le cadre de son temps de promenade réglementaire, vers le lieu public le plus proche : mairie, préfecture, mairie annexe, Maison pour tous…

Cette opération a été menée dans deux lieux à Montpellier avec une dizaine de promeneurs par groupe. À Sète, ce sont une cinquantaine de personnes qui se sont croisées devant la mairie avec des pancartes.

Le confinement a des effets

Sophie Mazas 1er-Mai DR altermidi

Un des enseignements tiré par l’avocate, Sophie Mazas de la LDH Hérault, concerne l’impact de cette crise sur la psychologie de groupe : « La peur gagne et c’est très inquiétant, le peu de personnes qui nous ont rejoint aujourd’hui, y compris au sein des militants, en est un indicateur. Pris dans la spirale et le matraquage de la propagande, les gens ne contrôlent plus leur propre vie et du coup se mettent à contrôler celle des autres. Si on n’exerce pas nos libertés publiques, on se restreint énormément. » Pour certains, comme pour un gilet jaune déjà victime d’un tir de LBT qui n’a pas pu rejoindre la promenade à cause d’un contrôle, ce sont les forces de l’ordre qui s’en chargent.

Alors que certaines organisations syndicales ont proposé un premier mai au balcon, le choix de sortir pour se consacrer à la défense des libertés publiques plutôt que pour les besoins de son chien n’est pas anodin. Il est éminemment politique et renvoie à la gestion libérale de la crise par « le despotisme éclairé » mis en place par le gouvernement. « C’est en somme à travers l’industrialisation que la technocratie s’est affirmée et qu’elle a commencé de s’exprimer au moyen de différentes doctrines », professait à son époque Georges Friedman.

« Nous ne sommes pas inconscients, explique Sophie Mazas. Localement, les gens qui ne sont pas confinés du fait de leur profession, comme les avocats ou la plateforme alimentaire d’urgence, ont dû s’organiser pour trouver des masques et mettre en place eux-même toute la logistique pour se laver les mains régulièrement et assurer les distances sanitaires. L’État n’était pas là. Nous appelons aujourd’hui toute la population à exercer ses libertés individuelles. Si on ne le fait pas, honnêtement je ne sais pas où nous allons… »

Alors même que l’avocate énumérait les effets tangibles du système de surveillance avec d’un côté le surveillant qui contrôle en pleine visibilité, tandis que le surveillé est appelé à rester chez lui, séparé des autres, un véhicule de la police nationale s’arrête à hauteur du groupe. Les trois policiers qui en descendent ont tôt fait de repérer la présence de journalistes en train de les filmer. S’engage alors un scénario qui aurait vraisemblablement été différent sans la présence de la presse. Celui-ci se résume à un dialogue de sourds.

« Vous vous promenez, là, interroge le policier ?

  • Oui, à l’appel fédéral de la LDH nous respectons notre liberté de circulation de manière individuelle répond l’avocate.

  • Elle n’est pas très individuelle votre circulation.

  • Je suis avec ma famille. En fait nous sommes très légalistes et nous faisons en sorte de rester dans le cadre de la loi.

  • De toute façon on se connaît, vous avez toujours raison. Passez une bonne journée madame.

  • J’espère que si vous l’attrapez on ne vous soignera pas, lance pour conclure un autre agent avant de remonter dans la voiture. »

Cet épisode est assez significatif du rapport qui s’est instauré entre les forces de l’ordre et la population. Les propos de quelqu’un qui connaît ses droits et les fait valoir sont interprétés par les gardiens de l’ordre public comme une insurrection intellectuelle. Mais dans ce cas, les policiers repartent parce que le rapport de force n’est pas en leur faveur.

La tension sociale provoquée par le système politique se traduit de plus en plus sur le terrain par des violences policières aussi bien verbales que physiques. Pour Sophie Mazas, elle impacte aussi gravement le système judiciaire :

« Actuellement, les tribunaux fonctionnent ponctuellement. Les confrères n’ont pas de gel hydroalcoolique*, il n’y a pas de protocole. Il est urgent de donner des moyens aux tribunaux pour fonctionner. La priorité de nos besoins ce ne sont pas des ordinateurs, il en faut mais cela ne remplace pas la justice humaine. Il n’y aura pas de justice avec des machines, il faut des moyens humains. Il faut dire la vérité aux gens ; il n’y a plus de justice, actuellement les personnes passent en jugement de manière non publique. Parfois on prolonge la rétention sans avocat, c’est inadmissible. »

« La pénalisation mise en place actuellement est inique. Le Conseil constitutionnel a été saisi. C’est scandaleux d’enfermer des gens en prison parce que le gouvernement n’a pas été capable de prévoir des tests et des masques. Aucune personne n’est allée en prison en Allemagne pour ne pas avoir respecter un confinement. Il faut se rendre compte que ce qui est en train de se passer dans notre pays est extrêmement grave. L’action collective est une force. Nous devons exercer nos libertés publiques. Et je pense que beaucoup de monde est prêt à le faire. »

Aux messages gouvernementaux qui nous demandent sans cesse de nous adapter, il ne paraît pas insensé de réponde qu’en démocratie, l’incapacité de combiner la liberté et la sécurité est un aveu d’impuissance politique.

Jean-Marie Dinh

 

* Depuis une semaine le Conseil de l’Ordre a fourni du gel hydroalcoolique aux avocats.

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Après des études de lettres modernes, l’auteur a commencé ses activités professionnelles dans un institut de sondage parisien et s’est tourné rapidement vers la presse écrite : journaliste au Nouveau Méridional il a collaboré avec plusieurs journaux dont le quotidien La Marseillaise. Il a dirigé l’édition de différentes revues et a collaboré à l’écriture de réalisations audiovisuelles. Ancien Directeur de La Maison de l’Asie à Montpellier et très attentif à l’écoute du monde, il a participé à de nombreux programmes interculturels et pédagogiques notamment à Pékin. Il est l’auteur d’un dossier sur la cité impériale de Hué pour l’UNESCO ainsi que d’une étude sur l’enseignement supérieur au Vietnam. Il travaille actuellement au lancement du média citoyen interrégional altermidi.