Mobilisations quasi impossibles, malgré péril flagrant de contamination. Et les profits continuent : les magasins ouvriront même ce lundi de Pâques. Malgré sa publicité hyper offensive sur les réseaux sociaux (pour nous hurler qu’il reste au service de ses clients), Casino montre, dans ce magasin, le peu de cas qu’il fait des risques de contamination pour ses employés, mais aussi pour ses fameux clients.


 

9h20, ce jeudi matin, au Géant Casino de Prés d’Arènes à Montpellier. Une seule caisse non automatisée est en fonctionnement. Conséquence : une queue de plus de dix clients se forme sur toute la longueur du rayonnage qui débouche à cet endroit. Aucune distanciation sociale ne peut être fermement respectée quand les charriots se croisent entre grande allée du bord de caisses et allée confinée où il faut manœuvrer pour aller prendre sa place. Ce que faisant, les charriots se croisent comme dans un couloir, sans distanciation possible. L’attente s’annonce interminable, propice à la tension, l’énervement ; le contraire de la vigilance.

L’unique caissier ne porte ni masque, ni gants. Une plaque de plexiglas fixée devant lui ne sert strictement à rien : les clients sont invités à partir à rebours une fois leur charriot vidé. Quand ils ont fait le tour, ils récupèrent leurs achats et les règlent à un endroit non protégé par la plaque de plexiglas, cela à nettement moins d’un mètre du caissier. Même fermées à cette heure, on peut observer un dispositif identique, d’une inefficacité absurde, sur toutes les autres caisses voisines.

Malgré sa publicité hyper offensive sur les réseaux sociaux (pour nous hurler qu’il reste au service de ses clients), Casino montre, dans ce magasin, le peu de cas qu’il fait des risques de contamination pour ses employés, mais aussi pour ses fameux clients. Autre scène observée un autre matin, cette fois au grand Spar du Cours Gambetta, toujours à Montpellier.

Alors qu’il y a très peu de clients, la caissière pousse les clients à effectuer leurs opérations de caisse le plus vite possible, de sorte qu’ils s’agglutinent les uns sur les autres pour payer et récupérer leurs achats. Manifestement, la malheureuse employée n’a pas été formée, conseillée, pour affronter ces circonstances exceptionnelles. Elle semble prisonnière de son conditionnement par la cadence, à moins d’être étreinte d’anxiété au point d’en perdre sa clairvoyance.

Un incroyable degré de dégradation du statut salarial se révèle à travers la crise du Coronavirus, où l’enjeu, tout de même, est de vie ou de mort pour des travailleurs. Au niveau national, la CGT du commerce relevait 500 cas de contamination supposés, 180 avérés, dans son secteur, alors que bon nombre de salarié.es se sont retiré.es (près de 40 % en congés maladie). Bien qu’il ne soit pas unique, le décès de l’une de ses déléguées de terrain, Aïcha Issadounène, 52 ans, depuis trente ans employée dans le même Carrefour de Saint-Denis, a marqué les esprits.

Outre de meilleures mesures de précaution, le syndicat réclame au moins le resserrement des amplitudes horaires, la fermeture des rayons ne relevant pas des premières nécessités (où afflue une clientèle supplémentaire après avoir trouvé portes closes ailleurs), le renoncement à l’ouverture le dimanche. Ce serait des moyens d’alléger un peu la charge du péril qui pèse sur les personnels. Autant de demandes relayées par le député de Seine Saint-Denis, Stéphane Peu (apparenté PCF), en direction de Muriel Pénicaud devant l’Assemblée nationale. Sans suites. Il y a d’autres intérêts à servir plus urgemment.

 

Un appel à la grève difficile à mettre en œuvre

Un appel à la grève était donc lancé ce mercredi dans les grandes surfaces. Après qu’il ait été censé nous rappeler, le responsable du commerce pour l’Union départementale CGT de l’Hérault nous a seulement fait savoir que « non, rien n’a été fait ici ». En revanche, un délégué du même syndicat au Carrefour de Lattes explique plus clairement : « Nous n’avons pas répercuté cet appel. Dans notre magasin, des protections satisfaisantes ont réellement été mises en place. Mais pour tout vous dire, l’atmosphère du moment n’est vraiment pas favorable à lancer une mobilisation ». Cela paraîtrait incongru, croit-il pouvoir témoigner.

Sur le site de Classe en Lutte, d’obédience anarchiste, un employé d’un Carrefour de la région témoigne lui aussi : « C’est devenu chacun pour soi. Ça s’est beaucoup individualisé, peu pensent collectif. Notre magasin n’est pas au top financièrement. Les salariés ne veulent pas creuser encore plus le problème. » Metteur en rayon, on lui a d’abord demandé de prendre son poste dès 3 heures du matin, de manière à croiser le moins possible la clientèle. Cela n’a duré qu’une semaine, la direction du magasin y voyant un surcoût exagéré.

Déjà sur ce site, la lutte n’avait pas été possible pour tenter de contrer l’ouverture le dimanche. Le salarié raconte comment la direction a fait peur aux employés, en expliquant que la non ouverture serait un critère pour que le groupe place ce magasin sur la liste des franchisables dont elle est en train de se débarrasser de fait. Les syndicats se sont inclinés, car cela pouvait signifier la perte de tous les accords maison, sous la houlette d’un nouveau patron. « Si c’est ça, c’est pas brillant » commente le délégué de Lattes. Mais on en est bien là.

On peut donc consulter les horaires de tous les Géants Casino ou Carrefour de Montpellier et environs qui pousseront le cynisme du tout-consommation jusqu’à ouvrir ce Lundi de Pâques. Soit une licence qui était illégale voici deux ans à peine, tant que la majorité LREM ne s’en était pas mêlée. C’est tout juste si nous avons pu dénicher quelques posts Facebook, isolés pour protester en ces termes :

« Non à l’ouverture des grandes surfaces ce lundi de Pâques ! Les courses de première nécessité peuvent être faites les autres jours de la semaine. Laissons les salariés avoir deux jours de repos consécutifs pour une fois ! Ils le méritent bien ! »

Pensez donc…

Gérard Mayen

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Gérard Mayen (né en1956) est journaliste, critique de danse, auteur. Il est titulaire d'un master 2 du département d'études en danse de l'université Paris 8 Saint-Denis-Vincennes. Il est praticien diplômé de la méthode Feldenkrais. Outre des chroniques de presse très régulières, la participation à divers ouvrages collectifs, la conduite de mission d'études, la préparation et la tenue de conférences et séminaires, Gérard Mayen a publié : De marche en danse dans la pièce Déroutes de Mathilde Monnier (L'Harmattan, 2004), Danseurs contemporains du Burkina Faso (L'Harmattan, 2005), Un pas de deux France-Amérique – 30 années d'invention du danseur contemporain au CNDC d'Angers(L'Entretemps, 2014) G. Mayen a longtemps contribué à Midi Libre et publie maintenant de nombreux articles pour"Le Poing", Lokko.fr ... et Altermidi.