Le virage en tête de la liste du « Printemps marseillais » qui réunit des citoyens « non encartés » et des représentants du PS, du PCF et de la France insoumise, constitue un des faits majeurs de ce drôle de premier tour des Municipales en Provence-Alpes-Côte d’Azur, marqué par la réélection de nombreux maires sortants, un net recul de l’extrême-droite et le fiasco de LREM.
Après une nuit de suspens quant au résultat, où la candidate LR Martine Vassal et son mentor Jean-Claude Gaudin revendiquaient encore la première place dimanche vers minuit, c’est bien Michèle Rubirola qui devance son adversaire de droite avec 23,4% des voix contre 22,3% pour l’actuelle présidente du Conseil départemental 13 et de la métropole Aix-Marseille-Provence.
Elle-même issue d’EELV, Michèle Rubirola a du faire face à la concurrence… de la liste EELV menée par Sébastien Barles (8,10% des voix) qui a annoncé dès lundi matin sa volonté de faire cause commune avec le « Printemps marseillais » en vue du second tour. La division du « camp » progressiste et écologiste, alors que se profilait une chance historique de faire basculer le Marseille de l’après Gaudin, avait suscité de nombreuses interrogations. La droite s’est également présentée divisée devant les électeurs avec deux candidats issus des « Républicains », Martine Vassal et Bruno Gilles (« Ensemble pour Marseille »). Ce dernier a obtenu 10,65% des suffrages. Dans une campagne délétère, la concurrence interne est allée jusqu’à des heurts aux panneaux d’affichage. Et dimanche, des individus munis d’armes factices ont même fait irruption dans un bureau de vote !
LREM subit une défaite cuisante dans la « capitale » régionale, Yvon Berland, ancien président d’Aix-Marseille Université ne recueillant que 7,88 % des voix. Il devance de peu la sénatrice ex-PS, Samia Ghali, (étiquetée Divers gauche) et ses 6,41% qui arrive néanmoins en tête dans le secteur dont elle est maire. En effet, la configuration particulière du scrutin à Marseille, avec huit secteurs regroupant chacun deux arrondissements, permet à des représentants de l’opposition d’être maires de secteurs mais la politique globale de la ville relève de la mairie centrale, aux mains de la droite depuis 1995.
La liste du « Printemps marseillais » occupe la première place dans trois secteurs sur huit. Et tout particulièrement dans celui du centre-ville qui a connu le traumatisme de la rue d’Aubagne où Sophie Camard arrive largement en tête avec plus de 39% des voix.
Recul de l’extrême-droite
Contrairement à ce qu’ « annonçaient » certains sondages, le RN n’arrive qu’en troisième position à Marseille avec 19,45% des voix. Son maire de secteur, Stéphane Ravier, élu en 2014 sur les 13ème et 14ème,vire cependant en tête dans ces quartiers. Mardi, le candidat du « Printemps marseillais », Jérémy Bacchi (PCF) annonçait son retrait, « en appelant sans réserve à battre le RN lors du second tour ».
Dans l’ensemble des Bouches-du-Rhône, un département où elle réalise des scores importants à chaque élection, l’extrême-droite est globalement en recul. Alors que certains médias ont complaisamment repris ses éléments de langage sur ses ambitions de conquête à Arles et à Istres, le RN échoue nettement dans ces deux villes. Cette fois-ci, les méfaits et l’impopularité du gouvernement ne lui ont pas profité, mais on se gardera bien ici d’en tirer des conclusions définitives. Car à Fréjus (Var), où EELV avait choisi de faire liste commune avec LR, LREM, le Modem pour faire barrage au maire RN David Rachline, celui-ci a été élu dès le premier tour avec 50,6% des voix.
Abstention massive
L’ensemble des résultats doit néanmoins être relativisé au vu de l’abstention qui bat tous les records : plus de 67% dans une ville pourtant déjà habituée à des taux importants. Dans une moindre mesure, le phénomène touche tout le département des Bouches-du-Rhône: seuls 42% des électeurs par exemple ont participé au scrutin à Martigues qui figure souvent parmi les « bons élèves » en la matière. Dans la deuxième ville de Provence-Alpes-Côte d’Azur, Nice, où Christian Estrosi a raté son pari d’être élu dès le premier tour, l’abstention est encore plus forte qu à Marseille, avec 71,4% de personnes qui ne sont pas rendues aux urnes.
La faute au coronavirus ? Certes, il ne faut pas minimiser la gravité de la situation et sa dimension anxiogène. Mais n’est-ce pas aussi une nouvelle illustration de la crise démocratique que nous vivons depuis des années ? Identifiées comme des élections basées sur la proximité, les Municipales n’échappent plus à la désaffection. Le brouillage des pistes, la confusion entretenue par LREM qui a avancé masquée dans de nombreuses villes, la dérive technocratique des métropoles qui dessaisit les maires et les citoyens ?. L’écœurement face à un pouvoir qui a utilisé le 49-3 pour couper court au débat sur les retraites (soudain, lundi soir dans le discours d’Emmanuel Macron, l’ affaire n’était plus aussi urgente), le sentiment de n’être pas entendus quoi qu’il arrive, après le mouvement des gilets jaunes et celui des retraites?.
Le paysage électoral qui se dessine, d’élection en élection, est celui d’une vie démocratique atrophiée par le pourrissement de la Vème République, l’hypertrophie de l’élection présidentielle qui semble la seule qui compte désormais, les communes de plus en plus corsetées par l’arme de l’austérité budgétaire et de la baisse des dotations. Il reste des marges d’action locales mises en lumière, par le GIEC, notamment. Les réponses à notre questionnaire ont souvent été développées sur le thème des transports, de l’habitat, de la qualité de vie… Au niveau national, la dimension environnementale a certainement incité des électrices et électeurs à se rendre aux urnes, malgré le contexte particulier, et à soutenir des listes qui ont réellement pris en compte l’urgence climatique et l’urgence sociale, qu’elles soient conduites par EELV, « citoyennes » comme « L’Archipel » à Toulouse (où la tête de liste est également EELV), ou de rassemblement à gauche plus « classiques ».
Les sortants s’en sortent bien, « En marche » tourne en rond
Fait notable de ce dimanche 15 mars, bon nombre de maires sortants ont été élus dès le premier tour dans les Bouches-du-Rhône, quelle que soit leur tendance. C’est particulièrement vrai autour de l’étang de Berre et du Golfe de Fos, à Martigues avec Gaby Charroux (PCF) , Istres avec François Bernardini ( Divers gauche), Salon avec Nicolas Isnard (LR), Miramas avec Frédéric Vigouroux (PS), Vitrolles avec Loïc Gachon (PS), Berre l’étang avec Mario Martinet (PS), Le Rove avec Georges Rosso (PCF), Châteauneuf-les-Martigues avec Roland Mouren (LR), Port-Saint-Louis avec Martial Alvarez (SE). Ces maires sont apparus comme des « valeurs refuges » dans un contexte politique compliqué où bien des repères ont disparu.
Le phénomène a probablement joué à Avignon également, où la maire PS sortante Cécile Helle arrive nettement en tête avec 34,47% des voix devant le RN (21,53%) malgré la présence d’une liste EELV (15,56%). Et que dire de la très droitière ville de Toulon où, Hubert Falco, maire LR depuis 2001, est une nouvelle fois réélu dès le premier tour ?
Outre ce que l’on appelle « la prime au sortant », on peut aussi repérer, au moins dans les Bouches-du Rhône, l’effet des continuateurs, comme Laurent Belsola (PCF) qui succède à Patricia Fernandez-Pédinielli à Port-de-Bouc ou Jean Hetsch (PS) qui avait déjà pris la relève de René Raimondi en cours de mandat précédent (mais sans suffrage universel) à Fos-sur-Mer. Tous deux l’ont aussi emporté dès le premier tour.
Autant d’effets dont ne pouvait pas profiter LREM qui a échoué, en Provence comme ailleurs, dans son opération ancrage sur le local. Seule Anne-Laurence Petel, à Aix-en -Provence, tire son épingle du jeu en terminant deuxième, derrière la maire sortante Maryse Joissains-Masini (LR) avec 20,45%. A Arles, la député LREM de la circonscription, Monica Michel- élue en 2017 dans le cadre d’un duel avec le FN- ne réalise qu’un maigre 4,93%. A Avignon, son candidat, Frédéric Tacchino réalise 6,63% seulement. Le mouvement, conçu dès le départ comme une machine à propulser Emmanuel Macron à la présidentielle, apparaît de plus en plus comme une coquille vide ou un bateau à la dérive, c’est selon. Il peine en tout cas à trouver des relais dans les communes.
Morgan G.
Voir aussi : Dossier altermidi Municipales 2020