Drôle de voie de la soie : après la Chine l’Italie est le pays avec la plus haute mortalité, d’Europe et le deuxième au monde à cause de la pandémie de coronavirus. La question simple, à savoir pourquoi, reste sans réponse univoque mais avec toute une série d’hypothèses. On a évoqué la raison démographique : l’Italie est le pays le plus « vieux » d’Europe et comme nos anciens sont les plus fragiles donc…une sorte de darwinisme médical en somme. On a évoqué une désorganisation ou, tout au moins, un manque de coordination du système sanitaire qui est organisé de manière régionale, contrairement à la France. On a évoqué une importation précoce du virus de Chine dans les régions du Nord d’Italie où les communautés chinoises sont très présentes et actives économiquement : d’après le dernier recensement Hu est un des noms de famille le plus répandu à Milan…
Désormais 15 millions d’habitants de plusieurs villes du Nord sont assignés à résidence : Milan est une ville fantôme, les gamins privés d’école, les ménagères remplissent leurs cadis aux supermarchés et l’économie tourne au ralenti quand elle tourne. Certes, le pays n’avait pas besoin de cela : la crise migratoire avec ses séquelles de populisme, l’incapacité foncière et la fragilité des gouvernements italiens successifs ont amené le pays à une récession que l’on cherche inutilement de cacher… mais les nouvelles générations ne s’y trompent pas et émigrent en masse en appauvrissant encore plus la Botte car à force de botter en touche la classe dirigeante s’est complétement discréditée et le futur s’assombrit.
La « toile » aidant on voit ressurgir, et pas seulement en Italie, les vieux démons que l’épidémie réveille : la stigmatisation de l’étranger, les chamailleries des autorités compétentes, la recherche acharnée du « patient zéro » le mépris mutuels des « experts »
la chasse aux semeurs de virus, les remèdes les plus absurdes pour les nigauds ou les plus angoissés, la ruée dans les rayons des grandes surfaces qui en disent long au sujet de la solidarité : en somme depuis des siècles rien de nouveau sous le soleil.
La mondialisation présente son addition mais ce n’est que l’accélération moderne du déplacement, plus lent, de la peur de la peste de jadis. Cela avait été l’occasion pour Boccace,au XIV, dans son Décaméron de réagir au malheur de l’épidémie de peste de son époque et à son empoisonnement des rapports sociaux, par l’écriture de son chef d’œuvre, livre qui louait la convivialité et le plaisir d’être ensemble.
Alors, tout en prenant des mesures prophylactiques qui tombent sous le sens, et profitant des progrès de la médecine, ne cédons pas aux peurs ataviques. Si tout est désormais affaire de communication, si cela est alimenté par l’incertitude, il est sain de ne pas tomber dans des pièges grossiers et ne pas regarder son voisin comme un éventuel agresseur. Par rapport aux épidémies des siècles passés nous avons le savoir : en Italie et ailleurs le Décaméron ça serait un bon exemple de résistance au virus de la bêtise et le livre à brandir pour la revendication de notre humanité.
Gianni Angelini
Peinture John William Waterhouse Decameron
Voir aussi : Les charismatiques et dangereux effets d’une mauvaise grippe