Après l’inauguration en novembre dernier de l’observatoire « Big Data de la tranquillité publique » des citoyens marseillais soutenus par les défenseurs des libertés publiques s’inquiètent de l’emballement techno-sécuritaire. Nous publions leur lettre ouverte aux candidats, qui invite les prétendants à la Mairie à ne pas transformer la ville « en vitrine sécuritaire au travers de processus opaques et technocratiques. »

Déployé à partir de la fin 2017 la ville de Marseille a inauguré en novembre dernier son observatoire « Big Data de la tranquillité publique » à l’issue d’un appel d’offre remporté par Engie Inéo. L’entreprise leader du marché de la vidéo surveillance positionné dans le secteur émergeant de la « smart city ». La Quadrature du net a dévoilé le cahier des charges de ce services d’aide technologique à la prise de décision publique : 1,8 million d’euros sont mis sur la table par la Ville, 600 000 euros proviennent de l’Union européenne, à travers le fonds Feder et 600 000 euros de subventions du conseil départemental des Bouches-du-Rhône.

A terme, l’outil agrégera de multiple bases de données structurées et non structurée indique le site Technopolice. « Les données publiées dans les espaces d’open data tel que data.gouv.fr«  et les informations détenues par les opérateurs de télécommunications viennent compléter le panel. Notamment celle de la Délégation Générale de la Sécurité de la ville de Marseille, qui répertorie toutes les mains courante, les verbalisations et bien d’autres données géolocalisées. A cela s’ajouteront les flux du vaste réseau de vidéo-surveillance rendu «intelligent » grâce au traitement de l’image (2000 caméras à terme, et prochainement des drones), les données des hôpitaux publics, et les données publiées sur les réseaux sociaux. « Chaque citoyen qu’il soit résident ou simple visiteur de la ville » pourra enrichir le dispositif en temps réel des informations via une application sur smartphone.

De nombreux « partenaires », que l’entreprise est chargée de démarcher, sont aussi censés mettre au pot. Pour les convaincre, « il sera fondamental de proposer à chacun des acteurs un ou plusieurs services qui motiveront leur participation et leur implication dans le projet », précise le cahier des charges. Le Big Data de la tranquillité publique » offre aussi la possibilité de « détecter la préparation d’événements sauvages ou d’actes de délinquances (ex. apéros géants, marchés à la sauvette, rackets aux abords des écoles ») souligne le site d’info Marsactu qui évoque un « Minority report marseillais

Grâce à son « observatoire », la ville souhaite analyser automatiquement les « incident » grâce à des algorithmes censée « analyser ce qui s’est passé (hier) », d’ « apprécier la situation actuelle (aujourd’hui) », et d’anticiper la situation future ou probable (demain) » De quoi alerter les défenseurs des libertés publiques qui se mobilisent à l’occasion des Municipales pour dénoncer «une mise sous surveillance totale de l’espace urbain à des fins policières.»

 

Marseille : lettre ouverte pour les municipales

Municipales : Appel aux candidat.e.s à s’opposer à la fuite en avant techno-sécuritaire

 

Depuis plusieurs années, la mairie de Marseille se livre, à l’instar d’autres municipalités françaises, à une dangereuse fuite en avant en matière de surveillance de la population.

Marseille est d’abord l’une des villes les plus vidéo-surveillées de France, avec environ 1500 caméras. Alors même que les enquêtes indépendantes pointent leur inefficacité contre la délinquance, la plupart des listes candidates aux municipales proposent de poursuivre l’acquisition de ce coûteux matériel. Mais qui sait que les 500 caméras installées à Marseille depuis 2018 ont coûté la modique somme de 46 millions d’euros, soit trois fois le budget initialement prévu ?

Ces derniers mois, la mairie – emmenée par Caroline Pozmentier, adjointe LR au maire en charge de la sécurité et aujourd’hui candidate sur la liste LREM – cherche à faire entrer la police municipale dans l’ère de l’« intelligence artificielle ». Juste avant Noël, la vidéosurveillance dite « intelligente » a été déployée dans le centre ville. Grâce à un algorithme d’analyse, ce dispositif vise à repérer automatiquement des comportements s’écartant de la norme, telles des rixes ou des bagarres. Il doit aussi permettre le suivi rapproché des manifestations, et d’individus dont on pourra retracer en quelques clics le parcours dans les rues, avec en prime la captation des sons alentours et, demain, la reconnaissance faciale.

En novembre, la police marseillaise inaugurait son « Observatoire Big Data de la tranquillité publique ». Son but ? Mettre en place un « algorithme prédictif avec prédiction spatio-temporelle des risques d’occurrence d’incidents » capable de « mettre en évidence des facteurs propices à augmenter le taux de délinquance », le tout couplé à la surveillance des réseaux sociaux. Les documents liés au marché public évoquent aussi « l’évaluation du risque de rassemblement dangereux par analyse des tweets, en s’appuyant sur l’identification des acteurs (qui parle ?, qui agit ?, qui interagit avec qui?) ». Derrière la novlangue, ce projet vise à mettre au point une plateforme technologique de pointe pour une police prédictive, encore balbutiante mais sans précédent en France.

Pourtant, il suffit de regarder dans le miroir que nous tendent l’histoire ou d’autres régions du monde pour savoir à quoi ces projets nous conduisent : renforcement des formes de discrimination et de ségrégation, restriction des libertés, musellement des mouvements sociaux et dépolitisation de l’espace public, automatisation de la police et du déni de justice, présomption de culpabilité, déshumanisation toujours plus poussée des rapports sociaux et négation de toute altérité qui ne soit pas normée. Tout cela au prix d’un gigantesque gâchis financier et écologique.

Nous, habitantes et habitants de Marseille, citoyennes et citoyens, refusons de voir notre ville transformée en vitrine sécuritaire au travers de processus opaques et technocratiques. Nous nous insurgeons contre les formes de collusion entre élus, fonctionnaires et industriels qui président à ces déploiements. Nous dénonçons le projet politique inepte que traduit ce surinvestissement dans les technologies policières : celui d’une ville où l’insécurité est systématiquement traitée au travers du prisme étriqué du contrôle social, où les sociabilités populaires et l’exercice des libertés publiques sont déclarées suspectes ; une ville où l’on a érigé en politique le fait de laisser les immeubles pourrir et s’effondrer sur les plus pauvres d’entre nous, où l’installation de caméras sert de prélude aux programmes de « requalification » qui, les uns après les autres, fabriquent une ville sans âme, où la gentrification et le consumérisme font office de projet politique.

Largement inefficace pour enrayer les violences, l’approche techno-sécuritaire attise les peurs sans jamais régler les problèmes de fond. Plutôt que de contribuer à rendre nos quartiers vivants, paisibles et sereins, plutôt que de renforcer les services de médiation, les lieux culturels, l’éclairage public, les signalétiques lumineuses ou le partage des espaces publics, plutôt que de s’intéresser au démantèlement des trafics d’armes ou autres, à la lutte contre la misère sociale, à l’éradication de la corruption ou à la prévention des violences, elle se contente de gérer le désordre.

Contre l’emballement techno-sécuritaire et le monde qu’il incarne, nous exigeons des équipes en lice pour les prochaines élections municipales qu’elles s’engagent en faveur du retrait définitif des projets en cours mentionnés ci-dessus et à réduire drastiquement le nombre de caméras de vidéosurveillance dans notre commune. Nous demandons également la mise en place d’un comité citoyen doté de pouvoirs d’audit et de supervision des technologies de surveillance et autres activités policières. Disposant de moyens crédibles et d’un accompagnement professionnalisé, organisé par secteur et fédéré au niveau municipal, ce comité citoyen devra en particulier garantir la transparence sur tous les marchés publics dans ce domaine, mais aussi conduire une évaluation rigoureuse des dispositifs en place, en lien avec les autres organes qui, dans les différents quartiers de la ville, feront revivre la démocratie locale.

Premières Signatures :

La Quadrature du Net
LDH Marseille
Un Centre Ville Pour Tous
Le DONUT infolab
Collectif AÏOLibre
RevLibre
Assodev-Marsnet
Survie 13
STRASS-Syndicat du travail sexuel
Primitivi, téloche de Rue
Collectif Rainbow Cité
Assemblée de la Plaine
Emmaüs Pointe Rouge
Marseille Féministe
RAP Marseille

 

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