Second volet consacré à l’étude du mouvement des gilets jaunes, pour lequel nous nous sommes associés avec le Comité régional du Languedoc-Roussillon de La Ligue des droits de l’Homme qui est impliqué dans le mouvement en tant qu’observateur. Actifs sur le terrain de la défense des droits humains, les ligueurs s’attachent également à analyser le mouvement des « gilets jaunes notamment pour définir comment la LDH peut se situer par rapport à lui.


Quelles sont les revendications des gilets jaunes ?

On remarque, entre novembre 2018 et janvier 2019, une évolution des revendications. Au début elles portent sur le prix de l’essence, puis elles sont uniquement tournées vers le pouvoir d’achat (« Vivre décemment ») : la fiscalité, l’accès aux loisirs, l’inégalité devant l’impôt (l’ISF). Donc des revendications de justice sociale et fiscale. Avec la présence des retraités sur ces questions.

Puis, dès la mi-décembre, la politisation s’opère : fortes critiques du gouvernement et demande d’une réforme institutionnelle (RIC, changement de système politique).

Cette maturation est arrivée très vite, contrairement à ce qu’on observe dans d’autres mouvements (ex. printemps arabe). On peut faire l’hypothèse que, en France, l’école républicaine fournit un terreau où peut se développer la réflexion : les Français veulent l’égalité.

Le thème de l’écologie est abordé. Discours des GJ : « On fait payer les plus modestes (essence, par exemple), mais pas les gros pollueurs (grandes entreprises, avions…)

Thèmes absents des revendications :

  • Les migrants (à cause de l’hétérogénéité des GJ, ce thème ne fait pas consensus et il est donc écarté). Mais la question des migrants n’est pas vue de façon bienveillante. Elle n’est pas articulée à celle de la justice sociale.

  • La critique des élites économiques, du patronat. Cela tient peut-être au fait qu’il y a peu de salariés. Le mouvement des GJ n’est pas marqué par la lutte des classes : le GJ sont très majoritairement des indépendants, des intérimaires ou bien des gens issus de petites structures. Les adversaires sont Macron et le gouvernement.

  • Le chômage

  • La grande précarité

  • La culture.

Les effets du mouvement :

Ronds-points et manifestations deviennent des lieux de socialisation et de politisation. On passe d’un récit de vie individuel à un récit collectif, d’où l’exercice de la citoyenneté et la mobilisation, construction de liens, d’associations. La sortie de l’illégitimité et de l’invisibilité, permet l’acquisition de compétences, de légitimité. Les revendications des gilets jaunes sont offensives à la différence des mouvements classiques qui sont plutôt défensifs.

On observe une défiance à l’égard de la représentation, du porte-parolat et des hiérarchies, syndicales notamment. Ce phénomène n’est pas nouveau dans les mouvements sociaux. Les prises de décision se font par consensus, avec la participation de tous, et non par vote. Les gilets jaunes ont envie de démocratie directe. Ils sont attachés à la capacité de contrôle et de décision des citoyens « d’en bas ».

Éléments d’analyse : Il y a de moins en moins de mouvements d’éducation populaire. Le PC s’est effondré, le PS est devenu un parti de notables, avec peu de lien avec les social. Les partis, en général, se sont éloignés de leur base sociale. Le principe de laïcité a mis la question politique hors de l’école. Tout ceci fait qu’il n’y a plus d’éducation à la politique.

Le mouvement se structure en dehors du rapport à l’État. Soit par un désir d’autonomie très fort, soit dans l’opposition à l’État. Mais les GJ ne veulent pas du pouvoir. Ils n’ont pas sa conquête pour objet. De plus en plus de mouvements sociaux sont dans un rapport d’autonomie vis à vis de l’État (ZAD, black blocs).

La contestation fait émerger des thèmes comme la question du jacobinisme : critiques de Paris et des métropoles, ou celle de la fracture territoriale. Des distinctions importantes s’opèrent entre ronds-points ruraux et ronds-points de la périphérie des villes.

 

Voir aussi :

Qui sont les « gilets jaunes » ? 1-2

 


Article publié en partenariat avec le Comité régional du Languedoc-Roussillon de La Ligue des droits de l’Homme à partir d’une enquête menée auprès des « Gilets Jaunes » sur les ronds-points et dans les manifestations, par un collectif de chercheurs, monté après le 17 novembre 2019. Cette enquête a été réalisée dans plusieurs régions (Grenoble, Bordeaux, Nantes, Paris, Lille, Montpellier).