Madrid par Nicolás Pan-Montojo 

Pedro Sánchez et Pablo Iglesias parviennent à un accord de coalition avec le président de Podemos en tant que vice-président du gouvernement

Les élections d’hier étaient censées déverrouiller la politique espagnole, et alors qu’hier tout le monde parlait de « blocage », il semblerait que la situation se soit déloquée. Ce qui n’avait pas été possible en cinq mois de négociations a été réalisé hier en seulement 24 heures. Pedro Sánchez et Pablo Iglesias ont signé aujourd’hui au Congrès un accord préalable pour un gouvernement de coalition. Le leader de Podemos sera vice-président du gouvernement et d’autres membres de son parti auront quelques ministères.

Ce nouveau scénario a été une surprise totale pour la plupart des médias et même pour les citoyens espagnols. Lors des résultats de ces quatrièmes élections en Espagne en quatre ans, tout semblait indiquer qu’elles avaient seulement servi à confirmer l’énorme division idéologique que connaît le pays et à compliquer davantage tout pacte de gouvernement pour élire un président. Le tableau était clair : les deux partis traditionnels (PSOE, à gauche, et PP, à droite) en tête, mais le naufrage de Ciudadanos (centre libéral) et la montée spectaculaire de Vox (extrême droite) rendaient un accord post-électoral presque impossible, vu l’incapacité du PSOE à trouver un accord avec Podemos.

Mais l’accord a été trouvé en un temps record, malgré que la gauche ait été un peu affaiblie après les élections. Le PSOE a perdu trois sièges et son principal allié jusqu’à présent, Unidas Podemos (gauche radicale), est passé de 42 sièges à 35 (une chute qui n’est pas compensée par les trois sièges fournis par Más País, scission de Podemos). Le naufrage de Ciudadanos, qui passe de 57 à 10 sièges, a été accompagné d’une montée en puissance du PP et de Vox qui consolide au Congrès les positions les plus extrémistes à droite, tandis que le centre perd de l’importance.

Cependant, le résultat n’offrait pas non plus une majorité alternative au bloc de droite (Ciudadanos, PP et Vox) comme c’est le cas en Andalousie ou à Madrid. Certes, les distances entre les deux blocs se sont réduites, les nouvelles élections ont fait perdre 7 sièges de plus à la gauche mais celle-ci a conservé la majorité. Pour la première fois depuis les années 30, un parti à gauche du PSOE va être présent au gouvernement.

Iglesias a assuré ce matin que le nouveau gouvernement de coalition progressiste allierait « l’expérience du PSOE au courage de Podemos » et œuvrerait en faveur d’un « dialogue pour faire face à la crise territoriale » en Catalogne et d’une « justice sociale qui servira comme un vaccin contre l’extrême droite ». « Ce qui en avril était une opportunité historique est devenu une nécessité historique », a-t-il déclaré.

Pendant des mois, les deux partis s’étaient très longuement confrontés. Sanchez avait même déclaré lors d’une interview qu’il ne pourrait pas dormir tranquille s’il y avait des ministres de Podemos dans le gouvernement. En outre, il a passé toute sa campagne à se féliciter de ne pas avoir convenu d’accord avec eux à cause de leurs divergences sur la crise catalane.

De l’autre côté, Iglesias a accusé Sánchez de « vouloir pactiser avec la droite plutôt qu’avec la gauche » et il a même dénoncé un plan secret « pour éviter que Podemos ne touche jamais à un poste de responsabilité ».

Toutes ces déclarations appartiennent désormais au passé et tout semble être pardonné. Iglesias a défendu aujourd’hui que le temps été venu de : « laisser derrière nous tout reproche et de travailler côte à côte dans la tâche historique et passionnante qui nous attend ». Et il a même ajouté : « Pour nous, c’est un véritable honneur ».

Pedro Sánchez a été moins effusif mais aussi cohérent que son nouveau vice-président. « Les Espagnols ont parlé et il nous appartient de surmonter le blocus. Nous ne pouvions pas parvenir à cet accord [en juillet], même si nous étions très proches. Nous sommes conscients de la déception que cela signifie parmi les progressistes », s’est justifié Sánchez, qui a ainsi rectifié toute sa position initiale, forcé par le résultat des élections.

Un gouvernement conditionné par la Catalogne ?

En tout cas, cette option, même si elle bénéficie davantage de soutien que la droite, nécessite nécessairement le recours à d’autres forces politiques. Et il ne peut s’agir que des nationalistes (Ciudadanos ne soutiendrait jamais un gouvernement dans lequel est présent Podemos). Le Parti Nationaliste Basque, Bildu (extrême gauche indépendantiste basque), la Coalition des Canaries, le Bloc Nationaliste Galicien … Jusqu’à 12 formations régionales sont maintenant représentées au Congrès, un véritable record qui témoigne de la fragmentation politique sans précédent que vit le pays : il y a au total 19 partis au Congrès.

Pedro Sánchez devra résoudre un casse-tête complexe pour obtenir le soutien nécessaire pour être investi. Le total du PSOE et de Unidos Podemos représente 155 députés. Ce chiffre pourrait atteindre 168 avec la collaboration très probable de plusieurs députés de petits partis. Mais, même dans ce cas, Sánchez devrait négocier l’abstention de certaines formations indépendantistes catalanes ou de Bildu pour être président.

Esquerra Republicana (ERC, gauche indépendantiste de Catalogne), en raison de son orientation idéologique de gauche et de son poids dans le Congrès (13 députés), semble le choix le plus logique sachant que Bildu n’a pas complètement coupé les liens avec le soutien au terrorisme d’ETA et reste un allié empoisonné pour le gouvernement. Mais l’abstention d’ERC ne se ferait pas gratuitement : en 2020 il y aura des élections autonomes en Catalogne, ce qui complique tout pacte. Il est probable que l’ERC exige un accord sur le référendum d’autodétermination pour la Catalogne qu’il appelle de ses voeux, un élément non négociable pour les socialistes.

De toute manière, il est prévisible que les sept députés du PNV (avec lesquels le PSOE gouverne déjà au Pays basque), les trois députés Más País-Compromís (son chef, Íñigo Errejón, s’est déjà montré favorable) s’ajoutent au pré-accord signé entre Sánchez et Iglesias. Aussi, on pourrait s’attendre à un vote en faveur du parti régionaliste de Cantabrie qui avait déjà rejoint Sánchez lors de la législature précédente, de ¡Teruel Existe! qui a déjà affirmé qu’il voulait un gouvernement le plus tôt possible et des nationalistes galiciens.

Le gouvernement n’est pas encore constitué, mais il est très proche de réussir, même si, comme toujours depuis la dernière décennie, le conflit de Catalogne aura le dernier mot sur la politique espagnole. Et une troisième élection en 2020 n’est pas impossible.

Voir aussi : Rubrique Espagne, Fin du bipartisme puissante montée de l’extrême droite,

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(Madrid, 1994). Journaliste et politologue, spécialisé dans la politique internationale et l'environnement. Je m'intéresse à pratiquement tout, de la musique et du cinéma aux droits de l'homme et à l'économie, mais surtout je crois au journalisme engagé, qui dénonce les inégalités et essaie de trouver les clés aux problèmes actuels.