Occitanie violence sociétale. Ancienne adjointe à la police nationale et harcelée par une bande de dealers, une jeune femme française d’origine sri-Lankaise évoque le parcours qui l’a conduite à devoir renoncer à son métier et à sa nationalité. Un récit de vie kafkaïen qui met les valeurs de notre République en question.
E lle s’est retrouvée seule avec sa fille de dix ans tandis que la lumière dansait autour d’elle et que tout semblait suivre le cours normal d’une paisible petite ville française à L’Isle-Jourdain dans le Gers. Mais derrière ces rues, dans ce quartier sans épaisseur historique comme il en existe des milliers dans le pays, l’ordre des choses ou plutôt leur disfonctionnement reste plus difficile à saisir, notamment dans les ramifications qui conduisent à un tel enchaînement de situations.
« En juin 2016, J’étais une jeune adjointe de la police nationale qui intégrait le commissariat d’Auch après une scolarité de trois mois à l’école de la police nationale de Périgueux. Arrivée dans la région du Gers, ma situation familiale de mère célibataire n’était pas acceptée par le commissaire. Le procureur d’Auch estimait lui aussi que ma situation familiale n’était pas compatible avec mes fonctions de police »
Dans ces conditions, la période d’intégration au commissariat ne s’avère pas simple d’autant quelle se trouve ponctuée d’étranges considérations de la hiérarchie, plutôt surprenantes pour une profession où les divorces sont légion.
Au mois d’octobre de la même année, durant une patrouille, la jeune policière participe à l’interpellation d’un jeune homme qui fumait un joint. C’est ainsi quelle croise pour la première fois les revendeurs de drogue du quartier impliqués dans un commerce prospère. Dans cette commune de moins de 10 000 habitants, les saisies de stupéfiants portent sur des quantités inhabituelles1. « Lors de l’interrogatoire un de mes collègues a frappé le jeune. Ce n’était pas de la légitime défense », indique l’adjointe à la police nationale.
« Lors de l’enquête, on m’a demandé d’aligner ma version sur celle du commissaire, ce que je n’ai pas fait. Dans ma déclaration, je m’en suis tenue à la stricte vérité des faits. »
Licenciement abusif
Quelques mois plus tard, l’adjointe est suspendue de ses fonctions. Elle porte l’affaire en justice et obtient une issue favorable en novembre 2018. Le Tribunal administratif de Pau suspend le licenciement constatant que la décision d’inaptitude à tout poste au sein de la police nationale a été prononcée sans préciser ni le motif du licenciement, ni les éléments objectifs portant sur les capacités de l’agent à ne plus pouvoir exercer aucune tâche. Le jugement qui enjoint l’État à la réintégrer dans ses fonctions ne sera pas suivi d’effet.
Son avocate reconnaît avoir eu l’ex policière comme cliente mais affirme « ne pas avoir connaissance de ce dossier » (sic). Dans la région d’Auch, tout se passe comme si on ne voulait plus entendre parler de cette affaire. Un mur de silence qui s’inscrit bien dans une logique du résultat sans être trop regardant sur les méthodes pour y parvenir. Ce que traduit l’intéressée :
« Étant donné que je n’ai pas couvert la violence commise par ma hiérarchie sur un jeune, ils m’ont écarté de mes fonctions pour couvrir les intérêts du parquet et du commissariat »
En tant qu’adjoint de sécurité, non-titulaire de droit public, le rôle de la jeune policière était de renforcer l’action des forces de l’ordre en aidant à la protection des personnes et des biens. À ses yeux, c’était un tremplin pour devenir gardien de la paix. Aussi, ne fut-il pas facile de perdre son emploi dans de telles conditions. Quand on rejoint la police par vocation et que l’on découvre la loi du silence face à la déshumanisation de la profession, quelque chose se brise.
Cette affaire, somme toute mineure, aurait pu s’en arrêter là mais la jeune femme va se retrouver entraînée dans le sillage d’un autre mal de la société française. Celui du repli identitaire et de la banalisation de la discrimination. Un fait sociétal avéré, qu’une étude de l’Agence européenne pour les droits fondamentaux confirme2. Le document indique notamment qu’en France 32% des personnes noires disent avoir été victimes « d’agressions motivées par la haine ».
Un calvaire de violences racistes
En septembre 2017, l’ex policière trouve un nouveau logement sur la commune. « De premier abord, la résidence de standing semble être calme, occupée par une population intergénérationnelle. Mais le lendemain de mon aménagement, j’ai trouvé des produits stupéfiants dans ma boîte aux lettres. »
Débute un long calvaire de 18 mois durant lequel la jeune femme devient la cible d’une bande de dealers. Insultes racistes, violences physiques, menaces de mort, dégradations de son véhicule se succèdent. Un acharnement raciste permanent très insécurisant qui prend aussi sa fille pour cible. Face à la pression, la jeune femme ne reste pas inactive. Elle lance une pétition, concerne les habitants du quartier, dénonce les faits à la police sans être entendue.
« J’ai déposé des plaintes à plusieurs reprises, certaines, faute d’éléments suffisants, ont été classées sans suite. D’autres suivraient leur cours… Les administrations policières et le parquet refusent de prendre cette affaire au sérieux, et les gestionnaires de biens rejettent la responsabilité sur le syndicat de la copropriété… »
En juin 2019, la jeune femme estime que l’affaire est allée trop loin : elle décide de prendre un avocat Auscitain. « Nous avons déposé une plainte pour injure raciste. L’enquête est toujours en cours », confirme son avocat qui a interpellé le procureur de la République au mois de juin 2019. « Cette affaire nous rappelle combien notre société peut parfois être malade. Si les faits son avérés, cela mérite la correctionnelle ».
La victime du harcèlement confie avoir le sentiment qu’à L’Isle-Jourdain tout le monde souhaitait son départ. À l’exception de ses voisins de quartier qui subissent les effets du trafic et respectent sa droiture d’esprit.
Avant de quitter définitivement la ville fin août, l’ancienne policière leur adresse un courrier de remerciement dans lequel elle explique qu’après avoir été contrainte de quitter son travail, de quitter la ville où elle s’était installée avec sa fille, elle exprime le vœux de renoncer à la nationalité française « pour servir un autre pays en tant que gardien de la paix », ajoutant :
« je pense que ma fille a le droit de connaître l’égalité de chance qu’elle n’aura jamais ici. »
La fraternité comme arme contre le fléau
Cette lettre se termine par un élan d’espoir citoyen :
« Le dernier mot est-il dit ? L’espérance doit-elle disparaître ? Non ! Croyez-moi, moi qui vous parle en connaissance de cause, la fraternité peut être une des clés pour lutter contre ce fléau. Notre République n’est pas seule, il y a nous ! »
Au-delà du cas particulier, ce récit résonne dans l’hexagone comme une mélodie troublante sur une terre en pleine dysharmonie, parce qu’il touche à des aspect sensibles de la vie quotidienne française qui sont rarement mis sur la place publique. Il met le doigt sur la violence sociétale, touche au problème non résolu de l’identité nationale et à la violence de l’État, des sujets toujours passés sous silence dans une société où l’on préfère mettre l’accent sur les pompeuses célébrations et la cohérence familiale incarnée par la figure du père ou du président.
Malgré toutes ces épreuves, la détermination de cette jeune femme ne faiblit pas, son nom ne viendra pas s’ajouter à l’inquiétante recrudescence de suicides dans la police française3. Elle a passé les concours pour devenir gardien de la paix en Angleterre et au Canada. Elle est reçue en Grande Bretagne pour intégrer les forces de l’ordre outre-manche. Sa demande d’abandon de la nationalité française adressée au ministre de l’intérieur et au Président de la République reste pour l’heure sans réponse.
Jean-Marie Dinh
Illustrations: Entête d’article : Yann Caux « Minuit«
VOIR AUSSI:
Dossier V comme Violence, Message d’adieu d’une ex policière à ses voisins.
Notes:
- En juillet 2019 les gendarmes de la brigade de recherches d’Auch y ont démantelé un réseau de trafic important. La dépêche 16 07 2019
- Being Black in the EU – ‘ Être Noir en Europe ’ Étude parue en décembre 2017
- « Avec un suicide tous les 5 jours, la Police nationale est en passe de connaître l’année la plus sombre de son histoire » Source Le Figaro 28 juillet 2019