19 janvier, Marseille : la manifestation réunissant gilets jaunes et militants de diverses organisations syndicales ou politiques (CGT, FI, NPA, Lutte ouvrière…) s’approche de la Préfecture. Aucune trace de violence, ni même d’agressivité.


Pourtant, l’odeur des gaz ne tarde pas à provoquer suffocations et vue qui se trouble chez les manifestants(e)s. Heureusement, les médics sont là avec leurs gouttes salvatrices. La scène, ordinaire, est encore loin des déchaînements de violences policières qui ont marqué les mobilisations se succédant depuis le 17 novembre. Ce jour-là, les coups ne viendront que plus tard, au bas des escaliers monumentaux de la gare Saint-Charles…


 

Police partout.

Le dispositif policier déployé pour seulement quelques milliers de manifestants dans une ville qui se soulève aussi contre le logement indigne, dit cependant quelque chose de la « macronie ». Nombre d’observateurs l’ont relevé : la répression contre le mouvement des « gilets jaunes » a franchi un cap par rapport aux mois de « manifs » contre la Loi El Khomri en 2016. Où, déjà, le maintien de l’ordre n’avait pourtant pas les allures d’un long fleuve tranquille. Le secrétaire général de la CGT Police d’Ile de France situe même la première rupture avec la théorie du maintien de l’ordre pacifique à 2015 et aux manifestations organisées à l’occasion de la Cop 21 (1).

Spécialiste des questions de sécurité, le sociologue Laurent Mucchielli pointe l’évolution de la doctrine : « jusqu’ au début des années 2000, certains officiers CRS donnaient des cours à l’étranger. La France avait la réputation de garantir la liberté de manifester de manière efficace avec très peu de violence » (2)

Aujourd’hui, des dizaines de blessés graves (3) sont à déplorer depuis le début du mouvement : mains arrachées, personnes éborgnées… : « ma vie a basculé le samedi 12 janvier lors de la manif des gilets jaunes à Nîmes. L’ambiance était très bon enfant et la présence policière disproportionnée » (4) témoigne Martin, écrivain. Transporté à l’hôpital après une grave blessure à l’œil, il découvre qu’une salle « était entièrement réservée aux gilets jaunes ». Quelques jours auparavant, le 29 décembre 2018, à Montpellier, Yvan, installateur dans la téléphonie, avait déjà été victime d’un tir de flash-ball après une tentative d’occupation des rails de la gare : « lorsque je croise une patrouille de gendarmes ou de policiers, je suis pris de vertige et de maux de ventre. En plus d’un mal de tête constant et d’une cicatrice au milieu du visage, ce sont les principales séquelles que je garde du tir de flash-ball » (5)

 

Gilets jaunes sur les escaliers, devant la gare St Charles, à Marseille. Cr : Morgan

Une dérive autoritaire

Le pouvoir ayant décidé d’un déploiement de forces de l’ordre pour le moins conséquent (80 000 policiers et gendarmes mobilisés pour la seule journée du 12 janvier), il est fait appel à du personnel normalement consacré à la lutte contre la criminalité, le banditisme ou le terrorisme comme les BRI (Brigades de recherche et d’intervention) ou les BAC (brigades anti-criminalité). « La BRI se retrouve engagée dans un rôle qui n’est pas le sien » (6) reconnaît Pierrick Agostini, secrétaire général adjoint du syndicat des commissaires de la Police nationale. BRI et BAC ont un avantage relevé par le commissaire : leur mobilité. « Ils peuvent aller chercher les auteurs des dégradations ou des pilleurs en flagrant délit » explique-t-il. Fort utile si l’on est favorable à la politique du chiffre, dominante au moins depuis le quinquennat de Nicolas Sarkozy.

« Le pouvoir politique veut afficher un message de fermeté. Il faut apporter une réponse pénale et donc réaliser des arrestations » (7) explique Fabien Jobard, chercheur au CNRS et co-auteur du livre  Sociologie de la police. Ayant misé sur le dépassement du clivage droite/gauche (le fameux et fumeux « en même temps »), Emmanuel Macron « n’a plus à son service les anciens partis » relève pour sa part la philosophe et psychanalyste Hélène L’Heuillet (8). Le Président de la République « a donc besoin d’une logique de guerre civile, d’une opposition frontale de l’ordre et du désordre, et donc d’une police violente » poursuit-elle.

Pierre Bourdieu avait fait une distinction entre la main droite de l’Etat (l’ordre) et la main gauche (la redistribution, la correction des inégalités). Manifestement, Emmanuel Macron et Christophe Castaner ont choisi la main droite. Jusqu’où ? La nouvelle Loi anti-casseurs adoptée en première lecture à l’Assemblée après avoir été proposée par le groupe LR du Sénat (et notamment Bruno Retailleau, grand pourfendeur des «zadistes» de Notre-Dame-des-Landes) est déjà un élément de réponse. Elle prévoit, entre autres dispositions, une lourde peine (un an de prison et 15 000 euros d’amende) pour le fait de « masquer tout ou partie de son visage sans motif légitime » (9). La répression, elle, n’avance plus masquée. A tel point que les experts de l’ONU (certainement un quarteron d’ « avocats d’extrême-gauche ») ont pointé un usage disproportionné de la force.

Morgan

Notes et sources:

  1. (1) « L’Humanité » du 31 janvier 2019
  2. (2) « Politis » du 17 janvier 2019
  3. (3) Voir le compte twitter du journaliste David Dufresne
  4. (4 et 5) « L’Humanité » du 31 janvier 2019
  5. (6 et 7) « Politis » du 17 janvier 2019
  6. (8) « L’Humanité » du 31 janvier 2019
  7. (9) « Politis » du 7 février 2019

Image à la Une : PIGZ ou voir les flics en rose Cr Morgan

JF-Arnichand Aka Morgan
"Journaliste durant 25 ans dans la Presse Quotidienne Régionale et sociologue de formation. Se pose tous les matins la question "Où va-t-on ?". S'intéresse particulièrement aux questions sociales, culturelles, au travail et à l'éducation. A part ça, amateur de musiques, de cinéma, de football (personne n'est parfait)...et toujours émerveillé par la lumière méditerranéenne"