Alors que l’État prévoit la construction d’un centre de rétention administrative de 140 places à Béziers, le maire Robert Ménard, seul volontaire en France, en fait un marqueur fort de sa campagne. Mais associations, riverains et élus d’opposition dénoncent un projet « imposé sans débat », coûteux et contraire aux valeurs humanistes, ravivant les fractures politiques locales.
Sur un vaste terrain agricole laissé en friche, au nord-ouest de Béziers, jouxtant la prison du Gasquinoy, un centre de rétention administrative (CRA) de 140 places pourrait sortir de terre d’ici fin 2027 ou début 2028. L’État prévoit un investissement oscillant entre 37 et 48 millions d’euros selon les estimations. Le site, propriété de l’agglomération, était jusqu’ici destiné à accueillir un centre de tir, une salle de sport pour la police et un nouvel établissement psychiatrique.
Béziers est la seule ville du pays à s’être portée volontaire pour accueillir ce type de structure. Une singularité revendiquée par son maire, Robert Ménard. À quelques mois des élections municipales, Robert Ménard assume pleinement le caractère politique de ce projet. Il en a fait l’un des axes centraux de son discours sécuritaire, martelant ce qu’il présente comme une « réponse ferme et lucide au désordre migratoire ».
« Je suis favorable à ce que l’on applique les OQTF. C’est la seule manière efficace d’expulser les gens qui doivent l’être. » Dans ses prises de parole, le maire oppose les « délinquants étrangers » à ce qu’il appelle « les Biterrois honnêtes », une rhétorique populiste qui trouve un certain écho dans une ville touchée par la pauvreté et un sentiment d’abandon. Pour ses partisans, le CRA serait un symbole de « reprise en main », renforçant son positionnement d’élu intransigeant face à l’insécurité.
“un projet imposé sans débat”
L’opposition municipale, elle, dénonce autant le fond que la forme. Il n’y aurait pas eu de vote au conseil municipal, ni de discussion au sein de l’agglomération : l’annonce du projet a été découverte… dans la presse. « Robert Ménard a décidé seul. Aucune concertation, aucune information, ni aux élus ni aux habitants. C’est indigne d’un fonctionnement démocratique », tacle Nicolas Cossange (PCF). La France insoumise, le NPA, des élus et militants locaux partagent ce constat : le CRA est devenu un outil de campagne plus qu’un sujet de délibération publique. Depuis plus d’un an et demi, un collectif anti-CRA mobilisant citoyens, associations (Cimade, Ligue des droits de l’Homme, En Vie A Béziers), partis et syndicats tente d’alerter l’opinion.
Le collectif rejette entièrement le projet. Il refuse l’enfermement administratif, estime le coût disproportionné pour l’une des villes les plus pauvres de France, dénonce des conditions de rétention jugées indignes et met en doute l’efficacité d’un dispositif dont une partie des personnes retenues ne sont, au final, jamais expulsées.
Le 4 octobre dernier, près de 150 personnes se sont rassemblées face au terrain pour un rassemblement symbolique, festif et pacifique. Une ambiance contrastant avec le dispositif policier déployé pour empêcher toute intrusion. Après plusieurs négociations surréalistes, les militants ont finalement réussi à planter un olivier et à disperser des bombes à graines de coquelicots, métaphore assumée d’une autre vision du territoire. Le collectif dénonce un « gaspillage financier » alors que les écoles, hôpitaux et transports manquent de moyens.
« Pour 40 millions d’euros, on peut changer la vie des habitants. Pas enfermer des gens qui n’ont commis aucun délit pénal », résume Daniel Martin de la Cimade.
Inquiétudes sur les conditions de rétention
À ces critiques s’ajoutent les inquiétudes sur les futures conditions de rétention. La France a déjà été condamnée par la Cour européenne des droits de l’homme pour des pratiques jugées indignes dans certains CRA. Le projet biterrois n’est pas isolé : l’État prépare l’ouverture ou l’agrandissement de six autres CRA en France, malgré un contexte de restrictions budgétaires. La politique d’éloignement reste pourtant très critiquée : procédures longues, faibles taux d’exécutions des OQTF, conditions de rétention problématiques.
À Béziers, où l’extrême droite locale fait de la sécurité un pilier de son identité politique, ce CRA cristallise plus qu’un simple aménagement urbain : un choix de société. La bataille ne fait que commencer. Le collectif anti-CRA annonce de nouvelles actions : distributions de tracts, réunions publiques, sensibilisation des riverains, interpellation des candidats aux municipales. Pour eux, le chantier n’a pas encore commencé — et la mobilisation non plus. « La lutte ne fait que commencer », assure Daniel Martin. Dans un climat politique déjà polarisé, le CRA de Béziers pourrait bien devenir, d’ici les élections, l’un des dossiers les plus explosifs du territoire.







