C’est une question souvent abordée lors des différentes rencontres citoyennes organisées partout dans le pays et en région pour informer et échanger sur la question palestinienne. Combien de fois avons nous entendu : «  mais que pense la société israélienne de ce que son état est en train de faire, de détruire, de pratiquer : un génocide sur tous les fronts »


 

Cette question Abu Amir la développe également parfois dans les textes d’analyse et de réflexion géopolitique qu’il nous envoie, c’était le cas dans celui du 3 Décembre

« Questionnement sur la crise de la société israélienne : les inquiétudes d’un État dans le miroir de ses citoyens, que révèlent les files d’attente devant les ambassades européennes ?

Au cours des dernières années, Israël a connu des transformations internes et externes sans précédent, dont l’intensité s’est accrue avec l’embrasement de la guerre à Gaza et les tensions régionales avec le Liban et l’Iran. Cela s’est clairement reflété dans le sentiment d’une large partie de la société israélienne quant à l’avenir et à la stabilité du pays. Dans ces circonstances, un phénomène remarquable a émergé : l’augmentation significative du nombre d’Israéliens cherchant à obtenir une citoyenneté alternative, en particulier européenne. Les files d’attente devant l’ambassade du Portugal à Tel-Aviv se sont ainsi transformées en scènes symboliques révélant bien plus que de simples démarches administratives. Des médias israéliens, tels que Yedioth Ahronoth, ont montré des centaines de citoyens patientant des heures durant pour déposer des demandes de passeports européens, ce qui a poussé l’ambassade à augmenter le nombre de rendez-vous avant de fermer totalement le système de réservation en raison de la forte pression. Ces files, autrefois motivées par la volonté de retrouver une nationalité historique ou de bénéficier d’une plus grande liberté de mouvement, expriment aujourd’hui une inquiétude collective réelle de la part de personnes qui perçoivent l’avenir en Israël comme devenu incertain et chargé de risques.

Parmi les facteurs les plus influents ayant accentué cette tendance figure l’isolement international croissant auquel Israël a été confronté durant la guerre de Gaza. Le gouvernement israélien a fait face à de nombreuses critiques internationales, tandis que plusieurs capitales du monde ont été témoins de vastes manifestations exprimant la colère du public face aux politiques de Tel-Aviv durant le conflit. Ce recul brutal de l’image extérieure du pays s’est accompagné d’un sentiment, chez certains Israéliens, que leur passeport devenait moins bien accueilli dans plusieurs États. Selon la presse israélienne, certains voyageurs ont même exprimé le sentiment d’être la cible de mépris populaire lors de leurs déplacements, ce qui les a poussés à chercher ce qu’ils décrivent comme « un passeport leur permettant de voyager sans crainte ni contrôle excessif », c’est-à-dire un document leur permettant de se « dissimuler » derrière une identité moins lourde dans un moment international particulièrement complexe. Ainsi, l’obtention d’une nationalité alternative n’est plus seulement une question pratique ou sécuritaire, mais aussi un moyen d’échapper à un regard mondial perçu comme plus dur et plus hostile en raison de la guerre et de ses conséquences, accentuant un sentiment d’isolement au sein de la société israélienne.

Des analyses israéliennes indiquent que cette vague n’est pas éphémère : elle reflète une crise de confiance multidimensionnelle — une confiance affaiblie envers l’institution sécuritaire après les événements du 7 octobre, une confiance ébranlée envers le gouvernement et sa capacité à gérer les crises, ainsi qu’un sentiment qu’Israël fait face à une pression internationale sans précédent. La profonde division interne, qui avait commencé avant la guerre à propos du projet de réformes judiciaires, s’est entrecroisée avec ces crises pour créer un climat dans lequel le citoyen estime que l’État n’est plus en mesure de lui fournir les garanties qu’il offrait autrefois. Dans ce contexte, le passeport européen n’est plus perçu comme un simple document secondaire, mais comme un « plan de secours » ou une « sortie de secours » rassurant l’Israélien et sa famille. Avec les restrictions temporaires imposées par certains pays aux détenteurs du passeport israélien durant les périodes de tension, ce sentiment s’est encore accru, ce qui explique la hausse spectaculaire des visites aux cabinets d’avocats spécialisés dans les demandes de nationalités européennes, ainsi qu’une augmentation considérable du nombre de dossiers, selon des données non officielles relayées par les médias hébraïques.

Bien que le gouvernement israélien ait tenté de minimiser ce phénomène en le qualifiant d’exagération médiatique, les faits sur le terrain révèlent une crise plus profonde, liée à l’identité de l’État, à son image à l’étranger et à la confiance de ses citoyens à l’intérieur. En effet, le citoyen qui attend des heures pour obtenir un passeport alternatif n’exprime pas seulement un désir de voyager, mais une peur d’un avenir qu’il juge incertain, ainsi que le sentiment que « l’État présenté comme un refuge sûr » ne l’est plus, à ses yeux. Même si ce phénomène pourrait reculer si la situation sécuritaire et diplomatique s’apaise, il constitue aujourd’hui un miroir fidèle d’une réalité interne en crise, où s’entremêlent tensions sécuritaires, politiques et diplomatiques, produisant une scène sans précédent dans l’histoire contemporaine d’Israël : un État confronté à des défis accumulés, un peuple cherchant silencieusement des alternatives, et un passeport devenu un fardeau dont certains tentent de s’alléger en se tournant vers un autre document susceptible de leur ouvrir une porte de fuite si nécessaire. Ainsi, les files devant les ambassades ne sont pas un simple phénomène passager, mais le signe d’une phase entière où l’image de l’État se transforme aux yeux de ses propres citoyens avant même ceux du reste du monde. »

Cette réflexion d’ Abu Amir évoque l’ échange que nous avons eu, lors d’un ciné débat à l’ Utopia de Montpellier, avec le réalisateur israélien Eyal Sivan, vivant en France et n’ayant jamais fait un seul de ses films avec de l’argent de l’état israélien. Ce jour là c’était la projection de «  Jaffa, la mécanique de l’orange » sorti en 2009 et la question n’a pas manqué : «  Y a t il un quelconque espoir d’une opposition citoyenne israélienne à la politique génocidaire de Netanhayou ? » Sa réponse a été sans équivoque en affirmant que le camp de la paix avait explosé en Israël et qu’aujourd’hui aucune opposition structurée n’existe et ne peut exister dans la société israélienne, parfois des positions individuelles seulement. Eyal Sivan insiste sur le fait que c’est de l’extérieur, de la pression des peuples, fondamentale pour mettre la société israélienne au pied du mur, qu’un changement de cap pourra advenir. Nous savons ce qu’il nous reste à faire !

Brigitte Challande

Photo 1. Files d’attente devant l’ambassade du Portugal à Tel-Aviv les israéliens patientent des heures dans l’espoir d’obtenir un passeport.

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Brigitte Challende
Brigitte Challande est au départ infirmière de secteur psychiatrique, puis psychologue clinicienne et enfin administratrice culturelle, mais surtout activiste ; tout un parcours professionnel où elle n’a cessé de s’insérer dans les fissures et les failles de l’institution pour la malmener et tenter de la transformer. Longtemps à l’hôpital de la Colombière où elle a créé l’association «  Les Murs d’ Aurelle» lieu de pratiques artistiques où plus de 200 artistes sont intervenus pendant plus de 20 ans. Puis dans des missions politiques en Cisjordanie et à Gaza en Palestine. Parallèlement elle a mis en acte sa réflexion dans des pratiques et l’écriture d’ouvrages collectifs. Plusieurs Actes de colloque questionnant l’art et la folie ( Art à bord / Personne Autre/ Autre Abord / Personne d’Art et les Rencontres de l’Expérience Sensible aux éditions du Champ Social) «  Gens de Gaza » aux éditions Riveneuve. Sa rencontre avec la presse indépendante lui a permis d’écrire pour le Poing et maintenant pour Altermidi.