Le 107ᵉ Congrès des maires, censé être consacré aux besoins concrets des communes – financement, services publics, gestion du quotidien – a été largement dominé par la question sécuritaire. Alors que les élus attendaient des engagements fermes sur les dotations, la décentralisation ou les ressources humaines, c’est la présence massive de la gendarmerie et la mise en scène des enjeux de défense qui ont marqué cette édition.


Stands imposants, démonstrations techniques, signature d’une nouvelle convention avec l’AMF : la gendarmerie a occupé un espace considérable, à la fois symbolique et politique. Une visibilité saluée par certains maires ruraux, mais vécue par d’autres comme un décalage profond avec les préoccupations réelles du terrain. Beaucoup réclamaient un soutien financier stable pour leurs écoles, leurs voiries, leurs centres communaux d’action sociale ; ils ont entendu parler de drones, de cybersécurité et de “résilience territoriale”.

La prise de parole du général Mandon, évoquant la nécessité d’accepter d’éventuelles pertes humaines en cas de conflit, a renforcé ce sentiment d’un congrès recentré sur la militarisation des enjeux publics, alors même que les communes font face à une crise structurelle de moyens. Plusieurs élus ont déploré que la sécurité nationale – certes essentielle – vienne occulter les urgences du quotidien : logements insalubres, inflation des coûts de l’énergie, manque de personnels municipaux, et pression croissante de leurs administrés.

En filigrane, une frustration : celle d’un monde local qui attend des réponses pragmatiques mais se voit renvoyé à des préoccupations stratégiques qui ne relèvent ni de son champ direct ni de ses priorités immédiates. Pour beaucoup de maires, cette édition du congrès a mis en lumière un fossé grandissant entre les besoins des communes et la communication sécuritaire de l’État.

 

Quand un général veut vous préparer à perdre vos enfants

Mardi 18 novembre, devant les maires de France, le chef d’état-major des armées, le général Fabien Mandon, a lancé un avertissement d’une rare brutalité : “Si notre pays flanche parce qu’il n’est pas prêt à accepter de perdre ses enfants (…) alors on est en risque.”

Difficile de croire à une simple improvisation. Le choix du moment, la force rhétorique, le public visé — des élus locaux, relais d’opinion privilégiés — laissent penser à une intervention pesée, sans doute même préparée. Ce n’est pas la première fois que le général Mandon frappe fort : il estimait déjà, il y a quelques mois, que la France devait se préparer à un potentiel conflit avec la Russie “d’ici trois ou quatre ans”.

Ses propos s’inscrivent dans la militarisation du vocabulaire politique, visible au fil des mandats Macron, de la “guerre” contre le terrorisme à la “guerre” contre le Covid, jusqu’à l’augmentation constante du budget des armées. Une atmosphère qui peut donner un écho particulier à la parole d’un chef militaire.

 

Des élus divisés : entre inquiétude et agacement

Pour Xavier Poudevigne, maire (SE) d’une commune lozérienne, le message sonne comme une stratégie de peur : “Ce n’était pas l’endroit ; je pense que c’est pour faire peur aux gens.” À l’inverse, Daniel Jollit, maire (LR) des Deux-Sèvres, y voit une mise en garde lucide face à un monde plus menaçant. À gauche, la critique est frontale. Alexis Corbières juge que le général Mandon “tient un discours politique” qui n’a pas à être prononcé par un militaire devant des élus. À l’Assemblée, certains rappellent que la tradition républicaine française repose sur une séparation stricte entre l’autorité civile et la communication militaire. Marc Fesneau, pour la majorité, estime au contraire que le général “n’a pas outrepassé son rôle”.

 

La posture du RN

La réaction du Rassemblement national mérite, elle aussi, d’être interrogée. Le parti a officiellement dénoncé une “faute” du chef d’état-major. Une posture qui tombe à point nommé : à quelques mois des élections municipales, le RN cherche à renforcer son image de parti “respectable”, attaché aux institutions et soucieux du cadre républicain.

Pour autant, cette indignation reste largement de forme. Le RN ne conteste pas le fond du propos du général Mandon : la nécessité de se préparer à une confrontation majeure, voire à l’éventualité de pertes humaines. Historiquement proche d’une partie de l’électorat militaire et des forces de sécurité, le parti n’a aucune raison stratégique de critiquer une vision du monde qu’il partage largement : celle d’un pays en danger, qui doit se durcir.

Ainsi, le RN adopte une ligne subtile consistant à se montrer rigoureux sur la discipline institutionnelle, pour conforter son image d’alternance crédible, sans condamner le diagnostic, qui nourrit son propre discours sur la menace extérieure, la puissance militaire et la préparation nationale. Une posture d’équilibriste, moins contradictoire qu’elle n’en a l’air.

La question demeure : le général Mandon a-t-il simplement fait son devoir d’alerte, ou a-t-il lancé un signal politique sous couvert de réalisme stratégique ? Dans un paysage électoral mouvant, où la sécurité nationale est devenue un argument central, son intervention semble avoir servi de révélateur : révélateur d’une communication militaire plus assertive, révélateur de lignes politiques parfois floues, révélateur, enfin, d’un pays où la guerre n’est plus un tabou… mais un horizon que certains jugent nécessaire de préparer.

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Après des études de lettres modernes, l’auteur a commencé ses activités professionnelles dans un institut de sondage parisien et s’est tourné rapidement vers la presse écrite : journaliste au Nouveau Méridional il a collaboré avec plusieurs journaux dont le quotidien La Marseillaise. Il a dirigé l’édition de différentes revues et a collaboré à l’écriture de réalisations audiovisuelles. Ancien Directeur de La Maison de l’Asie à Montpellier et très attentif à l’écoute du monde, il a participé à de nombreux programmes interculturels et pédagogiques notamment à Pékin. Il est l’auteur d’un dossier sur la cité impériale de Hué pour l’UNESCO ainsi que d’une étude sur l’enseignement supérieur au Vietnam. Il travaille actuellement au lancement du média citoyen interrégional altermidi.