À travers sa programmation le Cinemed résiste à l’indifférence en offrant des regards sur le vécu des minorités et offre une géographie sensible des populations peuplant le bassin méditerranéen. Deux regards sur la vie des juifs au Moyen-Orient et au Maghreb.
Ils sont bien loin des projecteurs, mais ne sont pas épargnés par les effets de la catastrophe qui se déroule à Gaza. En 1945, entre 758 000 et 866 000 juifs vivaient dans ces différentes communautés du monde arabe. Aujourd’hui il en reste moins de 8 000. Au sein des pays arabes, la plus grande communauté juive est actuellement celle du Maroc, avec 2 000 membres environ, suivie par celle de Tunisie qui compte environ 1 000 membres.
Le réalisateur Égyptien (musulman) Ahmed Essam Abo El Ressh, met en lumière dans son court métrage The Last Rabbi, la situation des derniers membres de la communauté juive dans son pays. À son apogée, cette communauté cosmopolite comptait plus de 80 000 membres, concentrés au Caire et à Alexandrie. Les événements de 1948, suivis du coup d’État de 1952, de la montée du nationalisme sous Nasser, puis de la guerre en 1956, a poussé les Juifs et d’autres minorités à l’exil.
Si la situation économique est difficile pour les juifs vivants en Égypte, il n’y sont pas persécutés. « Il est permis à ceux déjà présents de rester, mais la communauté juive en Égypte est en train de disparaitre », alerte le producteur du film Ahmed Rashaan. Avec une grande sobriété, Ahmed Essam Abo El Ressh met en scène le personnage de Daoud, un sexagénaire — interprété par l’excellent comédien palestinien Kamel El Basha — qui peine à s’occuper de sa femme, atteinte d’Alzheimer. Dès les premières images Daoud apparait contraint de subvenir à l’absence de rabbin pour exécuter le rituel qui se rattache au deuil d’une personne de sa communauté. Daoud est tenté de hâter son départ et celui de sa femme, ce que lui interdit la loi juive. Il envoie de l’argent à l’étranger afin qu’un Rabbin puisse exercer les rites comme établis dans les règles. Toute l’énergie qui lui reste, il la mobilise pour que l’honneur ne vacille et que la fin soit digne. À travers ce personnage crépusculaire le réalisateur pointe la dissolution programmée d’une communauté abandonnée dont les derniers éléments sont livrés à eux-même.

Les mouvements d’émigration des juifs des pays arabes sont le produit direct des conflits avec Israël et de la décolonisation. La vaste majorité des juifs vivant dans des pays arabo-musulmans a fui ou a été expulsée entre l’indépendance de ces pays et le milieu des années 1970, la plupart d’entre eux s’installant en Israël, en France ou aux États-Unis. Au Maroc, ces phénomènes historiques ont ponctué l’érosion de la communauté juive qui est passée de 265 000 en 1948, à 2 000 aujourd’hui. Selon l’historien Frédéric Abécassis, « les exactions contre les communautés juives du monde musulman, et de façon générale contre les minoritaires, jalonnent le développement de l’ingérence européenne. Pour certains, l’Europe aurait importé en Orient un antisémitisme alors inconnu ».
Le film Les milles et un jours du Hadjj Edmond, de la réalisatrice Simone Bitton, offre un regard différent à travers le portrait de l’écrivain marocain juif Edmond Amran El Maleh qui a choisi de rester au Maroc à une époque où le mouvement sioniste était actif pour pousser les Juifs à immigrer en Terre d’Israël. La réalisatrice met en scène une lettre cinématographique, nourrit par de multiple témoignages des proches de l’écrivain, qui rend un hommage vibrant d’émotion à son mentor. Se dessine le souvenir d’un personnage attachant et érudit, habité par la tragédie du départ des juifs du Maroc et de l’exode des palestiniens arrachés à leur terre, qu’il met en parallèle. Il a grandi au milieu d’une grande coexistence entre Juifs et musulmans marocains dans la ville de Safi.
« Edmond considérait le Maroc comme son pays, il s’est battu pour son indépendance. Il a conservé son héritage juif en mémoire, mais sans être religieux. Il était opposé au sionisme qu’il considérait comme un mouvement raciste, et à l’exode des juifs marocains en Israël », précise Simone Bitton. Son film retrace le parcours symptomatique de cet intellectuel et appelle à (re)découvrir son œuvre, en même temps qu’il interroge sur la notion d’identité juive qui est loin d’être univoque.
Le festival qui vient de s’achever célèbre le 7e art en rappelant que le cinéma constitue une pensée originale de l’objectivation des situations humaines. Grâce au Cinemed s’ouvrent à nous les multiples fenêtres de la Méditerranée, où chaque film devient un éclat de vie, un fragment d’expérience partagée. Une précieuse opportunité à saisir pour explorer, à travers ses programmations, la diversité des expériences vécues autour de la Méditerranée. À l’année prochaine…
Jean-Marie Dinh
Photo 1. The Last Rabbi, du réalisateur Égyptien Ahmed Essam Abo El Ressh.
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