Ignoré en France jusqu’au début des années 2020, le wokisme est la cible de l’extrême droite. Éveillé.e.s contre obscurantistes. Le XXIe siècle sera woke ou pas !


 

En juin 1965, Martin Luther King invitait les étudiant.e.s de l’Oberlin Collège à réfléchir sur le thème « Rester éveillé face à une grande révolution ». « Que personne ne vous donne l’impression que le problème de l’injustice raciale se résoudra tout seul (…) Je suis absolument convaincu que les personnes malveillantes de notre pays — les extrémistes de droite, les forces vouées à des fins négatives — ont utilisé le temps bien plus efficacement que les personnes de bonne volonté (…) Soyons solidaires. Soyons une génération engagée. Restons éveillés face à une grande révolution. »

2025 : Soixante années plus tard, selon Mathieu Bock-Côté, chroniqueur sur C.News « la gauche woke qui se veut éveillée, éclairée par la Révélation diversitaire, et qui fait de la “race” la catégorie sociologique et politique la plus importante, multiplie les grandes processions au cœur des capitales, en scandant des slogans “décoloniaux” pour qu’en fin s’effondre le vieil Occident. » Et à Chantal Delsol, éditorialiste à l’hebdomadaire Valeurs Actuelles de surenchérir : « Le vieil Occident est en train de perdre son empire culturel qui se voulait universel, c’est-à-dire valable pour tous les humains et destiné à se voir adapté par toutes les cultures de la Terre. » Ainsi, au nom de la défense du « Vieil Occident », l’extrême droite a donc lancé une véritable croisade contre celles et ceux qui préconisent l’éveil des consciences aux inégalités structurant les sociétés occidentales et privilégiant la lutte contre les discriminations, notamment de nature sexiste, raciste et homophobe. Croisade sur tous les fronts contre « l’autoritarisme woke » !

Érigé en porte-parole du mouvement « anti-woke », Donald Trump a, dès les premières heures de son second mandat, lancé une véritable chasse aux sorcières en ordonnant de mettre fin aux « programmes gouvernementaux radicaux et inutiles du programme Diversité, Équité et Inclusion », abrogeant ainsi le décret de Joe Biden, « promouvant l’équité raciale et soutenant les communautés défavorisées par l’intermédiaire du gouvernement fédéral ». Traduction dans les faits ? Exclusion des personnes transgenres de l’armée américaine, obligation aux agences fédérales, aux institutions et aux entreprises sous-traitantes de se plier à ce programme sous peine de se voir priver de subventions, fin de l’égalité des chances dans les universités, sans compter le bannissement de certains livres dans les bibliothèques publiques…

Au nom de cette croisade idéologique, le Président qui veut « rendre sa grandeur aux États-Unis » et « dewokiser » la société américaine, a signé un décret, en mars 2025, intitulé « Rétablir la vérité et la raison dans l’histoire américaine », débutant ainsi : « Au cours de la dernière décennie, les Américains ont été témoins d’un effort concerté et généralisé visant à réécrire l’histoire de notre nation, remplaçant les faits objectifs par un récit déformé, motivé par l’idéologie plutôt que par la vérité. Ce mouvement révisionniste cherche à saper les réalisations remarquables des États-Unis en présentant ses principes fondateurs et ses jalons historiques sous un jour négatif. Dans le cadre de cette révision historique, l’héritage inégalé de notre nation en matière de promotion de la liberté, des droits individuels et du bonheur humain est reconstruit comme intrinsèquement raciste, sexiste, oppressif ou autrement irrémédiablement imparfait. » En quoi, est-ce révisionniste de dire que l’esclavage a existé aux États-Unis ? En quoi, est-ce révisionniste de dire que la ségrégation a été de mise aux États-Unis ?

En France, les vocables « woke » ou « wokisme » sont souvent employés dans un sens péjoratif. Les « anti wokes », les tenants du camp du « bien » considérant leurs adversaires ainsi que ceux du « politiquement correct » comme le camp du « mal ». Le woke, à leurs yeux, serait un totalitarisme, un autoritarisme, un fanatisme, une religion ou une secte intolérante. Ainsi, lors des élections présidentielles, le candidat d’extrême droite Éric Zemmour avait calqué sa campagne sur celle de l’Oncle Donald. « Avec “Illusions perdues”, Balzac a écrit la critique la plus acerbe de votre métier, elle n’a pas pris une ride. Au temps de Balzac, on était libéral, patriote, socialiste. Aujourd’hui on est antiraciste, féministe, écologiste, la culture “woke” a pris la place du marxisme, qui avait pris la place du socialisme, qui avait pris la place du libéralisme », avait-il dit en parlant des journalistes « politiquement corrects ».

Aujourd’hui, la communauté LGBTQIA+ est l’une des cibles privilégiées des défenseurs du « Vieil Occident ». Ces derniers allant jusqu’à s’opposer à des lectures de drag queens dans les écoles en distribuant des tracts dénonçant « une tribune politique transactiviste à destination d’enfants, la normalisation de la théorie du genre et des dérives wokistes. » Ces sympathisants Reconquête (R! ou REC) n’ont de cesse, également, de remettre en cause le droit des migrants ou de soutenir le discours masculiniste transphobe et décliniste de leur chantre… Un chantre qui comme son « maître » américain ose falsifier l’Histoire pour justifier son projet politique…

Mais ce dont ont peur les défenseurs de ce « Vieil Occident » se révèle être cette nouvelle « convergence des luttes », « l’intersectionnalité », « ce concept qui présente la société comme un entrecroisement de systèmes discriminatoires dont pâtiraient les “minorités”, n’a pas grande valeur sociologique. Il relève davantage de l’idéologie anti-occidentale qui commande les sciences sociales et qui a pris, dans l’histoire des idées, le relais du marxisme hégémonique il y a quelques décennies ». À peine pourrait-on paraphraser la première et la dernière phrase du Manifeste du Parti Communiste de Karl Marx : « Un spectre hante l’Occident, le spectre du wokisme » ! « Wokes de tous pays, unissez-vous ! »

Les défenseurs du « vieil Occident » et de son ordre moral usent de tous les stratagèmes pour discréditer cette convergence des luttes. Ainsi, le syndicat étudiant UNI (syndicat étudiant classé à l’extrême droite qui a créé « L’Observatoire du wokisme et de la déconstruction », plateforme de veille, d’analyse et de riposte face à l’offensive de leurs militants, idéologues et autres alliés (militants de la théorie du genre, décolonialistes, indigénistes, racialistes, antispécistes, …). Une plateforme de veille soutenue par Olivier Vial, chroniqueur sur C.News, président du Centre d’Études et de Recherches Universitaires (CERU) et auteur d’ouvrages comme L’école malade de l’égalitarisme ou La jeunesse n’est plus ce qu’elle était… Tant mieux !. Cette plateforme s’est associée à 1792 Exchange, « une plateforme américaine à but non lucratif se consacrant à la préservation de la liberté et au rétablissement de l’équilibre idéologique dans les entreprises publiques ». Une véritable traque aux « éveilleurs » et aux « éveillés ».

Philippe Jaffre

 

 

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