Robert Badinter rejoint Victor Hugo au Panthéon, et l’on salue son combat pour l’abolition de la peine de mort. C’était le 9 octobre 1981, et pendant toute sa vie il a suivi la route de Victor Hugo.
Suite du précédent article « Badinter entre au Panthéon, et la guillotine est au Mucem »

Robert Badinter a été accueilli au Panthéon par le président Emmanuel Macron, même si son cercueil ne contenait que sa robe d’avocat, son discours historique et trois livres : Choses vues de Victor Hugo, Idiss, ouvrage écrit en hommage à sa grand-mère, et Condorcet, un intellectuel en politique, un livre écrit avec sa femme Élisabeth. Sa dépouille reste au cimetière de Bagneux où la rejoindra plus tard son épouse.
On célèbre l’anniversaire de l’abolition de la peine de mort le 9 octobre 1981. Si Robert Badinter a toujours été très proche de la pensée de Zola, de son J’accuse dont il possédait un exemplaire original, c’est vraiment en successeur de Victor Hugo qu’il poursuit son combat. Et le succès de cette abolition il le partage avec lui, il l’a dit clairement. Pas seulement parce qu’il admire ses écrits, qu’il a d’abord lu Le dernier jour d’un condamné et Claude Gueux, mais parce qu’il a les convictions politiques de Victor Hugo, élu député en 1848.
Comme Victor Hugo, des paroles et des actes
La passion pour les écrits et l’engagement de Victor Hugo, partagés avec son épouse Élisabeth Badinter, a poussé l’avocat à se faire écrivain : il a publié une bonne vingtaine d’ouvrages, dont le premier récit L’Exécution, en 1973 il reprend le procès de Claude Buffet et Roger Bontems, puis L’Abolition, le récit de son long combat en 2000, et en 2006 Contre la peine de mort. Sa lutte contre l’antisémitisme est aussi personnelle, car fils d’immigrés juifs, il a vu sa famille détruite par les déportations, et il a publié en 1977 Un antisémitisme ordinaire, analysant les variantes d’un islamisme politique. Il a aussi contribué à l’abolition de lois discriminantes concernant les homosexuels.
Le combat contre la peine de mort, ce ne sont pas que des mots, mais aussi des « actes », comme le dit le titre de l’ouvrage Actes et Paroles, qui rassemble les discours politiques de Victor Hugo. Théâtre et cinéma ont leur mot à dire. En 1995, Robert Badinter crée C.3.3, mis en scène par Jorge Lavelli, où il prend la défense d’Oscar Wilde, condamné et emprisonné pour homosexualité, car pour lui c’est « l’un des exemples les plus saisissants de l’injustice : une société a brisé un homme, l’a tué ».
En 2013 il se met à l’opéra. Dans Claude il adapte le roman de Victor Hugo, Claude Gueux, écrit le livret, c’est à dire 16 scènes, un prologue un épilogue. Cette commande de l’Opéra de Lyon pour la Biennale de Musique Contemporaine est le premier opéra composé par Thierry Escaich, mis en scène par Olivier Py, et c’est l’« intranquille » baryton Jean-Sébastien Bou qui incarne Claude. Tout récemment, le baryton Bruno Taddia (bientôt Falstaff à Montpellier…) rappelait l’importance de cet « événement ».

Au quotidien, au prétoire et dans la presse
Avant Robert Badinter il y a eu dans ce combat pour l’abolition de la peine de mort les discours de Lamartine en 1838, Victor Schœlcher en 1848, ensuite Armand Fallières, Georges Clémenceau, Aristide Briand et Jean Jaurès en 1906-1908… Puis des interventions marquantes d’Albert Camus, Boris Vian, Léo Ferré, Georges Brassens ou Jean Ferrat… C’est une victoire, non seulement parce qu’il a remporté cette abolition, mais parce que son engagement a secoué grandement prétoires et médias. Marqué en 1972 par l’exécution de son client Roger Bontems qu’il estime injuste, il assure en 1977 la défense de Patrick Henry, accusé de l’enlèvement et du meurtre d’un enfant, parvient à faire de ce procès, largement médiatisé, le « procès de la peine de mort » et sauve la tête de son client. L’enjeu est aussi la diffusion des idées, donc la liberté de la presse, pour laquelle Robert Badinter s’est toujours battu, comme Victor Hugo.
Robert Badinter connaît ce rôle de la presse, il connaît les publications du journal « L’Événement » que Victor Hugo fonde en 1848 avec ses amis Paul Meurice et Auguste Vacquerie, et ses fils Charles et François-Victor, soutenus par Émile de Girardin. Ce journal fait un malheur, est le seul à être vendu le soir par les jeunes crieurs de rue, après la fin des délibérations de l’Assemblée (50 000 ventes en mai 1850). Quand il le faut, Victor Hugo apporte lui-même à l’imprimerie les comptes rendus des débats. Ses discours, on peut en retrouver le texte dans Actes et Paroles, mais ils ont marqué surtout le quotidien politique et social. Ce ne sont pas seulement des déclarations d’opinion, ils sont ancrés dans le vécu, notamment les trois discours sur la liberté de la presse, liés à l’arrestation des écrivains, celui sur le Congrès de la Paix, peu auparavant celui sur la misère, après sa visite avec Blanqui des miséreux des Caves de Lille, et surtout celui sur la peine de mort le 15 septembre 1848, alors que le journal publie un article sur le refus des charpentiers de construire une guillotine.

On est bien dans le réel. Suivent, lors du Coup d’État de Louis-Napoléon Bonaparte, le 2 décembre 1851, la défense par Victor Hugo des condamnés des barricades, les emprisonnements des journalistes, la mise à prix de 25 000 francs de la tête de l’écrivain, sa création d’un comité de résistance appelant à l’insurrection, et sa fuite à Bruxelles, dix jours plus tard, déguisé en ouvrier, sous le faux nom de Jacques-Firmin Lanvin, un typographe. Commencent près de vingt ans d’exil.
Une abolition universelle ? Souvenirs à Sète et à Montpellier
Badinter a sans relâche porté ses combats au-delà des tribunes nationales. À Sète, face aux collégiens du collège Victor Hugo, comme à Montpellier, devant les avocats du Corum, il a su transmettre convictions, héritage humaniste et vigilance démocratique. Retour sur deux interventions marquantes dans l’Hérault, reflets d’un engagement resté intact.
Robert Badinter n’ignorait donc pas ces luttes du XIXe siècle. Il savait très bien celle de Victor Hugo contre la misère, qui préparait la naissance du roman Les Misérables, et contre la peine de mort au quotidien. Il le revivait donc dans ses discours, répétant les mots de l’écrivain demandant « l’abolition pure, simple et définitive », auxquels il ajoutait « universelle ». Souhaitant s’adresser à tous, il était, comme son épouse Élisabeth, disponible pour discuter avec les étudiants, les jeunes désireux de comprendre son engagement contre la peine de mort.
Ainsi en 2009-2010, il acceptait d’échanger avec des scolaires de Sète, des élèves de 3ème du Collège Victor Hugo de Sète, qui travaillaient sur les romans Le dernier jour d’un condamné et Claude Gueux, et qui avaient fait aussi des dossiers sur l’historique de la peine de mort dès l’Ancien Régime, sur les exécutions passées, et sur d’autres assez récentes aux USA (injections létales)*.

Quelques une des questions posées à Robert Badinter
par les élèves de 3ème 2 du Collège Victor Hugo de Sète (année scolaire 2009-2010)*, parmi lesquels Daria, Sofia, Luc, Léa, Romain, Diane, Lucas, Mey, Thibaut, Clémence, Marion, Paul, Laura, Jason, Lorenzo, Vinny, Hasni, Tina, Maxime, Aymeric… Réponses de Robert Badinter
Quelle place occupe Victor Hugo dans votre combat contre la peine de mort ?
Essentielle.
Qu’avez-vous ressenti le 18 septembre 1981 ?
Le sentiment du devoir accompli.
Continuez-vous à vous battre contre la peine de mort dans d’autres pays ?
Sans discontinuer depuis 1981 et jusqu’à mon dernier souffle.
Avez-vous connu des moments de découragement ?
Non.
Qui vous a soutenu pendant toutes ces années ?
Ma femme.
La justice est-elle pour vous une passion ou un devoir ?
Une passion.
Qu’est-ce qui a décidé de votre carrière politique ?
Le hasard plus que la vocation.
Êtes-vous fier de votre parcours ?
Moins que de mes enfants.
Avez-vous gardé un contact avec ceux que vous avez défendus ?
Non.
Quelles lois aimeriez-vous faire voter ?
La liste serait trop longue.
Pourquoi la France a-t-elle été retardataire dans l’abolition de la peine de mort ?
Par manque de courage politique de ses dirigeants.
Vous n’en avez pas assez de parler de l’abolition de la peine de mort en France ?
Souvent. Seule compte l’abolition universelle.
Un autre affrontement : à Montpellier, en 2010, il rencontrait au Corum une majorité d’avocats pour mettre en cause la réforme pénale en cours, qui donnait un pouvoir toujours plus grand à l’accusation, appelant à la refuser.
Conférence de Robert Badinter le 27 janvier 2010 au Corum à Montpellier
Robert Badinter a rassemblé plus de 450 personnes, contre la réforme pénale en cours, insistant sur le risque de la suppression du juge d’instruction, ce qui ferait du procureur le maître à bord susceptible d’enterrer les affaires politico-financières.
Il défend l’instruction : « Elle a un grand mérite : le juge est indépendant. » Il refuse une « américanisation » du système judiciaire : « D’un côté il y a les avocats qui ont la défense des grands, des fortunés qui peuvent payer des actes. De l’autre, les avocats commis d’office, écrasés par la charge de travail. » Il défend le suspect en garde à vue et s’indigne : « Mais à quoi on joue en France ? quand on interroge quelqu’un en garde à vue, l’avocat doit être présent. C’est ça le respect des droits de la défense. »
Il s’amuse à imaginer un jeu où l’on doit deviner le nombre annuel de gardes à vue : « Les optimistes diront 15 000, les pessimistes 50 000, les déprimés 80 000. La réponse : on est passé de 365 000 en 2000 à 578 000 en 2008. Où sommes-nous ? » C’étaient les questions posées par Robert Badinter en 2010, et finalement la réforme a été votée en 2024, le Sénat ayant publié le chiffre le plus récent, 900 000 gardes à vue en 2009, soit 54 % d’augmentation depuis 2000… Toujours actuel.
L’avocat est revenu à la question de l’abolition de la peine de mort lorsque France 2 a publié la série en quatre épisodes de Jean-Marc Moutout et Iris Bucher, « Victor Hugo ennemi d’État », le 6 novembre 2018. Yannick Choirat incarne l’écrivain ! Juste après la diffusion, celui qui se dit toujours « hugolâtre » confie immédiatement ses conclusions à Léa Salamé dans son émission « Stupéfiant ! » et déclare : « L’abolition doit tout à Victor Hugo, car il a formé des générations de jurés. » Badinter avoue ensuite que pendant son discours, le 17 septembre, il sentait « Victor Hugo toujours vivant ». Et il a même tenu à poser ses mains sur le pupitre où l’orateur s’était appuyé. Une énergie partagée.
Il est bien clair que ses écrits, ses ouvrages, son opéra, sont destinés à réaliser une modernisation de l’institution judiciaire, et une abolition universelle. Son Claude Gueux demande une attention aux « damnés de la loi humaine », aux hommes tombés : « De ces pauvres têtes mal conformées, le premier tort est à la nature sans doute, le second à l’éducation. La nature a mal ébauché, l’éducation a mal retouché l’ébauche. Tournez vos soins de ce côté. Une bonne éducation au peuple. »
La dernière phrase du roman, Robert Badinter peut la partager avec Victor Hugo : « Cette tête de l’homme du peuple, cultivez-la, défrichez-la, arrosez-la, fécondez-la, éclairez-la, moralisez-la, utilisez-la ; vous n’aurez pas besoin de la couper ».
Michèle Fizaine
* Projet dont j’étais responsable à l’époque en tant que professeur de français de cette classe.
Photo 1. Discours de Robert Badinter, garde des sceaux, ministre de la justice, le 17 septembre 1981… la loi est adoptée le lendemain par 363 voix contre 117. Crédit photo INA
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