Pour célébrer à Marseille l’anniversaire de l’abolition de la peine de mort, et l’entrée de Robert Badinter au Panthéon, une exposition est centrée autour d’une guillotine de 1872.


 

On avait presque oublié ce qu’est une guillotine, sombre symbole de l’Ancien Régime. Alors qu’on célèbre aujourd’hui l’engagement de Robert Badinter pour l’abolition de la peine de mort, votée le 9 octobre 198, on se souvient aussi du discours de Victor Hugo à l’Assemblée Nationale le 15 septembre 1848 : « Dans le premier article de la constitution que vous votez, vous venez de consacrer la première pensée du peuple : vous avez renversé le trône. Maintenant consacrez l’autre : renversez l’échafaud ». Le 13 octobre à Marseille, une soirée spéciale dédiée à Robert Badinter et à ses combats politiques est programmée, en présence d’intellectuels et d’artistes.

Une guillotine historique

En hommage à Robert Badinter, le Mucem expose une guillotine qui était déjà présente lors de son ouverture en 2013. Pour remplacer un exemplaire détruit pendant la Commune de Paris en 1870, elle a été construite en 1872 par Alphonse-Léon Berger, un bourreau connu, charpentier ébéniste de Perpignan, et ce modèle fut utilisé jusqu’à la fin des exécutions publiques. Cette guillotine mesure 4,50 m pour 800 kg et sa lame imposante surplombe une bascule tournée vers le visiteur. Elle vient donc s’ajouter depuis vendredi dernier à l’exposition permanente « Populaire ? Les trésors des collections du Mucem » Section « Peuples en mouvements ». Celle-ci « documente et met en lumière les mobilisations sociales face aux grandes transformations du monde » à travers une sélection d’objets des XXe et XXIe siècles, précise le Musée.

Robert Badinter à la tribune de l’Assemblée nationale
Robert Badinter à la tribune de l’Assemblée nationale pour défendre l’abolition de la peine de mort, en 1981. Crédit Photo INA

La conservation de la machine à décapiter a été voulue et défendue par Robert Badinter ! Pour la première fois, en 2010, la guillotine a été montrée au grand public à l’occasion de l’exposition « Crime et châtiment » au Musée d’Orsay, sous l’impulsion de Robert Badinter, conseiller scientifique de l’événement organisé par Jean Clair. Elle évoquait l’échafaud, le bagne, la prison, et cette fameuse guillotine se présentait voilée de noir, comme avant les exécutions à l’aube. Gibet, garrot, chaise électrique, crucifixion, têtes tranchées, moulages de suppliciés, tableaux de Goya, Géricault, Picasso, Magritte, et dessins de Victor Hugo étaient exposés. Une vision terrible. « Quand je l’ai vue dans la cour de la Santé, avec ses grands bras maigres, dressée vers ce dais, elle avait l’air d’une espèce d’idole, sanglante, qui attendait sa ration de mort. Maintenant, c’est une pièce de musée. Tout est dit. » Ainsi commentait Robert Badinter, en 2010 sur France Inter, à l’occasion de cette exposition au Musée d’Orsay, dans laquelle la guillotine était montrée pour la première fois au public. C’est qu’en 1972, cent ans après sa construction, Robert Badinter avait vu la guillotine en action, à l’issue du procès de Roger Bontems, qu’il défendait, exécuté comme Claude Buffet…

Sens caché, mémoire, et actualité

Décapitation et justice, la réflexion continue. « J’ai consacré beaucoup de temps, au long des décennies, à étudier ce phénomène complexe, présent dans toutes les sociétés humaines, qu’on dénomme la justice, disait Robert Badinter en 2010. Paradoxalement, j’éprouvais le sentiment, au fil des années, que l’étude des constitutions, lois, jugements, l’analyse des procédures et des rites, l’immense domaine de l’anthropologie judiciaire recouvraient une sorte d’énigme dont je ne découvrais pas le sens caché ».

Retrouver cet instrument de supplice, c’est un choc. Les souvenirs reviennent. La guillotine fut utilisée pour la dernière fois le 10 septembre 1977, à la prison des Baumettes à Marseille, lors de l’exécution de Hamida Djandoubi, condamné pour assassinat et actes de torture. Ce fut la dernière exécution capitale en France, conduite par le bourreau Marcel Chevalier.

« Justitia », 1857, tête décapitée et guillotine. Un dessin de Victor Hugo, très connu de Robert Badinter. Crédit Photo Maison VH

C’est donc un an après l’abolition de la peine de mort, que la guillotine Berger a été intégrée, à la demande de Badinter, et par affectation du Ministère de la Justice, dans les collections du Musée National des Arts et Traditions populaires, dont le Mucem est l’héritier. Il était précisé que la guillotine ne pouvait être exposée publiquement avant l’an 2000. Ce qui a été respecté !

Robert Badinter souhaitait donc inscrire dans la mémoire collective la trace matérielle de la peine capitale au moment même où la France s’en libérait. Avec cet ajout dans l’exposition permanente « Populaire ? », le Mucem affirme son rôle de musée de société qui met en lumière les mobilisations sociales face aux grandes transformations du monde, notamment luttes, ruptures et progrès ayant façonné la société française contemporaine. En s’attachant à des dates clefs, grèves ouvrières de 1936, révoltes étudiantes et sociales de 1968, conquêtes féministes en 1974, abolition de la peine de mort en 1981, mariage pour tous en 2013, mobilisation mondiale pour la liberté d’expression après les attentats de janvier 2015. Une mémoire vivante.

C’est dans ce cadre que la guillotine, symbole de la fin de la peine capitale, est présentée à Marseille, rappelant combien l’abolition de 1981 fut un basculement historique. En exposant aujourd’hui la guillotine, alors que Robert Badinter entre au Panthéon, le Mucem souligne sa mission : être à la fois un lieu de mémoire des luttes sociales et politiques, et un espace de résonance avec l’actualité nationale.

Michèle Fizaine

 

Exposition. Depuis le 9 octobre 2025, au Mucem, RDC – Exposition « Populaire ? Les trésors des collections du Mucem » Section « Peuples en mouvements », scénographe Sylvie Jodar. Le 13 octobre, à 19h à l’Auditorium, soirée hommage consacrée à Robert Badinter, en collaboration avec l’INA Méditerranée, questionnant en archives notre façon de penser le monde à l’époque et l’actualité des combats de ce grand homme. Avec Eric Fottorino, journaliste et écrivain, Thomas Snégaroff, journaliste et historien, et William Nadylam, lecteur. Gratuit.

Photo 1 : La lame destinée à couper la tête du condamné, modèle français créé par le Docteur Guillotin pendant la Révolution. Crédit Photo Mucem Jestin Lucas

A suivre : Prochain article à paraître « Robert Badinter et Victor Hugo, même combat »

 

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J’ai enseigné pendant 44 ans, agrégée de Lettres Classiques, privilégiant la pédagogie du projet et l’évaluation formative. Je poursuis toujours ma démarche dans des ateliers d’alphabétisation (FLE). C’est mon sujet de thèse « Victor Hugo et L’Evénement : journalisme et littérature » (1994) qui m’a conduite à écrire dans La Marseillaise dès 1985 (tous sujets), puis à Midi Libre de 1993 à 2023 (Culture). J’ai aussi publié dans des actes de colloques, participé à l’édition des œuvres complètes de Victor Hugo en 1985 pour le tome « Politique » (Bouquins, Robert Laffont), ensuite dans des revues régionales, et pour une série de France 2 en 2017. Après des études classiques de piano et de chant, j’ai fait partie d’ensembles de musique baroque et médiévale, formée aux musiques trad occitanes et catalanes, au hautbois languedocien, au répertoire de joutes, au rap sétois. Mes passions et convictions me dirigent donc vers le domaine culturel et les questions sociales.