Le suspense a duré plus de trois semaines. Après la démission de François Bayrou, la promesse d’un « nouveau départ » avait laissé espérer un réel renouvellement politique. Mais dimanche 5 octobre au soir, l’annonce par le secrétaire général de l’Élysée Emmanuel Moulin a rapidement douché les espoirs : le nouveau gouvernement de Sébastien Lecornu ressemble à s’y méprendre à celui qui l’a précédé. Sur 18 ministres nommés, 12 sont reconduits, plusieurs visages connus effectuent un retour, et seules deux personnalités font leur entrée au sommet de l’État.
Bruno Retailleau conserve le ministère de l’Intérieur, tandis que Gérald Darmanin reste à la Justice en tant que garde des Sceaux. Élisabeth Borne garde l’Éducation nationale, Rachida Dati – pourtant mise en examen – reste à la Culture, Annie Genevard poursuit à l’Agriculture, et Jean-Noël Barrot reste aux Affaires étrangères. Catherine Vautrin continue à piloter les dossiers du Travail et de la Santé, Agnès Pannier-Runacher demeure à la Transition écologique. À ces reconductions s’ajoutent celles de Manuel Valls, toujours en charge des Outre-mer, Amélie de Montchalin aux Comptes publics, Philippe Tabarot aux Transports, et Aurore Bergé, qui conserve son portefeuille pour l’Égalité femmes-hommes et ajoute le rôle de porte-parole du gouvernement.
Mais le retour le plus remarqué – et controversé – est celui de Bruno Le Maire, inamovible ministre de l’Économie de 2017 à 2024, nommé cette fois ministre des Armées. Une décision incomprise par nombre d’observateurs, tant la politique économique qu’il a incarnée est aujourd’hui jugée responsable du marasme budgétaire et social que traverse le pays. Autre retour marquant : Éric Woerth, ancien ministre sous Nicolas Sarkozy, revient aux affaires comme ministre de l’Aménagement du territoire, chargé de porter une nouvelle vague de décentralisation. Roland Lescure, figure de l’aile « sociale » de Renaissance, prend la suite d’Éric Lombard à Bercy. Marina Ferrari est nommée aux Sports, avec pour mission de préparer les JO d’hiver 2030. Deux personnalités font leur entrée au gouvernement : Mathieu Lefèvre, proche de Gérald Darmanin, devient ministre des Relations avec le Parlement, tandis que Naïma Moutchou (Horizons) prend en charge la Transformation de la Fonction publique et le Numérique.
Au total, la majorité présidentielle (Renaissance) place 11 ministres, les Républicains en comptent 4, tandis que le MoDem et Horizons sont faiblement représentés. Une composition que plusieurs responsables politiques – y compris à droite – qualifient déjà de gouvernement déséquilibré.
Billet
Le crépuscule d’un président enfermé dans le déni
Trois semaines de vide, des rumeurs de rupture, puis… rien. Ou presque. Dimanche soir, l’Élysée a enfin levé le voile sur la première salve du gouvernement de Sébastien Lecornu. Et ce que les Français y ont vu n’est pas un tournant politique, mais un retour à l’identique. Une continuité rigide, presque aveuglante, qui tranche violemment avec les attentes d’un pays en proie à une profonde lassitude démocratique.
Le contraste est cruel entre les promesses floues de « rupture » et le recyclage de visages déjà bien connus : Bruno Le Maire, dont les politiques économiques contestées ont marqué l’ère Macron depuis 2017, fait un retour inattendu aux Armées ; Rachida Dati, toujours mise en examen, est maintenue à la Culture ; Élisabeth Borne, dont le passage à Matignon a laissé une opinion divisée, reste à l’Éducation. Au total, 12 des 18 ministres sont reconduits. L’opposition parle d’ »immobilisme », les Français, eux, évoquent une provocation.
Une reconduction qui fait l’effet d’une gifle
Depuis la démission de François Bayrou et la chute de son gouvernement, l’exécutif entretenait le flou. Emmanuel Macron, mutique, laissait espérer un vrai changement. Certains y ont cru, ou du moins voulu y croire : les partis, les éditorialistes, et quelques citoyens. À la place, ils découvrent une équipe quasi inchangée, marquée par le retour des « revenants » et la consolidation d’une ligne politique de plus en plus droitière.
Quelle soit silencieuse ou exprimée l’indignation des français est palpable. Une colère froide, désormais sourde, monte dans le pays des droits de l’homme face à ce que beaucoup perçoivent comme un entêtement présidentiel dangereux.
Un gouvernement, mais pour quoi faire ?
Le nouveau Premier ministre, Sébastien Lecornu, présenté comme un « homme de dialogue », hérite d’un gouvernement condamné d’avance à chercher des compromis dans un Parlement fracturé. Ce nouveau gouvernement ne tient (déjà) qu’à un fil. L’Assemblée nationale pourrait le censurer dans les jours qui viennent, tant la défiance est forte. Jean-Luc Mélenchon évoque un « cortège de revenants », Marine Le Pen parle d’une « France en faillite pathétique », tandis que les Républicains s’estiment « trahis » par la promesse de rupture non tenue.
Côté Parti socialiste, dont la position sur le vote éventuel d’une motion de censure est déterminante, les réactions vont dans le même sens. « Si le Premier ministre et le Président de la République ne veulent rien changer, alors ils seront censurés. » Chez les Écologistes, déjà acquis à la censure, l’annonce du gouvernement n’a fait que renforcer leur conviction. « Le mépris des macronistes pour la démocratie franchit un nouveau palier : ils portent une responsabilité écrasante dans le dégoût des Français pour la politique », a déclaré la patronne des Verts Marine Tondelier,.
Les centristes du MoDem, pourtant partenaires historiques de la majorité, dénoncent un exécutif qui passe « d’inutile à toxique ». Une critique partagée jusque dans les rangs de Renaissance, où certains, en privé, avouent leur trouble face à un président qui semble de plus en plus sourd aux signaux d’alerte de la société.
Une crise de régime larvée
Ce remaniement n’est pas seulement un rendez-vous manqué. Pour nombre d’observateurs, c’est le symptôme d’un système qui vacille. Car derrière les jeux d’alliances et les calculs de couloirs, le peuple ne suit plus. La désaffection démocratique atteint des sommets. L’abstention explose, la confiance dans les institutions s’effondre, et les extrêmes prospèrent, nourris par un cynisme d’État qui ne dit pas son nom.
La politique néolibérale d’Emmanuel Macron, déjà fortement contestée pour sa casse des services publics, entre dans une phase encore plus brutale : celle de la projection sans frein du marché dans toutes les sphères de la vie. Derrière les discours de « modernisation », la logique mortifère du chef de l’État flirte avec l’idéologie des libertariens, fragilisant l’État social au nom de l’efficacité, tout en laissant les libertés publiques s’effriter. Et dans ce contexte explosif, il alimente directement les thèses de l’extrême droite, qu’il prétend combattre.
Où Emmanuel Macron veut-il conduire le pays dans ce dernier acte de son quinquennat ? À quoi riment ces choix, cette inflexibilité, cette incapacité à tirer les leçons d’un rejet profond et massif ? Ce « gouvernement de la dernière chance » semble davantage celui d’un règne finissant, déconnecté, et voué à l’échec.
Alors que les crises s’enchaînent – sociale, économique, démocratique – le sentiment dominant est celui d’un abandon, d’un mépris même. Et si ce gouvernement échoue à rassembler, à convaincre, à écouter, alors ce n’est plus seulement la majorité qui est en danger. C’est tout le pacte démocratique.
Jean-Marie Dinh