Gaza subit des attaques israéliennes sans précédent. Plus que jamais, son histoire doit être connue. L’Institut du Monde Arabe dévoile 130 chefs-d’œuvre appartenant à l’Autorité nationale palestinienne. Témoins de la diversité et de la richesse d’un passé annihilé par la guerre, ces trésors sauvés mettent en lumière la terrible tragédie humaine.
Le Musée d’art et d’histoire de Genève (MAH) conserve précieusement, depuis 2007, une collection appartenant à l’Autorité nationale palestinienne. Près de 529 œuvres — amphores, statuettes, stèles funéraires, lampes à huile, figurines, mosaïques… —, datant de l’âge du bronze à l’époque ottomane en font partie, dont la magnifique mosaïque byzantine d’Abu Baraqeh qui illustre l’importance de Gaza comme carrefour stratégique depuis l’Antiquité. Ces œuvres, témoins d’un passé annihilé par la guerre incessante, pourront-elles un jour retourner à Gaza ?
Jusqu’au 2 novembre 2025, l’Institut du Monde Arabe (IMA) à Paris expose une sélection de 130 chefs-d’œuvre de cet ensemble issu des fouilles franco-palestiniennes commencées en 1995 et de la collection privée de Jawdat Khoudery offerte en 2018 à l’Autorité nationale palestinienne ; L’objectif étant « de sensibiliser le public aux enjeux de patrimoine en tant de guerre et plus particulièrement à Gaza, où plus des deux-tiers des bâtiments ont été détruits ».
L’exposition « Trésors sauvés de Gaza, 5000 ans d’histoire » revient sur le passé de la glorieuse Hazzattu, son nom égyptien au temps des pharaons, aujourd’hui Ghazza [en arabe,ndlr], de l’âge du bronze et du fer en passant par les périodes assyrienne, perse, hellénistique, romaine et byzantine jusqu’à la période ottomane et musulmane.
Avant poste de Babylone, perle de la Méditerranée, poste frontalier entre l’Égypte et l’Asie, oasis et dernier havre de paix avant le désert aride, on apprend que Gaza était convoitée pour sa position stratégique « dans les enjeux égypto-perses », la vallée de Gaza, Wâdî Ghazaa, aujourd’hui en grand péril, était la « terre de cocagne des commerçants caravaniers, port des richesses de l’Orient, de l’Arabie, de l’Afrique et de la Méditerranée », renseigne la présentation.

Tirage moderne sur aquapaper, collection de l’École biblique et archéologique française de Jérusalem. Négatif sur verre, 9×12 cm. Tirage moderne.
La délicate statue de marbre, les amphores, lampes byzantines, stèles funéraires aux inscriptions en relief, et autres merveilles, nous renvoient à ce passé plurimillénaire effacé par les multiples destructions israéliennes.
Les photos inédites de l’École biblique et archéologique de Jérusalem (EBAF), documents uniques, nous ramènent au début du XXe siècle avant la guerre, lorsque les gens vivaient en paix malgré leurs différences.
Le regard se porte sur les photos de paysages disparus, captivé par les jardins paisibles et ombragées, les oliviers, le pittoresque port de pêche, la mosquée, photographiée du monastère. Ce bond dans le passé nous rappelle que Gaza fut sereine, paisible, vivante.
En 1917, le bout de terre ne fut pas épargné par les bombardements de la Grande Guerre qui entament une grande partie du patrimoine architectural gazaoui.
Dès 1947, l’établissement de l’État d’Israël et la première guerre israélo-arabe (1948-1949) provoque l’exode forcé des populations palestiniennes (El Nakba, trad. La catastrophe), poussant à l’exil plus de 750 000 palestiniens.
En 1967, lors de la Guerre des Six jours, Israël s’empare au mépris de la loi internationale des 22 % restants du Territoire palestinien, la Cisjordanie, Jérusalem-Est, le plateau du Golan syrien, la péninsule égyptienne du Sinaï et de Gaza, installant ainsi la région dans une situation de guerre permanente1. Les villages de la bande de Gaza sont dévastés ou rasés au cours des opérations militaires. Près de 300 000 exilés palestiniens fuient, déplacés de force de leurs foyers et de leurs terres vers les pays voisins (El Naksa, trad. La Rechute).
La bande côtière, transformée en prison à ciel ouvert, est sous occupation militaire permanente. Les points de contrôles, les raids terrestres, les attaques et provocations des colons, les arrestations, les frappes aériennes, les blessés, les pertes humaines font partie du quotidien de la Cisjordanie et de Gaza.
Dans ce contexte d’escalade des violences à l’encontre du peuple palestinien, se produisent le 7 octobre 2023 les terribles attaques du Hamas. En réponse, le gouvernement Netanyahu engage une offensive sans distinction et sans limite : un déluge de feu s’abat sur Gaza et ses habitants. Plus de deux tiers du bâti de Gaza est totalement détruit ; L’ONU annonçait qu’il faudrait près de seize ans pour reconstruire, mais les destructions quotidiennes retardent de plusieurs années cette estimation. Terre brûlée, champ de ruines et de morts, enfance anéantie… Blessée, affamée, traquée, Palestine hurle de douleur dans le silence coupable.

Destruction massive des sites culturels
Depuis 1917, Israël semble œuvrer à l’effacement systématique des traces matérielles et immatérielles de l’identité palestinienne : démolition de maisons, de villages entiers, de lieux de mémoire et de patrimoine culturel tels que des mosquées, églises, bibliothèques, archives…, restriction de l’accès aux sites historiques.
Gaza subit une pression foncière, une urbanisation galopante depuis plus de 20 ans, liée à la guerre, à la crise sociale et humanitaire2. Les nombreux chantiers ne pouvaient pas se faire sans impact sur les richesses archéologiques dont la région regorge. En 2017, s’est donc imposée la nécessité de mettre en place une archéologie d’urgence et de préservation.3Depuis le début de la guerre, avec le soutien d’acteurs locaux et internationaux, des palestiniens documentent, préservent et sauvent les sites et collections archéologiques. Ils œuvrent pour la sauvegarde de l’histoire de Gaza et seront les témoins des conséquences du conflit sur leur patrimoine.
Dans l’exposition, un espace est réservé à la cartographie des bombardements réalisée par des chercheurs. Au 25 mars 2025, l’Unesco observe, en se basant sur des images satellitaires, des dommages sur 94 sites culturels : 12 sites religieux, 61 bâtiments d’intérêt historique et/ou artistiques, 7 sites archéologiques, 6 monuments, 3 dépôts de biens culturels mobiliers et 1 musée.
La mention des sites archéologiques en péril pourrait sembler indécente, mais l’exposition, acte de sensibilisation, témoigne et met en lumière par le biais de ces trésors sauvés, la terrible tragédie humaine.
Le 8 mars 2025, des salarié.e.s du secteur de la culture ont interpellé, par lettre ouverte, le président de la Bibliothèque nationale de France (BnF) et la ministre de la Culture au sujet de leur silence face à la destruction du patrimoine et au massacre de vies humaines à Gaza, soulevant ainsi la question du culturicide, sans avoir suscité à ce jour de réaction.
Sasha Verlei
Trésors sauvés de Gaza – 5000 ans d’histoire : exposition organisée par l’IMA en partenariat avec le ministère du Tourisme et des Antiquités de Palestine et le Musée d’art et d’histoire de Genève. Jusqu’au 2 novembre 2025 à l’IMA, 1 rue des Fossés Saint-Bernard, 75005 Paris.
Photo 1 – Mosquée Saïd-Hachem, dans le vieux Gaza, style néo-mamelouk de l’époque ottomane tardive. 1922. Négatif sur verre, 9×12 cm. Tirage moderne.
Notes:
- Le Sinaï a été rendu au contrôle égyptien en 1982, le Golan syrien reste sous contrôle israélien jusqu’à aujourd’hui. Entre 1967 et 1975, Israël a déclaré plus de 26 % des terres de Cisjordanie zones militaires fermées, les rendant ainsi inaccessibles aux Palestiniens à moins qu’ils n’obtiennent un permis spécial délivré par l’occupant israélien ; et a commencé à promouvoir l’installation de citoyens juifs dans les territoires occupés (colonies) en violation du droit international.
- La bande de Gaza est longue de 41 km et mesure entre 6 et 12 km de large (365 km2), sa façade maritime est de 40 km. La frontière avec Israël représente 59 km et celle avec l’Égypte, 13 km. En 2023, selon le le Bureau des Nations unies pour la coordination des affaires humanitaires (Ocha), la bande de terre comptait près de 2.23 millions de personnes, dont 1,7 million de réfugiés et 700 000 vivaient à Gaza ville. Ce qui représente une densité de 6 090 habitants au km2, contre environ 450 en Israël. Source : https://www.la-croix.com/international/Bande-Gaza-chiffres-disent-difficulte-vie-Gazaouis-2023-10-11-1201286424
- Le projet Intiqal (Transmission), mis en œuvre par l’ONG Première Urgence Internationale en partenariat avec le ministère du Tourisme et des Antiquités de Palestine et de l’EBAF, a débuté en 2017 contribuant à sauver plusieurs sites, tout en formant une centaine d’étudiants en archéologie et en architecture. Il est soutenu par l’Alliance Française de Développement.