En complément du dossier sur l’enfance paru dans altermidi Mag1 nous avons recueilli les témoignages de famille accueillant des enfants placés en foyer par l’Aide Sociale à l’Enfance. Louise Fraval de Coatparquet à Assas et Lorna Shélomie Monte à Gigean, deux assistantes familiales ressources, confient leurs expériences.
« On entend l’inaudible »
Témoignage de Louise Fraval de Coatparquet, 35 ans, Assistante Familiale Ressources à Assas

« Cela fait six ans que j’accueille des enfants et ma tante le faisait déjà. C’est comme un « héritage familial » car mon grand-père s’est dévoué à l’aide au travail et aux handicapés, et a été décoré de l’Ordre du Mérite. Auparavant j’ai travaillé dans un lieu de vie, de protection de l’enfance dans l’Ardèche, avec des adolescentes. J’ai moi-même deux enfants de 12 et 3 ans. Deux petites filles m’ont été confiées, ainsi qu’un garçon seulement pour le week end et les vacances.
Je veux offrir une qualité de vie aux enfants. Comme mon compagnon est très pris, car il est directeur de Sud de France, je veux être présente et disponible. Je profite des loisirs, des activités ludiques, avec plus de souplesse, plus d’accompagnement. Mais il faut comprendre ma passion ! Il faut être un couple solide, plein d’amour et soudé. Il y a parfois de rudes épreuves, un quotidien chamboulé. C’est un travail 24 h/24, pas de soirée libre, pas de week end, mais en revanche de beaux moments partagés, au parc, à la plage, de belles sorties…
L’aménagement à Assas n’a pas été simple, car il faut une chambre par enfant, et un agrément de la PMI, donc un contrôle des escaliers, piscine, barrières, verrous, cache-prise… Mais dans l’Hérault on est bien soutenu, beaucoup mieux que dans le Gard, et c’est important de pouvoir faire remonter les besoins. C’est un travail de longue haleine.
On a des réunions des Assistants tous les mois, c’est important, notre fonction nous oblige à échanger, car on est parfois esseulé. Il y a beaucoup d’urgences, de problèmes : comportement, questions juridiques, santé mentale, addictions, passeport à la nationalité française… On ne parle pas de tout cela, seulement lorsqu’il y a un accident, un fait divers, un décès ! On est 600 sur l’Hérault et la moyenne d’âge est de 57 ans : il y a plus de départs à la retraite que de postulants ! Pour être prise on doit avoir déjà ses propres enfants ou justifier d’avoir partagé le quotidien d’un enfant.
On n’est pas du tout des baby-sitters, c’est vraiment un chouette métier ! Il faut beaucoup de force de caractère, car tout est au cas par cas. On entend l’inaudible, on absorbe la misère du monde… Nous ne sommes pas là pour pallier aux manques, mais pour accompagner l’enfant à se construire ».
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« On sème dans la vie de ces enfants »
Témoignage de Lorna Shélomie Monte, 52 ans, Assistante Familiale Ressources à Gigean

« Cela fait 22 ans que j’accueille des enfants de différents âges, et actuellement j’en ai deux majeurs et un de 14 ans. Le plus jeune que j’ai accueilli avait deux ans. J’ai moi-même deux enfants.
Mes débuts… Mes parents sont devenus famille d’accueil quand j’ai quitté la maison. Moi je le suis devenue à 30 ans, alors que j’étais maman de deux enfants. En fait chez nous, c’est « générationnel », car ma fille a aussi accueilli des enfants pendant deux ans, jusqu’à ce qu’elle doive s’occuper de la santé de son bébé.
Je suis Assistante Familiale Ressource (AFR), il y en a une douzaine sur le département pour une quarantaine d’auxiliaires familiales. On est des intermédiaires, on est comme un rond-point. On gagne un SMIC, mais c’est toute une vie avec des contraintes : il faut une chambre par enfant, y compris pour les siens…
Il y a une formation de 240 h. Mais on se forme aussi sur le tas. C’est une belle mission de vie, pas seulement un impact, une influence sur la vie de quelqu’un. On sème dans la vie de ces enfants et on espère voir éclore quelque chose de beau. Il est important de travailler en équipe, on peut avoir besoin de conseils, faire appel à une psychologue. On est en contact avec une éducatrice et une assistante sociale, un référent territorial qui a pouvoir de décision. Il est important de ne pas s’isoler. Quelqu’un d’extérieur permet de prendre de la hauteur par rapport aux problèmes. Travailler en binôme permet aussi de partager, de décortiquer. Et j’aime aller à des colloques. C’est un autre regard.
On est formé aux besoins, aux conflits, à la gestion alimentaire, au côté administratif, aux rapports à rédiger. Même si en principe on n’est jamais mis en cause, il faut mesurer le poids de la responsabilité : on l’a dans la tête, le parent peut porter plainte, mais aussi un voisin, un instituteur… Il n’y a pas assez de familles d’accueil. Il y a tellement d’enfants à placer et de plus en plus de cas lourds, et pour l’accueil l’évolution est de plus en plus difficile, selon le cursus des demandeurs.
J’ai rencontré chez les enfants que j’ai accueillis des problèmes de comportement, suicide, fugue, vol. Il y a des enfants très abîmés et on les aide à se reconstruire. C’est compliqué pour eux, on est comme un hôpital, un accueil d’enfants brisés. Ils ont subi des maltraitances, des abus, physiques, psychologiques, des viols. On est un lieu d’accueil, et de considération. Un jour après l’autre, avec un mot, un geste, un plat à manger. Une des filles m’a dit un jour être touchée parce que le matin on lui disait bonjour.
Des moments forts ? Mon premier accueil a été une catastrophe avec un jeune schizophrène violent. Mais j’ai de beaux souvenirs. J’aurais tout arrêté si je ne trouvais pas du plaisir. Un enfant a fait des crises pendant trois ans, mais j’ai tenu, et maintenant il va bien, cela encourage à persévérer. Etre dans l’émotion, cela fait partie de la vie, c’est un partage très humain. Il y a des mots gentils, « T’inquiète pas ! », « Merci ! »…
Voir aussi : Schéma Départemental de l’Hérault Enfance Famille 2024-2028
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