Culture en danger : la suppression de cette formation lyrique a lancé l’alerte. Les soutiens ont été nombreux, et Montpellier préparait sa déclaration pour le concert de vendredi, à l’Opéra Comédie.
Le licenciement du chœur de l’Opéra de Toulon a fait l’effet d’une bombe, jeudi 23 janvier, lorsque la nouvelle a été révélée aux intéressés, qui allaient se retrouver sur le pavé dès la fin de la saison. Les réactions ont été immédiates et une grande mobilisation s’est organisée à travers la France.
La voix de la Culture
C’est le « Chœur des esclaves » du Nabucco de Verdi qui a été leur cri de révolte. « Va’ pensiero » a toujours été un air emblématique de souffrance et de libération, politisé dans bien des guerres et conflits. Dans le contexte lyrique actuel, il retrouve aussi le sens que lui avait donné Riccardo Muti en 2011, face au gouvernement Berlusconi, engageant le public à chanter cet air pour défendre la culture, dont le budget faisait l’objet de coupes sombres, dénoncées sur scène par le Maire de Rome.
Cet air vient de résonner dans de nombreux opéras car les réactions n’ont pas tardé, dès le lendemain, à travers toutes les maisons lyriques, appelant même à une grève générale. Chœurs, orchestres ont manifesté sur scène, lu une déclaration soutenue par le SFA CGT, et tout de suite Toulouse — lors des sept représentations d’Orphée aux Enfers —, Nice, Marseille, Lyon, Rouen, Lens, Cannes, et Bordeaux — pour sa première de Norma — ont affirmé leur soutien aux choristes de Toulon.
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« Signal fort » de Nancy
À Nancy toutes les équipes s’étaient mobilisées, vendredi, pour organiser un concert dans les salons de l’Opéra National de Lorraine. Guillaume Fauchère, chef du chœur depuis 2021, estimait qu’il fallait un « signal fort » face à une situation dangereuse : « Il faut considérer la culture comme l’éducation, et il faut investir pour les besoins de la société. Nous ne sommes pas de simples consommateurs. » Changer de métier est plus que difficile pour un chanteur, il s’agit d’un travail quotidien, très spécialisé : « C’est le savoir-faire d’un artisan, et c’est une âme que découvrent ceux qui ne sont jamais allés à l’opéra. »
Pour lui c’est plus qu’un choix : « Un chœur dans un opéra c’est la même chose qu’un cœur avec un « c », et le faire disparaître c’est priver un être vivant d’un organe vital. » Pour lui ce combat est essentiel : « Nous avons des déserts médicaux, des déserts administratifs et nous risquons d’avoir des déserts culturels, une précarité intellectuelle. Et on ne peut pas remplacer les artistes vivants. »
Les mots de Montpellier
Montpellier devait prendre le relai sur scène, vendredi, lors du concert Exils, à l’Opéra Comédie. Ludovic Nicot, co-chef d’attaque des Seconds Violons de l’Orchestre National de Montpellier, qui représente le SNAM1 CGT, soulignait l’importance des mots du texte qui serait lu avant l’air de Verdi : « On en a discuté avec les équipes, ce soutien est important, et il est essentiel de porter une parole. » Le responsable syndical constate aussi que les coupes budgétaires se généralisent, que récemment les décisions du conseil départemental mettent en péril compagnies théâtrales, associations culturelles à travers un choix politique qui considère que la culture n’est pas si nécessaire… « Chaque structure peut se trouver dans la même situation que Toulon », s’inquiétait-il.
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Un chœur toujours unique
Noëlle Gény, la cheffe du chœur de l’Opéra de Montpellier, préparait les artistes pour cette intervention sur scène vendredi. Avec une certaine émotion : « Je suis tombée des nues… Cela m’a d’autant plus peinée que rien ne laissait prévoir, et nous sommes très proches, amis, car on travaille ensemble. » Le plus récent souvenir est La Force du Destin de Verdi, donnée en octobre à Montpellier et Toulon, qui réunissait les deux chœurs. Ce tandem va se retrouver en juin au Festival de Châteauvallon, et chanter Cavalleria Rusticana et Pagliacci. Pour Noëlle Gény un chœur d’opéra est toujours unique, et celui de Montpellier qui compte une trentaine d’artistes en est un exemple : « Il faut pouvoir aborder des répertoires variés, et nous avons eu de bons recrutements pour un renouvellement de l’effectif vieillissant. Il y a une qualité formidable ! Notre directrice Valérie Chevalier tient beaucoup à protéger cela ! » Irremplaçables, tous étaient prêts à chanter le « Chœur des Esclaves »…
Choix politiques
À Toulon, la situation restait la même en ce début de semaine, et les vingt choristes n’ont reçu aucune nouvelle information. Christophe Bernollin, qui les dirige depuis 2011, restait aussi inquiet que perplexe. La saison n’est pas finie, et songer à une reconversion est bien difficile, quand certains ont vingt à trente ans de carrière. Comment peut-on rendre une maison d’opéra attractive, sachant que le mécénat est aléatoire, tandis que la billetterie ne couvrira pas les dépenses ? Quel projet sur le long terme face à des choix politiques ? Autant de questions sans réponse.
La Mairie de Toulon pouvait envisager une aide… Lors du Conseil Municipal de samedi dernier un projet d’étude à court, moyen et long terme a été proposé ainsi qu’une subvention exceptionnelle. Mais au Comité social et économique (CSE) de vendredi, les représentants CGT n’ont pas obtenu de réponse, et la réunion pour le Plan de Sauvegarde de l’Emploi (PSE) a été annulée. Cependant un audit financier a été commandité pour mettre en avant des problèmes de gestion, les salaires élevés de certains cadres, la réfection de l’opéra qui a coûté 39 M€…
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Et un dénouement inattendu… À Chœur Joie !
Surprise mardi soir : BFM Toulon Var annonce en fin de journée que les salariés du chœur de l’opéra de Toulon ont appris du maire du Revest, Ange Musso, vice-président de l’agglo’, que leur licenciement était suspendu et les postes maintenus. Décision prise par la métropole Toulon-Provence-Méditerranée, qui compte lancer un audit par la Chambre Régionale des Comptes. Pas de commentaire, si ce n’est la joie exprimée par Richard Garnier, élu CGT. Un grand soulagement partagé par des centaines de musiciens et chanteurs, qui va rendre de l’énergie aux travailleurs des domaines culturels pour lutter contre les restrictions décidées par le gouvernement, organisées par les collectivités locales. L’histoire n’est pas finie, à Toulon non plus, mais l’opéra a toujours un « cœur » battant.
Michèle Fizaine
Photo 1 : Extraordinaire Force du Destin partagée par les chœurs des opéras de Montpellier et de Toulon Photo. OONMO