Samedi 1er février 2025, des centaines de personnes ont marché dans les rues de La Faourette en hommage à Bilal décédé, le 24 janvier dernier, dans un accident de scooter qui ne serait pas un simple accident de la route.


 

Les gens affluent peu à peu par petits groupes et forment en douceur un cortège silencieux, sous un ciel azur tout près de l’immeuble où vivait Bilal avec sa famille, 75 rue de La Faourette. Thibault, dit Bilal, est décédé à 34 ans, d’une chute en scooter dans son quartier de La Faourette dans des circonstances que l’enquête en cours devra déterminer.

Son épouse Hanane, leur petite Assia, ses belles-sœurs Layla et Nadia, sa maman Madeleine sont réunies derrière la banderole : « Un Hommage Un Souvenir Une Marche pour Bilal Thibault ». Sur d’autres pancartes, on peut lire « C’était l’ami de tous », « Bilal Thibault un père, un ami, un mari parti trop tôt ». Son portrait tenu à bout de bras révèle des yeux clairs souriants dans un paysage de montagne enneigée. Le jeune papa a toute sa place dans les cœurs des marcheurs et marcheuses présent.e.s pour honorer une personne que tout le monde appréciait pour sa générosité, son altruisme.

 

« Bilal n’est pas tombé tout seul »

Avant le départ, Zohra Slimane de l’association « Stop à la violence » invite les participant.e.s à marcher « dans la paix et la dignité en sa mémoire et en mémoire de tous les disparus dans de brutales conditions ». Certain.e.s portent un tee-shirt avec le visage de Bilal. Les militant.e.s du Comité populaire d’entraide et de solidarité du Mirail ont revêtu leur gilet jaune.

Le cortège arrive rue Mermoz. Venu avec ses camarades, Ali, 12 ans, a encore du mal à y croire le jour où son frère est rentré à la maison avec la vidéo du scooter à terre lui annonçant la terrible nouvelle. On sent beaucoup de respect dans cette foule délicate et unie qui rejoint la rue Henri Desbals. « On aimait faire des barbecues dans le jardin, raconte son ami Kader. C’était toujours lui qui faisait les barbecues, on se posait dans le parc avec sa petite et d’autres enfants pour lire des histoires. Cet été, j’ai promis à sa petite qu’en mémoire de Bilal on allait continuer à faire des barbecues ». Et de lâcher : « Qui peut être indifférent à l’injustice ? ». Oui la mort de Bilal est vécue par beaucoup de jeunes comme une injustice : « Bilal n’est pas tombé tout seul » revient comme un leitmotiv. Les adultes partagent la même soif de justice et de vérité.

 

 

Les motards, amis de Bilal, étaient là. Photos altermidi crédit Fabio Boucinha

 

 

Les motards saluent Bilal, leur frère, en klaxonnant

En passant devant le bureau de tabac, on se salue, on s’embrasse. Puis, le calme est rompu par les coups de klaxon des amis et camarades de Bilal sur leurs motos pétaradantes. Ils sont une bonne vingtaine à redoubler de coups de klaxon et de vombrissement des moteurs devant le commissariat de Bagatelle, quartier situé juste en face de La Faourette. Une manière joyeuse, bruyante d’exprimer la colère et les attentes, à l’issue de l’enquête, pour connaître toute la vérité sur les causes de la chute mortelle de Bilal. Ils sont chaleureusement applaudis.

La marche s’approche du centre social de Bagatelle. Perrine sa directrice a tenu à être là comme d’autres acteurs et actrices de ces deux quartiers populaires. Des élu.e.s1 comme Odile Maurin, François Piquemal et Christine Arrighi ont délaissé un moment les Rencontres nationales des quartiers populaires que Toulouse accueille le même jour. Le cortège tourne rue Paul Lambert où se tient le marché fortement animé des mardi et vendredi. Des habitant.e.s saluent depuis leur balcon.

 

« Éclaicir les zones d’ombre »

Les manifestant.e.s bifurquent à gauche dans la rue Rozès de Brousse pour arriver à petits pas rue de l’Ukraine, et ce rond-point où à un mètre à peine Bilal a perdu la vie ce vendredi 24 janvier vers 11h30. Une marque verte au sol signale l’endroit funeste. Nadia et des amis accrochent deux bouquets de fleurs à la balustrade en bois du trottoir. Une minute de silence est respectée.

À son tour, Layla prend la parole pour dire « une famille détruite, anéantie ». Elle s’adresse à sa sœur « qui a perdu son repère », à la mère « qui a perdu un fils », à sa nièce « qui espère toujours que son papa rentre à la maison ». « L’heure est au deuil, un deuil complexe, à la tristesse et fond de colère légitime (…) Cette tragédie évoque des zones d’ombre indéniables… » (Lire l’intégralité de ses propos ci-dessous). Hanane évoque, émue, des « retours d’amour et de soutien de toutes les écoles et des habitants, ça nous réconforte et on n’oubliera pas toute la solidarité, c’est ce qui ressort de plus beau dans ce drame ». Noredine et Kader affirment qu’ils ne laisseront pas tomber la famille. Ils seront là comme Bilal a toujours été là pour les autres.

Le soir, les ami.e.s, les soutiens et la famille se sont retrouvé.e.s sur la pelouse autour d’un barbecue au pied du bâtiment de Bilal pour continuer à vivre ce que le papa, l’époux, le fils, le beau-frère et l’ami aimait : le partage.

Piedad Belmonte

L’appel à témoins continue : 07 73 09 34 87

Photos altermidi crédit Fabio Boucinha


« Que s’est-il vraiment passé ce jour de marché du 24 janvier 2025 où Bilal a perdu la vie ? »


 

 

La famille de Bilal très soutenue par tout un quartier et au-delà. Photos altermidi crédit Fabio Boucinha

 

Layla, la belle-soeur de Bilal, à la fin de la Marche blanche du 1er février 2025, a pris la parole, en hommage à Thibault Bilal.

« Nous sommes là avec nos vies, nos projets, demain nous pourrions relater notre récit de vie comme un souvenir. À ma sœur Hanane qui a perdu son partenaire de vie, son épaule, son repère, à toi Madeleine, sa maman qui a perdu son fils, qui doit vivre un bouleversement terrible qui remet en doute toute rationalité contraire à l’ordre naturel des choses, celle de devoir enterrer son enfant, à ma nièce Assia, sa petite de 7 ans, qui espère toujours que son papa rentre à la maison, qui ne mesure pas encore tout à fait la situation, qui doit devoir apprendre à vivre sans, à vous tous qui ne fermez plus l’œil depuis l’annonce de ce drame effroyable.

Thibault, c’est le prénom que lui a donné sa mère, son identité, Bilal, c’est le nom qu’il a choisi. Bilal, il était l’ami de tous, la figure emblématique du quartier, sa passion pour les automobiles, le vintage, les deux roues, il savait en parler mieux que personne. Sa personnalité solaire, ce sourire timide qu’on oubliera jamais. Yallah y rahmo2, paix à son âme. Est-ce que cette disparition soudaine peut être non seulement tragique, mais également inacceptable et révoltante, dans un sens tellement révoltante pour que beaucoup d’entre vous, d’entre nous se mobilisent collectivement pour demander qu’elle ne soit pas enterrée dans la banalité ? L’heure est au deuil, un deuil complexe, et à la tristesse et fond de colère légitime.

Ici, Layla s’interrompt envahie par l’émotion — NDLR.

Nous nous devons également d’être transparents pour sa mémoire. Les premiers éléments en notre possession à ce stade fragilisent l’argument du simple accident. Nous savons, désormais, que lors de ce drame il n’y a pas eu refus d’obtempérer. Il semblait être au mauvais endroit, au mauvais moment et cela ne doit pas sombrer dans le fait divers. Cette tragédie évoque des zones d’ombre indéniables et des contradictions certaines. Les circonstances plus que floues sur cette affaire doivent nous conduire avec la plus grande prudence à nous questionner.

En ce jour de marché du 24 janvier 2025 aux alentours de 11h30 que s’est-il vraiment passé ? Bilal a-t-il perdu la vie dans des circonstances indécentes ? Sa chute a-t-elle été provoquée ? Par qui ? Et comment ? Quelle a été l’attitude des forces de l’ordre ? L’attitude a-t-elle été irréprochable ? Que s’est-il passé une fois le corps à terre ? Nous souhaitons que la clarté soit de mise. Nous exigeons très vivement que tous les témoins soient entendus, que tous les films, vidéos soient appréhendés au plus vite. Il ne doit pas exister l’ombre d’un doute quant à la responsabilité de ceux qui déclarent solennellement servir avec dignité, loyauté la République, ses principes et même sa Constitution.

La justice doit être le dernier rempart de tout citoyen, et ce peu importe sa fonction, son grade, son statut qu’il occupe dans notre société. La moindre injustice où qu’elle soit commise est une menace pour la justice quand nous sommes tous pris dans un tissu de relations mutuelles. Nous espérons vivement ne pas devoir rentrer dans une bataille juridique où les règles déontologiques seront bafouées, écrites d’avance. Nous avons foi en la Justice et nous devons marcher dans ce sens. Le besoin de clarification sur les circonstances de la mort de Bilal doit être établi de manière transparente, crédible et impartiale. Nous resterons fermes, déterminés dans ce combat qui débute. Aucune intimidation ne viendra entraver notre engagement. Les investigations vont se poursuivre, confiées à des personnes compétentes qui, nous en sommes sûrs, sauront réaliser un travail chirurgical des éléments en leur possession.

Et nous avons besoin de vous tous et nous ne cesserons de vous solliciter pour continuer à partager nos appels à témoins sur ce qui s’est réellement passé ce jour-là. N’ayez jamais crainte d’être du côté de la vérité et de la moralité pour la dignité de Bilal et celle de tous ici présents. Enfin, nous tenions, pour terminer, à vous remercier et vous témoigner au nom de toute la famille et de ses proches, à tous ses amis qu’il appelait ses frères, à tous ces parfaits inconnus qui d’une manière ou d’une autre sont à nos côtés et s’engagent dans cette bataille. L’esprit oublie toutes les souffrances quand le chagrin a des compagnons et que l’amitié le console. Merci à tout le monde ».

 

Photos 1 crédit Fabio Boucinha

Notes:

  1. Odile Maurin est conseillère municipale et métroplolitaine de l’opposition. François Piquemal, député 31 du Nouveau Front Populaire (4e circonscription). Christine Arrighi, députée 31 du NFP (9e circonscription).
  2. « Allah y rahmo » est une locution utilisée lorsque quelqu’un décède, pour invoquer la miséricorde d’Allah pour le défunt. Elle se traduit par « Qu’Allah lui fasse miséricorde ».
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Passée par L'Huma, et à la Marseillaise, j'ai appris le métier de journaliste dans la pratique du terrain, au contact des gens et des “anciens” journalistes. Issue d'une famille immigrée et ouvrière, habitante d'un quartier populaire de Toulouse, j'ai su dès 18 ans que je voulais donner la parole aux sans, écrire sur la réalité de nos vies, sur la réalité du monde, les injustices et les solidarités. Le Parler juste, le Dire honnête sont mon chemin