Dans l’enfer génocidaire que traverse la population de Gaza depuis maintenant plus de 15 mois toutes les parties de la population qui font société sont touchées à Gaza ; les pêcheurs en sont une. Dans cette article hebdomadaire il est question de l’actualité de la seule femme pêcheur.e à Gaza.


 

 

Les pêcheurs de Gaza, la lutte pour l’existence

 

De la Nakba (1948) expulsant 800 000 Palestiniens de leurs terres, au génocide actuel broyant les Gazaouis, pendant trois quart de siècle, un colonialisme impitoyable a décliné tous les moyens possible de destruction systématique d’une société. Dans ce contexte, l’effort de démantèlement du tissu social palestinien, par le morcellement du territoire et la multiplication des statuts des habitants, est aussi passé, crucialement, par l’injonction : « défense de produire ». Faire des Palestiniens des assistés repose sur la destruction des outils nécessaires à la création de biens et de services. Les paysans et les pêcheurs ont été des cibles privilégiées de ce sociocide, en témoigne l’acharnement meurtrier sur les pêcheurs de Gaza. Composante indispensable de la vie sociale de Gaza, héritière d’une tradition millénaire, la pêche à Gaza s’est défendue de toutes ses forces.

 

Je suis la pêcheur Madleen Kulab

Dans le milieu professionnel de la pêche s’est dégagée cette personnalité magnifique Madleen Kulab dont la trajectoire est retracée dans un film documentaire «  Aimer la mer à Gaza » réalisé par Sarah Katz et Samia Ayeb en 2013. Ce documentaire est visible ici.

Présenté en première au festival « Pêcheurs du monde » de Lorient (mars 2024), les acteurs.trices du film se sont vus décerner le prix Chandrika Sharma, dédié à des femmes qui œuvrent pour les défense des pêcheurs et la place des femmes dans les métiers de la mer. Plus de 10 ans après les images d’« Aimer la mer à Gaza », Madleen témoigne de l’effroyable massacre actuel, et de leur volonté de tenir. Elle en appelle au monde, dans deux brèves vidéos tournée en mars 2024, depuis la plage de Rafah où s’entassent, sous des abris de fortune, les pêcheurs chassés par les bombardements, comme plus d’un millions et demi de Gazaouis.

Voici en mars 2024 sa déclaration : « « Je vous parle depuis la mer -la plage- à Rafah Nous, en tant pêcheurs, l’occupation israélienne a détruit nos bateaux de pêche et nos maisons. Nous avons fui (déplacement forcé), nous sommes devenus réfugiés dans la bande de Gaza même, mais dans une autre région.

Nous vivons dans des tentes, moi, mon mari et mes quatre enfants, ainsi que les parents de mon mari, ses sœurs et leurs enfants, plus d’une trentaine de personnes, nous vivons tous dans une tente où il n’y a aucun moyen de subsistance. Quand il pleut, nous sommes inondés par la pluie et quand il y a du soleil, la tente est infernale. Il n’y a pas de sanitaires, il n’y a pas le moindre moyen de subsistance.

Ici à Rafah, on ne peut pas marcher dans la rue tellement il y a de gens. Pour aller au marché, on met au moins deux ou trois heures. En tant que pêcheure et au nom de plus de 350 pêcheurs déplacés à l’ouest de Rafah : nous n’avons aucun moyen de subsistance. Nous ne pouvons plus survivre. Cela suffit ! Nous avons perdu tout ce que nous possédions, notre argent, nos bateaux. Comme tous les autres pêcheurs, j’ai perdu tout ce que j’ai construit. On a perdu nos maisons, on a tout perdu !

Avec tout ce que nous passons, nous vivons dans la peur. Il y a tout le temps des bombardements et des destructions. Même là où je suis, le risque est présent, plusieurs navires militaires israéliens sont en face de moi. À tout moment, il se peut qu’ils ouvrent le feu et visent les gens ici. Les gens sont fatigués. Les gent savent que où que l’on aille, le danger est présent. Pour cela, les gents se sont réfugiés à la mer – la plage – à tout endroit où il y restait de la place. Il n’y a plus maintenant assez de place dresser une tente.

A tous les hommes libres du monde, à tout être libre au monde : je souhaite que vous continuiez d’être solidaires avec nous et d’appeler pour un cessez-le-feu et pour une Palestine libre où nous pouvons être libres et vivre avec dignité. »

 

Deuxième hiver de souffrance

Aujourd’hui pour Madleen et une dizaine de familles de pêcheurs regroupées dans un petit camp de déplacé.e.s c’est le deuxième hiver sous des abris de fortune dans la faim et la souffrance. Jeune maman de quatre enfants, déplacée de camp en camp, actuellement dans un camp inondable à Nusseirat, exemple de détermination et de courage, elle sent par moments ses forces l’abandonner à l’entrée de ce nouvel hiver de massacres. Elle s’exprime ainsi le 7 Janvier 2025.

« J’ai honte de parler parce que je ne veux pas être un fardeau. J’ai déménagé il y a plusieurs mois à Nuseirat après que l’armée israélienne a menacé la zone où nous étions enfin installés à Deir al Balah. Je me sens désolée, je ne peux presque rien faire pour les familles de pêcheurs autour de moi. J’essaie d’aider les familles déplacées dans mon camp avec un don canadien, mais c’est une chose si petite par rapport aux besoins. Il m’est envoyé à titre personnel, c’est donc très peu d’argent pour un soutien collectif, étant donné les prix élevés que nous connaissons, mais j’essaie de l’économiser et de faire quelque chose pour certains des enfants du camp. J’aide ceux que je vois de mes propres yeux. Ils sont ici dans le besoin. De nombreux enfants sont morts de froid et de faim.

Il y a un problème avec certaines aides, elles ne se propagent pas dans les camps. En ne connaissant pas les personnes spécifiques et chaque zone, on aboutit à ce qu’une famille donnée en profite plus d’une fois. Alors pour cette famille là, cela devient un surplus, donc elle vend l’aide sur le marché à des prix très élevés. Mais les autres familles ? Elles sont obligées de priver leurs enfants de vêtements. Il y a beaucoup d’aides vendues sur les marchés, et nous, nous les achetons quand nous pouvons pour pouvoir nourrir nos enfants. Pour toucher ceux qui en ont besoin, l’aide doit être équitable.

Personne ne sait ce que nous vivons, ce que nous souffrons, et personne ne comprend. Nous nous sommes endormis le ventre vide. Saviez-vous que j’ai commencé à donner à mes enfants une demi-miche de pain pour le dîner, et quand l’un d’entre eux en redemande, je le gronde jusqu’à ce qu’il pleure et s’endorme, et puis je pleure parce que je suis incapable de les satisfaire ?

Connaissent-ils le monde dans lequel nous vivons, ceux qui acceptent la situation qui nous est faite ? Savent-ils que ma petite fille, âgée d’un an et trois mois, ne peut pas encore marcher à cause d’un manque de calcium et de vitamines ? Est-ce que quelqu’un sait qu’elle souffre ? Connaissez-vous la malnutrition ? Est-ce que quelqu’un sait que mon fils Jamal est maintenant malade et souffre de graves infections et de congestion des amygdales, en raison du manque d’eau potable, et en raison d’une mauvaise alimentation due à la consommation de beaucoup de pain ?

Malheureusement, je regarde des mères pleurer et craindre que leurs enfants meurent et il n’y a rien qui vienne à elles. Je vois combien de souffrance c’est d’avoir un kilo de farine pour nourrir les enfants, je regarde comment nous sommes noyés dans l’eau qui envahit les tentes où sont nos enfants, et comment mes enfants et les autres enfants gèlent à cause du froid. Par moment, je pense que personne ne se sent personne, alors je veux que mes enfants et moi mourions et ne vivions pas. Je ne peux pas changer de nourriture et de vêtements chauds pour eux. Je ne peux pas vivre une vie décente. Regarde ma fille, elle est maigre et faible, pourquoi devons-nous vivre comme ça ?

Merci, mais je suis désolée d’avoir dérangée. Je suis stressée, je me noie… J’ai peur de perdre un de mes enfants sous mes yeux à cause de la faim, du froid ou de la maladie. Pendant que je parle, mon enfant est maintenant très malade à cause de la nourriture et de l’eau malsaine. Il n’y a pas d’endroit où aller pour obtenir des conseils médicaux et il n’y a pas de médicaments. Je me sens impuissante, alors je parle. On pourrait dire que c’est une sorte de libération psychologique. Merci de m’avoir écoutée et lue. »

Combien de temps encore l’horreur va-t-elle durer ? La solidarité auprès des pêcheurs de Gaza est d’une brûlante nécessité.

Brigitte Challande

Brigitte Challende
Brigitte Challande est au départ infirmière de secteur psychiatrique, puis psychologue clinicienne et enfin administratrice culturelle, mais surtout activiste ; tout un parcours professionnel où elle n’a cessé de s’insérer dans les fissures et les failles de l’institution pour la malmener et tenter de la transformer. Longtemps à l’hôpital de la Colombière où elle a créé l’association «  Les Murs d’ Aurelle» lieu de pratiques artistiques où plus de 200 artistes sont intervenus pendant plus de 20 ans. Puis dans des missions politiques en Cisjordanie et à Gaza en Palestine. Parallèlement elle a mis en acte sa réflexion dans des pratiques et l’écriture d’ouvrages collectifs. Plusieurs Actes de colloque questionnant l’art et la folie ( Art à bord / Personne Autre/ Autre Abord / Personne d’Art et les Rencontres de l’Expérience Sensible aux éditions du Champ Social) «  Gens de Gaza » aux éditions Riveneuve. Sa rencontre avec la presse indépendante lui a permis d’écrire pour le Poing et maintenant pour Altermidi.