Apprendre et se rencontrer. Le projet Paillade Campus est une initiative novatrice d’université à ciel ouvert, visant à transformer un quartier populaire en un espace d’apprentissage collectif et vivant.


 

« Nous réfléchissons à ce que le quartier devienne un espace des possibles. Nous souhaitons conférer à la Paillade une nouvelle approche, forcer une qualification différente, loin d’un déterminisme », explique l’initiateur Nourdine Bara1.

Le concept vise à produire des savoirs vivants dans l’espace public dont l’acquisition ne soit pas seulement académique. « Les idées émergent au fil de l’eau. À travers les rencontres, des propositions se mettent en place avec des acteurs du domaine de la recherche et des sciences qui sont très ouverts à la relation », précise Nourdine. Pour faire école à la Paillade, il s’est avéré primordial de penser une pédagogie prenant en compte la portée humaine en mettant au cœur de l’apprentissage le partage d’expériences communes. « Dans un contexte de montée de la violence, nous souhaitons faire quelque chose de fraternel, en direction des jeunes et à la portée des passants. Je pense que conduire des enfants sur l’espace public peut apaiser. Je me suis également rendu compte que moi, en tant qu’adulte, j’avais beaucoup à apprendre d’échanges comme ceux entre des enfants et un astrophysicien », souligne Nourdine Bara.

Paillade Campus propose une diversité de formats qui mêlent découverte, réflexion et participation. Cela va des modes déambulatoires permettant de découvrir l’identité du quartier en participant à un parcours traversé par des intervenants-habitants venus échanger sur une thématique, aux modes littéraires où l’on parle lecture, en passant par les agoras où l’on reçoit des spécialistes (astrophysicien, archéo-zoologue, psychologue, avocat…).

Paillade Campus s’affirme comme un laboratoire d’idées et d’expériences où savoirs et valeurs de partage se rejoignent pour réinventer le rôle des espaces publics. Le projet démontre qu’il est possible de tisser des liens entre habitants du quartier, du centre-ville, experts et jeunes, tout en valorisant la richesse culturelle et humaine d’un quartier populaire. Porté par la volonté d’émancipation collective, Paillade Campus offre une vision inspirante pour transformer les territoires et les mentalités.

Paillade Campus :

Quand la philosophie s’invite sur la place du marché

 

En cette fin de matinée du 06 décembre, le terrain de jeu se situe à la terrasse d’un café à l’entrée des halles de la Paillade à Montpellier où l’agitation des personnes venues faire leur marché est perceptible. Les tramways qui relient le quartier au centre-ville défilent sous nos yeux par intermittence. Un groupe s’est rassemblé pour écouter le philosophe Thierry Paquot2, micro à la main, qui se tient au côté du journaliste Gwenael Cadoret en charge de la modération de l’échange. Ils s’apprêtent à dialoguer avec des jeunes de première en formation d’électricité au lycée professionnel Léonard De Vinci, qui n’ont pas la philosophie obligatoire dans leur programme. Pourtant celle-ci concerne bien tout le monde. Pas de filles (qui ne représentent que 6 % d’inscrites en électricité) dans ce groupe de lycéen, la mixité venant de l’auditoire composé d’habitant.e.s du quartiers venus prendre un café, de représentant.e.s de l’iPEICC (Association d’Éducation Populaire, affiliée à Peuple et Culture), d’amateur.ice.s d’architectures et de quelques curieux.euses du centre-ville.
Malgré la brise hivernale l’atmosphère est détendue. Les lycéens prennent l’initiative de s’adresser à Thierry Paquot, puis sont petit à petit rejoints par les autres acteurs dans le partage.

Laissons-leur la parole…

Photo Angelo Crotti

Est-ce que la philosophie est un métier ? À quoi cela sert ?
L’étonnement déclenche la philosophie que je définis comme une activité qui consiste à penser par soi-même. La pensée peut nous conduire à l’insomnie, mais en compensation elle nous offre la réflexion. La philosophie permet d’être en accord avec soi-même, de vivre ses convictions. Enfin, la sérénité permet la sagesse.

Qu’est-ce qu’un métier ?
C’est un savoir-faire, c’est-à-dire de la théorie et de la pratique. Le travail a une racine latine qui rejoindrait celle de torture. On emploi aussi ce terme pour parler de la femme qui va accoucher. L’industrialisation a donné au travail un caractère obligatoire contrairement aux périodes précédentes où il y avait davantage de place au temps libre.

Est-ce qu’on se sent intelligent quand on est philosophe ?
Non, mais cela sert à rendre intelligible le monde. On se pose des questions sur tout, on n’expose pas forcément les réponses.

J’ai d’autres choses à faire, mais comment devient-on philosophe ? Il y a eu un déclic ?
Après 8 ans d’études et beaucoup de lectures. Je viens d’un milieu social modeste et je voulais apprendre des choses hors des programmes. Je me suis intéressé à des sujets abandonnés par la discipline comme l’architecture, l’aménagement, les villes.

Comment intéresser les gens ?
L’ignorance est un point de départ pour connaître. J’ai notamment fait des ateliers avec des personnes sans-abris où dans un premier temps je donnais place à la lecture, puis à la conversation philosophique où nous commentions ensemble.

Thierry Paquot : « Je me suis intéressé à des sujets abandonnés par la discipline comme l’architecture, l’aménagement, les villes. » Photo Angelo Crotti

Comment peut-on philosopher sans perdre son auditoire ?
Je m’efforce de ne pas plomber mon discours avec des références académiques bien que je sois obsédé par un milieu textuel. Idéalement je cherche à échanger avec les autres car l’écoute me permet de m’adapter, notamment au niveau de mon vocabulaire.

Cela me rappelle que les inuits ont 400 mots pour qualifier le blanc. Qu’en pensez-vous ?
En effet, les inuits portent un fort intérêt à leur environnement. À cette image, l’école devrait faire entrer davantage la question des milieux dans son enseignement.

Est-ce que les philosophes voyagent et pourquoi ?
Il est important de toujours aller voir un ailleurs pour savoir si l’on s’y trouve. Aller vers l’autre participe à se connaître soi-même. Le voyage ce n’est pas forcément effectuer un grand parcours mais découvrir la temporalité de l’autre dans son espace.

Cela fait quoi de venir à la Paillade ? Pourquoi c’est surprenant Thierry Paquot à la Paillade ?
On caricaturise rapidement les quartiers populaires mais personnellement je ne trouve pas ma venue surprenante. Depuis le début de mon séjour à Montpellier je fais des formats variés ; j’étais à un congrès sur l’enfance, puis j’ai parlé de l’espace public avec la mairie, je suis également allé en conférence à l’école d’architecture, et maintenant je participe à une rencontre à la Paillade. Je suis très content car dans ma vie je n’avais fait de la philosophie dans un marché qu’à Monaco, et c’était évidemment très différent.

On se qualifie comme habitants de la Paillade, pas comme Montpelliérains. Que pensez-vous du quartier ?
Il faut y séjourner pour répondre. Quant à ce phénomène de qualification, il est très commun. Une ville est toujours plurielle, elle n’est pas la même de jour et de nuit, le mercredi ou le dimanche, si l’on est une fille ou un garçon, quand c’est l’été ou l’hiver. Montpellier mérite son enquête.

Quel est votre avis sur le format agora dans l’espace public ? Est-ce que les gens réfléchissent moins aujourd’hui ?
Globalement on privatise de plus en plus d’espaces publics et celui préféré des français c’est le centre commercial, même si c’est juridiquement privé. Une agora n’est pas un lieu mais un rassemblement pour parler des affaires collectives. Il est vrai que le débat public est parasité par les réseaux sociaux, des moments comme celui qu’on partage sans interférence des écrans se font de plus en plus rares.

Photo Angelo Crotti

Les jeunes cherchent du sens, particulièrement à la Paillade. Est-ce qu’on peut espérer du changement des conditions de vie ?
Le problème est de chercher une place qui nous est refusée. Étymologiquement “aménagement” vient de “prendre soin” et c’est le travail des élu.e.s. Par le passé, j’ai eu l’idée de travailler sur la question du bonheur dans un bidonville en Inde. Il s’est avéré que ce mot n’existait pas dans la langue narrative et qu’on enseignait aux gens à lutter contre la souffrance en prenant sur soi. Quant aux politiques d’État, elles s’adressaient aux hommes bien que ce soient les femmes qui géraient le bidonville. Je pense que toutes les initiatives de l’État qui partent d’en haut pour être appliquées en bas sont des échecs. Il est nécessaire que les projets fassent le chemin inverse pour être concluants.

Quel est le futur des villes ?
Les villes sont dans un processus où elles vont voir une partie de leurs habitant.e.s les quitter. Certaines vont se retrouver sous l’eau comme New-York, Shanghai ou encore à échelle locale Lattes et la Grande-Motte d’ici 50 ans.

Et l’avenir des quartiers ?
Plus il y a de diversité, plus c’est positif.

Quelle réponse donner à la montée du populisme dans le monde ?
Partout les votes montent en faveur du populisme mais ce sont des histoires différentes en fonction des pays. En France nous avons fait preuve de naïveté, parfois de mauvaise foi, alors qu’on savait que cela arrivait. Je pense que la réponse repose sur le fait de rester exemplaire. Il faut aussi repenser de nouvelles manières de construire le politique, notamment en créant d’autres pratiques politiques.

Avez-vous un message à adresser aux jeunes ?
Soyez heureux. Conscientisez vos désirs et leurs empêchements. Être heureux ce n’est pas être quelqu’un d’autre. Aristote disait à son fils qu’il pourrait être populaire, avoir des conquêtes, être riche, mais qu’il ne serait pas heureux sans un ami.

Sapho Dinh

Photo 1 Nourdine Bara

Notes:

  1. Nourdine Bara est un organisateur de manifestations qui met en lien les habitants du quartier de la Paillade et du centre-ville de Montpellier. Il est également auteur et membre de l’association Motifs d’évasion.
  2. Thierry Paquot est un philosophe et professeur retraité de l’école d’architecture et de l’institut d’urbanisme de Paris. Il a écrit un peu moins d’une centaine d’ouvrages notamment sur la jeunesse et l’urbain.
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Titulaire d'un master en anthropologie, je me suis penchée sur les questions de migration et de transmission culturelle par le recueil de récits de vie. Mon travail a porté sur les identités vécues de femmes sibériennes. Afin d'ouvrir un dialogue avec les citoyen.ne.s, j'ai par la suite assuré la fonction de médiatrice auprès des publics dans le cadre d'un festival de danse contemporaine réunissant des artistes de différents pays d'Europe de l'Est. La pratique journalistique répond à mon désir de découverte, de partage, de réflexion commune pour rendre visible en usant de différents supports et modes de langage.