Ce n’était pas arrivé depuis 1962, sous Georges Pompidou. Mercredi 4 décembre, le gouvernement Barnier a été renversé par 331 députés. Comment pourrait réagir Emmanuel Macron et quelles sont les options budgétaires pour 2025 ?
Grand spectacle dans l’hémicycle en ébullition
La presse du monde entier était présente à l’Assemblée nationale pour assister à la chute éventuelle du gouvernement Barnier. À 20h26 le verdict est tombé : la motion de censure a été votée par 331 députés ; 43 voix de plus que la majorité requise pour son adoption qui est de 288.
Ce vote a été possible grâce à la participation du Rassemblement national qui n’a pu obtenir du gouvernement Barnier toutes les concessions qu’il souhaitait.
La gauche a décidé de faire front commun, tous partis confondus, pour renverser le gouvernement qui n’a jamais voulu dialoguer et a préféré faire le choix de pactiser avec l’extrême droite. Le Parti socialiste, déjà mal en point, ne pouvait faire autrement que prendre la décision de se ranger au côté du NFP. En refusant de voter la motion de censure, le PS se serait fortement compromis en soutenant un gouvernement qui a, non seulement rompu l’accord républicain conclu pendant les législatives, mais aussi qui a voulu imposer un budget antisocial, injuste et austère.
Laurent Wauquiez, au nom des Républicains, a pris la parole pour se placer au côté de l’exécutif, agitant les grands démons, pointant du doigt une gauche qui aurait fait alliance avec l’extrême droite, responsable du chaos à venir : sécurité, immigration, terrorisme, antisémitisme, austérité, la liste noire fut longue. La deuxième partie de son discours fut une supplique adressée essentiellement au groupe d’extrême droite pour le convaincre de ne pas voter la motion de censure du NFP et de rejoindre le bloc macroniste et républicain : « ressaisissez-vous, il est encore temps », a-t-il entre autre déclaré.
Éric Ciotti, président du Groupe UDR, se posant en grand sauveur des marchés, a également appelé à voter la motion de censure au côté du RN, stigmatisant à plusieurs reprises l’étranger, responsable de tous les maux, ou presque, de la France.
Mais que va-t-il se passer après la démission du Premier ministre ?
Plusieurs hypothèses sont envisageables :
Emmanuel Macron
– ne désigne pas rapidement un nouveau gouvernement : le gouvernement démissionnaire continuerait alors de traiter les affaires courantes jusqu’à ce qu’il nomme à Matignon un nouveau Premier ministre issu du socle commun au risque d’être censuré par l’Assemblée nationale ;
– nomme un gouvernement technique, « apolitique », pour gérer les affaires courantes, par exemple, composé de hauts fonctionnaires ou issu de la société civile.
– constitue une coalition large pour pouvoir dissoudre l’Assemblée en juillet. Coalition qui irait de la droite au PS et qui exclurait LFI et le RN. Mais aussi, le Nouveau Front Populaire s’il reste soudé malgré les dissensions, promesse faite aux électeurs lors des législatives. Dans ce cas, qui sera nommé Premier ministre à la place du Premier ministre ?
Le casting va commencer et les partis politiques préparent déjà leur stratégie en vue de la prochaine présidentielle.
Ce soir à 20h30, Emmanuel Macron, désavoué, s’adressera aux Français. Présentera-t-il sa démission ? Auquel cas, la présidentielle se tiendrait d’ici 20 à 35 jours comme le stipule l’article 7 de la Constitution. Mais cette hypothèse est peu probable, le président ayant répondu lors de son déplacement en Arabie saoudite que cette option était de la « politique fiction ».
En l’attente, le Projet de Loi Finances 2025 est gelé.
Quels sont les différents scénarios pour le budget 2025 ?
Après la nomination d’un nouveau gouvernement, le Parlement ne devrait pas disposer d’assez de temps pour réexaminer le projet de loi finances avant le 1er janvier 2025. Plusieurs autres possibilités sont envisageables :
L’article 47, alinéa 3, de la Constitution
L’exécutif peut se servir de l’article 47, alinéa 3, de la Constitution, inchangée depuis 1958 et jamais appliquée à ce jour, qui autorise le gouvernement à promulguer le projet de loi de finances par ordonnance (Conseil des ministres et signature par le président de la République) si jamais le Parlement ne s’est pas prononcé au bout de soixante-dix jours, soit le 21 décembre à minuit : « Si le Parlement ne s’est pas prononcé dans un délai de soixante-dix jours, les dispositions du projet peuvent être mises en vigueur par ordonnance. »
L’article 45 de la LOLF
L’article 45 de la Loi organique relative aux lois de finances (LOLF) peut aussi être utilisé par l’exécutif. Le texte autorise le gouvernement à utiliser deux procédures :
– Il peut demander à l’Assemblée nationale, avant le 11 décembre de l’année 2024, d’émettre un vote séparé sur l’ensemble de la première partie de la loi de finances de l’année, sur la partie recettes, puis sur la partie dépenses. Ce projet de loi partiel est soumis au Sénat selon la procédure accélérée ;
– Si la procédure ci-dessus n’a pas été suivie ou n’a pas abouti, le gouvernement peut également déposer devant l’Assemblée nationale, avant le 19 décembre 2024, un projet de loi spéciale qui lui permettrait d‘appliquer le budget 2024 et de percevoir les impôts. Le texte doit être débattu selon la procédure accélérée pour pouvoir être promulgué avant le 1er janvier. Le texte stipule : « les services votés, au sens du quatrième alinéa de l’article 47 de la Constitution, représentent le minimum de crédits que le Gouvernement juge indispensable pour poursuivre l’exécution des services publics dans les conditions qui ont été approuvées l’année précédente par le Parlement. Ils ne peuvent excéder le montant des crédits ouverts par la dernière loi de finances de l’année. »
L’article 16 de la Constitution
Le président de la République peut aussi promulguer le projet de loi de finances par décret comme le stipule l’article 16 de la Constitution : « lorsque les institutions de la République, l’indépendance de la nation, l’intégrité de son territoire ou l’exécution de ses engagements internationaux sont menacées d’une manière grave et immédiate et que le fonctionnement régulier des pouvoirs publics constitutionnels est interrompu, le président de la République prend les mesures exigées par ces circonstances, après consultation officielle du Premier ministre, des présidents des assemblées ainsi que du Conseil constitutionnel. »
Sasha Verlei
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