Pascal Lagrange, musicien aux multiples talents, signe d’une plume sans concession le récit d’une descente inéluctable dans une sombre fosse… d’orchestre. Un polar original.


 

La musique a ses secrets de famille, et chaque orchestre conserve ses souvenirs, ses expériences, ses répertoires, tout ce que les fidèles abonnés aux concerts voudraient partager davantage, pour vivre la musique de l’intérieur. Nous avons, dans notre enfance – et plus tard – découvert les instruments de « Pierre et le Loup », de « Piccolo, Saxo et Cie », du « Carnaval des animaux », et Jean-François Zygel nous fait visiter le répertoire pour livrer « Les Clefs de l’orchestre », tandis que Christian Merlin plonge dans son émission comme dans son livre « Au cœur de l’orchestre ». Portant le même titre les concerts organisés à Montpellier par le maestro Michael Schønwandt laissent le souvenir d’une belle expérience d’immersion, nouvelle, magique. Passons sur la série satirique danoise « L’Orchestre » de 2022…

 

Un héros tromboniste mène l’enquête

Mais que la mort donne le « la », c’est une belle idée : le nouveau roman publié en octobre par Pascal Lagrange, « L’Orchestre assassin » permet, à travers une histoire criminelle, de découvrir la vie d’un orchestre de l’intérieur, ses pupitres, ses musiciens, son chef, sa direction, ses amis…. Le lecteur est initié par le personnage principal Gérard Sicot, tromboniste de l’orchestre d’Avalon à partir de 1974, soliste brillamment intégré à la formation avec son diplôme du Conservatoire de Paris. S’il décrit la vie de l’orchestre, pour le plaisir du lecteur, c’est en suivant le fil d’une enquête menée par le musicien et son amour complice. Des programmes classiques et des morts imprévues, une diabolique machination… le récit entretient l’énigme du titre accrocheur, et cette sombre histoire, qui dure une bonne quinzaine d’années, n’a pas un dénouement heureux, même si le mystère est éclairci.

La fin laisse médusé le lecteur détective empathique, mais c’est l’aboutissement de regards croisés, les principaux étant ceux de Gérard et de Valérie son amoureuse, mais aussi d’autres personnages plus voués à la quête du coupable qu’à l’explication du crime. La preuve est faite, mais le récit ne suit pas le schéma classique d’un polar, car l’approche de l’orchestre, selon le principe d’un miroir qui ne renvoie pas la vraie image, est essentielle.

 

L’orchestre est une scène de crime

Entre enquête et diagnostic, angoisse et « distorsion de point de vue », la mort s’empare de la vie, énigmatique dans les suicides, toujours présente quand les symptômes sont si proches des pathologies fréquentes chez les musiciens (dystonie, hypoxie, herpès, tendinites…). On ressent ce temps « mortifère » arrêté, l’« incomplétude » des artistes, le frisson de « la mort sans la mort ».

Le contexte criminel fait que l’on n’est pas dans une visite guidée de l’orchestre. Au hasard des concerts défile un sacré répertoire, qui est tout de même celui des années 70, plutôt classique, avec aussi les surprises du Groupe des Six au festival de printemps. Mais tandis que les morts se succèdent, on partage les débats et réunions syndicales, la vie des coulisses, la salle de répétition et le café « Saint Jo », le quotidien banal ou l’échappée belle au volant d’une mythique Rover, l’addiction au verre partagé, l’entretien et la réparation, la dépendance à l’instrument, le rituel d’accord des musiciens. On découvre les solistes, les instruments pittoresques comme timbale, contrebasse et tuba. Volent les surnoms et moqueries, et le concours de recrutement est un grand moment, tout comme les conflits avec les chefs d’orchestre, très rarement sympathiques. Ces échanges violents ouvrent une autre question : qui dans l’orchestre assassine l’idéal musical de la musique partagée ?

 

Pascal Scheuir inspire Pascal Lagrange

Pascal Lagrange, soliste de l’OONMO, a plus d’une note à son cor, mais aussi plus d’un mot assassin. Photo Marc Ginot

La démarche d’écriture est plurielle. L’auteur Pascal Lagrange a cédé à son désir d’écrire après avoir longuement mûri ce projet. Il sait de quoi il parle. Sous son nom de musicien, Pascal Scheuir, il est lui-même cor soliste à l’ONMO – situé de l’autre côté de l’orchestre par rapport au trombone du héros de son polar. Son parcours musical est exemplaire. Il a commencé par le piano, sa mère étant pianiste, puis le cor lui a été proposé à Nancy et il a fait tout son parcours « à l’ancienne ». Il a joué dans une grosse fanfare qui a eu l’honneur de faire la promo de l’eau de Vittel aux Etats Unis ! Il est entré au CNSM de Paris en 1988 (une malédiction dans le roman), et à l’orchestre de Montpellier en 1992. Il avait obtenu un premier prix de cor en 1991, et d’autres lauriers en musique de chambre en 1987 et 1992.

Pascal Lagrange a aussi écrit « Regard sur le spectacle vivant français » en 2017 (Edilivre), où il dénonce les réductions budgétaires qui menacent opéras et orchestres « à bout de souffle », et il collabore depuis à la rubrique « Opinions » du webzine « ResMusica ». Mais son premier roman « Max » date de 2022 (5 Sens), un duo amoureux qui maintient jusqu’au bout son suspens dans un monde glaçant, présent et futur.

A 50 ans, le musicien s’est lancé dans le management culturel, est titulaire d’un master MBA et crée des sites pour le spectacle vivant. Mais il œuvre encore dans un autre domaine car, après un long travail sur lui-même, Pascal Scheuir-Lagrange a ouvert depuis plusieurs années un cabinet de psychanalyste à Saint-Gély-du-Fesc.

 

Sur les blocs-notes, pas de partition musicale

L’auteur de « L’Orchestre assassiné » travaille les mises en abyme au fil de l’enquête, regroupe les souvenirs de concerts et de festivals, et s’interroge : « Je ne sais pas écrire, c’est instinctif, j’ai voulu voir si j’étais capable d’écrire ce roman, et en fait j’en ai fait une douzaine de versions ». Il a inventé des noms de personnages sur lesquels on peut faire des jeux de mots, il a créé l’univers de la ville d’Avalon, d’après le lieu mythique des Chevaliers de la Table Ronde : « C’est un mélange, une cité fortifiée, près de la mer, à l’Ouest, mais avec des influences de l’Est car je suis de Nancy ! » Révélation : « La salle Prouvé existe vraiment mais j’ai totalement inventé l’idée d’un opéra sous terre, dans une ancienne grotte ! » Il a mené ses recherches médicales sur l’arsenic, qui guérit et qui tue, sur… pharmacie et chocolat. A suivre à travers l’enquête !

Le musicien devenu auteur écrit tout à la main, au stylo, avant de transférer sur l’ordi, et empile ses cahiers et ses blocs-notes de papier. C’est son style. Pascal n’arrête pas, un nouveau roman est en cours, sur Freud. Et il invente toujours, des poèmes, des jeux sur les mots. En fait une musique est sans doute présente, des émotions, la peur de rater, son idéal, « un exploit du quotidien ».

Michèle Fizaine

L’Orchestre assassin, de Pascal Lagrange, 292 p., éditions Zinédi.

Photo 1 : « J’aime le son du cor », phrase culte de Vigny, pour fanfare ou orchestre, avec Pascal Lagrange, Photo. OONMO.

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J’ai enseigné pendant 44 ans, agrégée de Lettres Classiques, privilégiant la pédagogie du projet et l’évaluation formative. Je poursuis toujours ma démarche dans des ateliers d’alphabétisation (FLE). C’est mon sujet de thèse « Victor Hugo et L’Evénement : journalisme et littérature » (1994) qui m’a conduite à écrire dans La Marseillaise dès 1985 (tous sujets), puis à Midi Libre de 1993 à 2023 (Culture). J’ai aussi publié dans des actes de colloques, participé à l’édition des œuvres complètes de Victor Hugo en 1985 pour le tome « Politique » (Bouquins, Robert Laffont), ensuite dans des revues régionales, et pour une série de France 2 en 2017. Après des études classiques de piano et de chant, j’ai fait partie d’ensembles de musique baroque et médiévale, formée aux musiques trad occitanes et catalanes, au hautbois languedocien, au répertoire de joutes, au rap sétois. Mes passions et convictions me dirigent donc vers le domaine culturel et les questions sociales.