Le 15 novembre, la justice française se prononce sur l’affaire du plus vieux prisonnier politique de l’Hexagone et d’Europe. Les personnes et les organisations qui le soutiennent étaient réunies à la Bourse du travail de Toulouse, le 25 octobre, la veille de la manifestation qui se tient chaque année depuis quinze ans devant la prison à Lannemezan.


 

Il y avait du monde à la Bourse du travail de Toulouse, vendredi 25 octobre, pour exprimer sa solidarité à Georges Ibrahim Abdallah, le plus ancien prisonnier politique d’Europe incarcéré dans la prison de Lannemezan (Hautes-Pyrénées) depuis quarante ans.

À l’initiative du Collectif toulousain « Palestine Vaincra » qui donne le ton dès l’ouverture du meeting en demandant une minute d’applaudissements pour le militant communiste libanais, combattant révolutionnaire de la cause palestinienne depuis sa jeunesse. Et les crépitements des mains des deux cent personnes présentent dans la salle claquent.

Aujourd’hui Georges Abdallah a 73 ans, comment est-il possible que cet homme soit maintenu en détention depuis quatre décennies dans un pays qui se réclame de la patrie des droits de l’Homme ?

Son avocat parisien, Jean-Louis Chalanset, qui le défend depuis onze années suite au décès de Jacques Vergès, a sa petite idée sur la question. En résumé, Georges Ibrahim Abdallah n’a jamais renié ses convictions et se refuse à indemniser les parties civiles représentées par un avoué nord-américain. « Indemniser les États-Unis, c’est payer les bombes qui massacrent et tuent les enfants palestiniens et libanais », précise l’avocat en audio-conférence.

 

Les juges ont auditionné Georges Abdallah le 7 octobre

Pour rappel, le cofondateur, en 1979, des Fractions armées révolutionnaires libanaises (FARL) proche du Front populaire de libération de la Palestine, a été condamné à perpétuité, en 1987, pour complicité dans les assassinats de Charles Ray, attaché militaire de l’ambassade des États-Unis, le 18 janvier 1982, et Yacov Barsimentov, deuxième secrétaire de l’ambassade d’Israël à Paris, agent du Mossad, le 3 avril 1982. Cette année-là, Israël envahissait le Liban avec l’accord de l’administration Reagan pour liquider l’Organisation de libération de la Palestine (l’OLP) et son dirigeant Yasser Arafat. Aux yeux des FARL, ces deux attentats signifiaient, hors du Proche-Orient, un acte de résistance armée à une agression militaire.

À noter que l’audience s’est déroulée dans une petite salle de la prison le 7 octobre ; hasard du calendrier ? Jean-Louis Chalanset en doute. Étaient également présents deux substituts du procureur du Parquet national anti-terroriste. C’est la douzième demande de libération conditionnelle. Petit retour en arrière : Georges Abdallah est libérable depuis 1999, Manuel Valls, ministre de l’Intérieur sous le gouvernement socialiste présidé par François Hollande, refusait de signer l’arrêté d’expulsion alors que la justice s’était prononcée pour sa libération conditionnelle. Pourtant, les responsables d’Action directe, dont Jean-Marc Rouillan, ont été condamnés à la perpétuité en 1989 pour l’assassinat de Georges Besse, le patron de Renault et du général Audran. Ces figures historiques ont été soumises à des régimes de liberté conditionnelle comme tant d’autres ayant commis des homicides quelle que soit leur nationalité.

 

« S’il était libéré, ce serait une victoire du Hamas »

Les militant.e.s anticolonialistes parlent d’acharnement contre le combattant anti-impérialiste. Et son défenseur met en avant « la haine » qu’il inspire à en juger les propos tenus par les juges descendus de Paris. À 73 ans, Georges Abdallah est « un dangereux terroriste. Il faut qu’il meure en prison ». Du pain béni pour l’avocat états-unien : « Ce serait une victoire du Hezbollah et du Hamas, s’il était libéré. Ils ont même comparé Georges à un islamiste de Daech », rapporte Jean-Louis Chalanset. C’est dire leur ignorance sur l’histoire et le parcours révolutionnaire du militant qui affiche « le Che » au mur de sa cellule. Une flagrante injustice quand on sait que le natif de Kobayat, village chrétien du Nord-Liban, a été condamné par une cour spéciale suite à une enquête au moyen de preuves falsifiées, des médias le chargeant ainsi que ses deux frères des attentats de la rue de Rennes à Paris en 1986 ; aux côtés de Maître Vergès officiait un drôle d’avocat, Jean-Paul Mazurier, qui était en réalité un agent des services de renseignement français. Il l’avait révélé dans un livre1. On peut se demander pourquoi le bâtonnier Paul Vergès n’a pas, alors, déposé une requête en révision. Le bâtonnier n’est plus là pour répondre à cette question.

Il faut oser la comparaison : Georges Ibrahim Abdallah, tout comme Missak Manouchian et tous ses camarades, sans oublier Olga Bancic2, n’est pas un terroriste mais bel et bien un résistant communiste étranger, n’en déplaise aux experts psychiatriques dont le diagnostic posé, comme si le détenu était malade, est que l’infatigable révolutionnaire a « une pathologie puisqu’il est toujours communiste après quarante années d’enfermement et toujours combattant pour une Palestine et un Liban libres », relate Jean-Louis Chalanset.

Georges Ibrahim Abdallah a conscience, comme tous ses soutiens, que l’État français, tout comme les États-Unis et Israël, veut le tuer à petit feu au nom de la mal nommée « raison d’État ». Cette peine d’incarcération à vie, avec possibilité de libération conditionnelle après quarante ans de réclusion, est incompatible avec la Convention européenne des droits de l’Homme a estimé, en 2021, la Cour européenne des droits de l’Homme. Son défenseur s’appuie sur cette jurisprudence pour demander sa libération. Et toutes les personnes solidaires de Georges refusent la peine de mort lente qui lui est infligée.

 

L’objectif d’Israël est de coloniser Gaza

Dans la salle, Jean-Jaurès, de la Bourse du travail, Attia Rajab, gazaoui, exilé à Stuttgart, évoque « la destruction massive, totale, pas que des murs mais de la population et tout ce qui est utile à la vie » : équipements vitaux tels les appareils respiratoires pour les nourrissons dans les hôpitaux, arrestations de personnels de santé et de patients, bombardements des écoles servant d’abris et de tentes, abritant des familles déplacées, des personnes ont été brûlées vives, des secouristes ont été, délibérément, attaqué.e.s et empêché.e.s de venir en aide aux personnes ensevelies sous les décombres de leurs maisons. Même l’eau, source de vie, vient à manquer au même titre que la nourriture et les médicaments. « Aucune boulangerie ou cuisine publique n’est opérationnelle dans le nord de Gaza et seuls deux des vingt services de santé et deux hôpitaux restent, partiellement, opérationnels. L’ensemble de la population palestinienne du nord de Gaza court le risque imminent de mourir de maladie, de faim et de violence », rapporte l’Agence de coordination des affaires humanitaires des Nations Unies (OCHA).

Le but ultime des sionistes est de coloniser Gaza en commençant pas le Nord, d’où les incessantes pluies torrentielles de bombes : pas une âme ne doit survivre à Gaza afin d’accaparer les terres et les maisons. Le Sionisme n’est-il pas un grand prédateur ? Attia raconte la répression, des personnes kidnappées qui réapparaissent mutilées ou mortes. « Ils essaient d’étouffer toutes les graines de la résistance en détenant les parents des combattants comme l’épouse d’Ahmad Sa’adat3 et des militants. Leur projet sioniste impérialiste vise à asseoir leur pouvoir dans la région ». En Allemagne, « le gouvernement interdit Samidoun4 et d’autres organisations de solidarité. Il y a eu des arrestations pour nous intimider. » Pour Attia Rajab, qui est né et a grandi à Gaza, toute sa famille et ses ami.e.s y vivent, « Georges Ibrahim Abdallah est un homme libre, nous sommes les vrais prisonniers ». D’ailleurs, le frère, Robert Abdallah5), 60 ans, professeur de sociologie à Tripoli (Nord-Liban) fait allusion à « son esprit qui est resté libre. C’est peut-être bien pour cela qu’ils ne le libèrent pas », confie-t-il au quotidien Le Monde.

 

Les mêmes fabricants d’armes du IIIe Reich approvisionnent le génocide à Gaza

Une militante d’OTKM (La Réunion Ouverte Contre la Guerre et la Militarisation de Stuttgart), une organisation anti-militariste allemande de Stuttgart, dénonce « les profiteurs de guerre et les nouvelles livraisons d’armes du gouvernement allemand. C’est devenu une raison d’État en Allemagne de soutenir l’État colonial sioniste d’Israël. Ils parlent d’antisémitisme importé comme si leurs grands-pères n’avaient pas perpétré la Shoah, comme si la police, la politique et les services de renseignement allemands n’étaient pas construits sur l’Allemagne nazie, comme si les entreprises d’armement, qui fournissaient le IIIe Reich n’étaient pas les mêmes qui approvisionnent le génocide à Gaza ». La guérillera, internationaliste, anti-guerre en appelle à « contribuer à une Palestine libre en luttant contre la répression des révolutionnaires, les collaborateurs : les politiciens et l’industrie allemande, tous ceux qui ont un intérêt dans le génocide, dans l’instabilité du Moyen-Orient ».

Le camp de la paix a à son actif le blocage, en octobre dernier, de cargaisons d’armes vers Israël par les dockers grecs ou encore, il y a deux ans, au Royaume-Uni, la fermeture d’une entreprise d’armement Elbit Systems fournissant Israël à Oldham (Manchester) suite aux manifestations et occupations du réseau Palestine Action.

Le public réagit par la voix d’une jeune femme, 19 ans, qui, face à la peur de sa mère quand sa fille va manifester, lui répond qu’elle ne risque pas de mourir, qu’il ne faut surtout pas se taire et continuer à militer. Le même sentiment anime cet autre jeune, « aller au combat, chaque jour, malgré la répression des CRS, des drones sur nos têtes et des arrestations lors du match de basket France-Israël ». Un autre intervenant fustige le rôle des pétromonarchies : « La libération de la Palestine signera la libération des pays arabes, des peuples colonisés et la défaite du capitalisme. » Un militant du Secours rouge international (SRI)6 témoigne de la solidarité des Italien.ne.s qui, malgré les interdictions de l’État, manifestent toutes les semaines leur soutien à Gaza et aux occupations estudiantines des facultés un peu partout en Italie. Ce couple, venu de Grenoble pour soutenir Georges Ibrahim Abdallah et les peuples palestinien et libanais, s’indigne contre « l’indifférence des politiciens et des gouvernements devant autant de morts et le fait qu’on veut nous empêcher d’être humains. La Troisième Guerre mondiale a bien lieu au Proche-Orient, malgré la répression, on lâchera pas ».

 

Le génocide sous leurs yeux, des allemand.e.s continuent de regarder ailleurs

Une palestinienne condamne le silence de l’Autorité palestinienne devant les massacres et se demande quel est le rôle joué par les forces palestiniennes à l’étranger. « L’Autorité palestinienne est au service de l’occupation comme on le voit en Cisjordanie avec les persécutions et les arrestations de combattants et de militants, répond Attia. Israël n’est pas uniquement notre ennemi, certains pays arabes, la bourgeoisie palestinienne et ceux qui s’allient à l’occupant sont aussi nos ennemis. À l’étranger, on essaie de rassembler toutes les forces, mais nous rencontrons des difficultés devant le discours travestissant et dénigrant le combat de la résistance du Hamas. La plupart des manifestations en Occident sont à l’initiative de l’extrême gauche. »

Une personne s’interroge sur une gauche allemande qui ne prend pas position contre le génocide et dédouane ainsi Israël. Selon Attia, « ils tombent dans l’islamophobie et ne voient que des mouvements islamistes et terroristes en Palestine et au Liban, c’est le même discours que les sionistes et les impérialistes. À Stuttgart, on ne leur parle pas. Ce que l’on voit à Gaza ressemble à ce qu’on a vu pendant la Seconde guerre mondiale avec le nazisme. Il faut qu’un jour les criminels de guerre, sionistes et leurs complices, soient traduits devant les tribunaux. La ministre des Affaires étrangères du gouvernement allemand justifie les massacres d’innocents dans les écoles et les hôpitaux en employant les mêmes arguments que l’État d’Israël, les combattants du Hamas s’y cachent ».

Un jeune militant pro-palestinien allemand affiche que son arrière-grand-père a travaillé pendant un an dans le camp d’extermination d’Auschwitz-Birkenau. « En Allemagne, cette culture de la culpabilité sert à ne pas se remettre en question. Tout le monde sait ce qui se passe à Gaza, quand les gens disent qu’ils ne savaient pas ce qui se passait sous le IIIe Reich, ce sont des menteurs. J’espère que cette fois, on va comprendre, mais le peuple ne réagit pas. »

Et l’autrice de ces lignes signale que ces allemand.e.s se revendiquant de la gauche, ont leurs aîné.e.s qui ont détourné les yeux face aux persécutions des Juifs et au génocide ou y ont participé. Aujourd’hui, ils et elles ferment les yeux devant le génocide des Palestinien.ne.s de Gaza au prétexte que le Hamas a également commis des crimes le 7 octobre. Ces Allemand.e.s sont encore et toujours à contre-sens de l’Histoire.

Au nom du collectif « Palestine Vaincra », une militante prend la parole : « Soixante-dix organisations [au niveau local-NDLR] se sont unies autour de l’appel pour la libération de Georges Abdallah. Beaucoup de gens se politisent à travers son histoire, son combat et l’injustice qui lui est faite. L’émergence de militant.e.s né.e.s dans les années 80, lors de son arrestation, ou encore dans les années 2000 quand il était libérable, soulignent que ses soutiens se renouvellent et se forment à ses côtés. » Un vibrant hommage est rendu à Catherine et Suzanne qui se sont inlassablement battues pour la libération de Georges Ibrahim Abdallah. « Le meilleur hommage est de poursuivre le combat initié et élargir la mobilisation qui compte maintenant des milliers de personnes, une centaine en 2010. » Rendez-vous est pris, le 14 novembre à Toulouse7 et ailleurs, pour exiger la libération du combattant marxiste anti-impérialiste, la veille de la décision judiciaire.

Piedad Belmonte

Notes:

  1. L’Agent Noir, une taupe dans l’affaire Abdallah, 1987, éd. Robert Laffont.
  2. Olga Bancic, d’origine roumaine, est devenue le symbole des femmes et jeunes filles étrangères engagées dans la Résistance en France. Seule femme résistante FTP-MOI (Francs-tireurs et partisans – main-d’œuvre immigrée) du groupe Manouchian, et du procès dit de l’Affiche rouge (affiche de propagande anticommuniste et antisémite allemande). Transférée en Allemagne, elle a été décapitée à la hache, le 10 mai 1944, le jour de ses 32 ans, à la prison de Stuttgart.
  3. Né en 1953, Ahmad Sa’adat est le fils de réfugié.e.s expulsé.e.s en 1948 du village détruit de Dayr Tarif (Près d’Al-Ramleh). Militant du mouvement national palestinien depuis 1967, il est arrêté par l’occupant israélien à de multiple reprises entre 1970 et 1992 avec, au total, dix ans d’incarcération. Le 3 octobre 2001, il devient secrétaire général du Front populaire de libération de la Palestine. « Notre droit au retour et notre indépendance avec Jérusalem comme capitale sont nos objectifs », déclare-t-il à ce moment-là. L’Autorité Palestinienne ordonne son arrestation et son emprisonnement en 2002, il est kidnappé dans sa prison palestinienne, en 2006, par l’occupation israélienne. Un tribunal militaire, illégitime, le condamne à 30 ans de réclusion, le 25 décembre 2008, tandis que Menachem Mazuz, procureur général israélien, admettait, peu après son enlèvement, qu’il n’y avait pas suffisamment de preuves pour l’inculper dans l’assassinat du ministre du Tourisme israélien, Rehavam Ze’evi, en 2001.
  4. Samidoun est un réseau international de solidarité avec les prisonnier.e.s palestinien.ne.s.
  5. Robert Abdallah est le porte-parole de la campagne libanaise pour la libération de Georges Ibrahim Abdallah.
  6. Le Secours rouge international (SRI) est une organisation créée en 1922 à Moscou à l’initiative de la IIIe Internationale afin de porter secours aux réfugiés communistes.
  7. À l’appel de 40 organisations associatives, politiques et syndicales, un rassemblement est prévu le jeudi 14 novembre à 18h30 à la sortie du métro Jeanne d’Arc à Toulouse.
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Passée par L'Huma, et à la Marseillaise, j'ai appris le métier de journaliste dans la pratique du terrain, au contact des gens et des “anciens” journalistes. Issue d'une famille immigrée et ouvrière, habitante d'un quartier populaire de Toulouse, j'ai su dès 18 ans que je voulais donner la parole aux sans, écrire sur la réalité de nos vies, sur la réalité du monde, les injustices et les solidarités. Le Parler juste, le Dire honnête sont mon chemin