« On est chez nous ! », c’est tellement vrai, pour Mouss et Hakim et toutes leurs invitées, les Héritières, Karimouche et Lili Lekmouli, sans oublier les hommes et les femmes, artistes- musicien-nes, qui ont planté leur tente sur la scène Garonne, au bord du fleuve éponyme, dans le jardin public de la Prairie des Filtres, pour nous régaler d’un concert athlétique et magnifique baptisé « Des deux côtés de la mer ».


 

L’importance de l’accueil

Et ça démarre en tchatchant vigoureusement, les frères toulousains entrent en confidence avec la mélodie dont la force est la Daronne : « quand elle résonnait à la maison, la météo était bonne ». Mouss nous régale, tout en douceur caraïbéenne, d’un « Quizás » chant d’amour savoureux en langue arabe « Chelihet Laayani » qui a traversé l’Océan atlantique puis la Méditerranée.

Les frères toulousains forment un duo de comédiens, « la fibre tout le monde l’a, c’est obligé », en prof improvisé, Mouss donne un cours de danse en direct, avis aux amateurs et amatrices : « Si vous voulez bouger les épaules, mains en bas, le bassin, mains en haut » et de twister des jambes tandis que l’autre Daron, Hakim, rythme « Aroua, Aroua » au djembé pour annoncer la première invitée parce que « l’accueil, c’est important » pour ces enfants, issus de l’immigration, ça va de soi.

La famille s’agrandit en présence de la chanteuse, la première héritière, Cheikha Hadjla, sa voix puissante s’élève sur un rythme suave : « Tu viens chez moi, ça sera la liberté », en franco-arabe, Hakim et Mouss l’accompagnent en chantant, puis c’est au tour des deux autres héritières, Souad Asla et Nawel Ben Kraiem de se lever et de faire choeur en compagnie de Karimouche.

 

« Habibi », un cri d’amour lancé à Toulouse

« Habibi », un cri d’amour lancé à Toulouse, au public et surtout à Cheikha Rimitti, « la diva du raï moderne ». Une source d’inspiration pour toute une génération de poétesses nord-africaines, une femme libre et authentique, une personnalité forte chantant des textes forts qui parlent aux jeunes générations incarnant à leurs yeux un esprit de révolte. Les paroles de cette chanteuse-musicienne racontent librement et sans tabou la vie tout simplement. Conquis, le public se trémousse en dansant, mélodies et rythmes envoûtants enveloppent les corps ondulants, c’est bon pour le cœur et l’esprit.

La nuit étoilée dansante se prête à un souvenir d’enfance, Hakim a mis ses lunettes pour mieux se concentrer et c’est sans risque aujourd’hui qu’il renoue avec le pitchoun qu’il a été : son premier jour de maternelle, l’émotion et la fuite, « trop gentil pour être voyou », avise-t-il en slamant. Derrière chaque homme se cache une Daronne, « Est-ce qu’il y a des sœurs, des cousines, des Daronnes ? », claironne Mouss, « Ouiiiiiiiiiiiiiiiii », carillonne la foule à l’unisson, Karimouche entre en scène et rappe les mots qui retentissent dans sa bouche et vibrent sur ses lèvres.

 

« Ô toi l’émigré, tu finiras par revenir »

D’exil, il est question dans cette chanson de l’algérien Dahmane El Harrachi « Ya Rayah » reprise par le rockeur au grand cœur Rachid Taha, dont l’âme se balade là-haut au firmament, et qui nous manque tant : « Ô toi l’émigré qui t’en vas, où vas-tu ? Tu finiras par revenir… » et l’ensemble des artistes ont une pensée pour ceux et celles qui vivent loin de leur terre et de leurs proches, les spectateurs et spectatrices aussi, en ce jour de fête de l’Aïd El-Kebir. L’accompagnement à l’accordéon donne un air de bal musette et les cordes du violon soulignent avec délicatesse la tristesse de l’exilé-e.

Mouss raconte une anecdote : «  Slimane Azem, l’artiste préféré de notre père, on en a mangé dans sa voiture, à table à la maison. Papa, on veut écouter Michaël Jackson, Kool of the Gang, Renaud », non, c’est Slimane Azem, autant vous dire qu’on l’a dans la peau », à la mandole Rachid, en duo avec Sergio López, fait sonner un rythme arabo-andalou qui devient endiablé sous les pas sautillants des chanteurs Mouss et Hakim qui entonnent avec faconde la célèbre « Résidence » du troubadour kabyle Slimane Azem : « C’est vraiment bien dommage, le racisme et le chômage. Heureusement qu’il y a des sages, c’est le prestige de la France, c’est le prestige de la France, c’est la raison d’espérance ».

 

« J’ai la nostalgie du pain de ma mère »

Un pur moment d’émotion s’empare de la scène, accompagnée par la violoncelliste, Lucile, Karimouche chante la fameuse ode « À ma mère » du regretté Mahmoud Darwich, poète palestinien : « J’ai la nostalgie du pain de ma mère, du café de ma mère, des caresses de ma mère… la danseuse de Flamenco, Lili fait son apparition, elle virevolte et fait voler le bas de sa robe, aux motifs, couleurs, de la Palestine, tout en élégance Et l’enfance grandit en moi, jour après jour, et je chéris la vie, car si je mourais, j’aurais honte de larmes de ma mère ». Tanina Cheriet, la fille d’Idir, étant absente, une formidable ovation du public rend hommage au bouleversant et vivifiant répertoire de cet auteur-compositeur-interprète qu’était le chanteur et musicien kabyle Idir, les étoiles brillent, dans le ciel, pour ce berger de la conscience.

 

« Contre le fascisme, y’a pas d’arrangement »

Et les Darons toulousains de célébrer les femmes et artistes libres, la musique avec son pouvoir de fédérer tandis que Nawel, dont le vêtement, coloré ocre jaune, brille de mille éclats, chante en anglais « Me and Bobby Mc Gee » de Janis Joplin, on entend des youyous, le foule est chauffée, un couple s’embrasse passionnément comme s’il était seul au monde.

« On va pas se quitter sans un mot pour les intermittents du spectacle, vu la période actuelle contre le fascisme et l’intégrisme, solidarité avec le peuple palestinien, solidarité avec le peuple kanake, on est tous chez nous. Tous unis contre l’extrême-droite, y’a pas d’arrangement ». « Le chant des Partisans », à la sauce Motivés, est repris par tout le monde, « Siamo tutti antifascisti » fait écho aux cris et aux poings levés de Mouss et Hakim.

Piedad Belmonte

 

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Passée par L'Huma, et à la Marseillaise, j'ai appris le métier de journaliste dans la pratique du terrain, au contact des gens et des “anciens” journalistes. Issue d'une famille immigrée et ouvrière, habitante d'un quartier populaire de Toulouse, j'ai su dès 18 ans que je voulais donner la parole aux sans, écrire sur la réalité de nos vies, sur la réalité du monde, les injustices et les solidarités. Le Parler juste, le Dire honnête sont mon chemin