En dépit des nombreuses alertes de la société civile sur le risque d’une multiplication des désastres humanitaires et des violations des droits fondamentaux que créerait le pacte européen asile et migration, celui-ci vient d’être adopté en séance plénière au Parlement européen.
La Cimade et plus de 160 autres organisations appelaient encore le 10 avril les député·e·s européens et européennes à ne pas voter le pacte sur la migration et l’asile en raison des conséquences dévastatrices sur le droit à la protection internationale dans l’Union européenne ainsi que des risques de profilage racial, de détention de facto et de refoulements que pourrait engendrer sa mise en œuvre. Elles signalaient notamment :
- « La détention de facto aux frontières sans aucune exemption pour des familles avec enfants de toutes âges, des procédures accélérées et inférieures aux normes pour évaluer les demandes d’asile plutôt que des évaluations complètes et équitables, et l’accent mis sur les procédures de retour avec des garanties réduites.
- Un nombre bien plus important de demandeur·euse·s d’asile se retrouveront dans des procédures frontalières et, en raison de la « legal fiction of non-entry », ne seront pas considérés comme se trouvant sur le territoire de l’UE, ce qui entraînerait une diminution des garanties de protection et augmenterait le risque de violations des droits humains et de refoulements aux frontières. Même les enfants non accompagnés peuvent être soumis à des procédures frontalières et placés en détention « de facto » lorsque les autorités nationales les considèrent comme un « danger pour la sécurité nationale ou l’ordre public ». En outre, l’expérience a montré que le confinement d’un grand nombre de personnes dans les zones frontalières entraîne une surpopulation chronique et des conditions inhumaines, comme on l’a vu dans les îles de la mer Égée.
- Grâce à l’élargissement du principe du « pays tiers sûr », les demandeur·euse·s d’asile seront déclarés irrecevables et de plus en plus souvent expulsé.e.s vers des pays extérieurs à l’UE, ce qui accroît le risque de refoulement. Dans le passé, nous avons déjà pu observer ce type d’externalisation de traitement des demandes d’asile vers des pays tiers dans des accords échoués, comme l’accord UE-Turquie.
- En l’absence de voies d’accès sûres et régulières, les personnes en quête de sécurité sont contraintes d’emprunter des itinéraires de plus en plus dangereux, ce qui fait de 2023 l’année la plus meurtrière depuis 2015. Rien qu’en Méditerranée, plus de 2 500 personnes ont été déclarées mortes ou disparues l’année dernière. Le pacte n’aborde pas cette question, mais au contraire continue à renforcer la forteresse Europe.
- Une utilisation accrue des technologies de surveillance à tous les stades des procédures d’immigration et d’asile. Le Pacte représente un pas supplémentaire vers la surveillance de masse des migrants et des personnes racisées. Des technologies de surveillance seront déployées aux frontières et dans les centres de détention, des données personnelles des personnes seront collectées en masse et échangées entre les forces de police à travers l’UE, et des systèmes d’identification biométriques seront utilisés pour suivre les mouvements des personnes et pour renforcer le contrôle des migrant·e·s sans papier.
La société civile et des ONG de droits humains ont régulièrement fait état de violations systématiques des droits fondamentaux des personnes en quête de sécurité, en particulier des communautés racialisées, en leur refusant l’accès aux abris, aux services et à l’asile et en recourant à des refoulements en masse. Tout cela, les politiques qui cherchent à criminaliser l’aide aux réfugié·e·s et migrant·e·s, et même la mobilité en général, contribue à un rétrécissement de l’espace civique. La Commission a présenté le nouveau pacte comme une « solution » aux normes inégales dans la mise en œuvre d’un régime d’asile européen commun dans les États membres. Pourtant, le pacte ne fait rien pour remédier à cette situation ni pour soutenir les États membres qui reçoivent un grand nombre d’arrivées aux frontières extérieures. Le principe du premier pays d’entrée est maintenu, il n’y aura pas de relocalisation obligatoire des personnes sauvées — une initiative qui aurait pu apporter des solutions humaines et durables grâce à la répartition proportionnelle des demandeur·euse·s d’asile dans toute l’Europe. Au lieu de cela, les États membres sans frontières extérieures de l’UE peuvent éviter le partage des responsabilités en finançant la fortification des frontières dans les États membres frontaliers ou en finançant des projets douteux dans des pays non membres de l’UE. »
Cette réforme s’inscrit dans la continuité des logiques sécuritaires et répressives déjà largement éprouvées ces dernières décennies qui ont engendré toujours plus de violences, de drames et de violations des droits, en plus d’être profondément inefficaces. En total décalage avec les réalités migratoires, les représentants au Parlement ont aujourd’hui fait le choix de la fermeture et du rejet, alors que de nombreuses initiatives partout en Europe nous ont prouvé qu’un accueil digne et solidaire était possible.
La Cimade réitère son appel à un changement radical des politiques migratoires européennes, fondée sur le respect des droits humains et la protection de toutes et tous.
Pôle Europe et International de la Cimade
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