Jakuta Alikavazovic, romancière, traductrice et chroniqueuse née à Paris de parents originaires d’ex-Yougoslavie, présente son exposition intitulée Perdus dans mes pensées, au MO.CO Panacée à Montpellier. Son œuvre explore les thèmes de la spatialité, du déplacement et de la mémoire, offrant une plongée intime dans son processus créatif et son univers captivant.
L’exposition Entre les lignes. Art et littérature qui a ouvert ses portes le 01 mars au MO.CO invite des auteurs à mettre en lumière leur connexion aux créations contemporaines produites par les « artistes des formes ». Disposant d’un espace libre, ils sont amenés à créer leur propre exposition dans une perspective de décloisonnement des pratiques artistiques.
Au MO.CO Panacée, au côté des installations ancrées dans le réel de la forme physique αὐτοψία – autopsía – voir par soi-même de Jean-Baptiste Del Amo qui a travaillé sur le corps et l’institut médico-légal, l’exposition de Jakuta Alikavazovic1. Un voyage poétique à travers ses pensées, construit avec esthétisme et sensibilité. Elle invite les visiteurs à explorer les méandres de son esprit, entre souvenirs et oublis, à travers une sélection d’œuvres qui incarnent ses inspirations et ses réflexions profondes :
« Ce que cela vous ferait, à vous, d’être soudain perdu […] dans mon esprit, autour ou à la limite des mots et des images qui vont y naître. »
Une tentative de matérialiser l’univers qui a construit son parcours au fils des ans et poursuit son ébullition. Nous nous trouvons comme suspendus dans un temps, un paysage, un état intermédiaire ambigu entre le passé, le présent et le futur où l’art produit du changement. Chacune de ses œuvres a été vécue par l’autrice et continue de l’influencer, sans même qu’elle s’en rende compte dans son écriture.
Dans un flot incessant de mots que représentent le processus d’écriture et l’assimilation du lecteur, ici ce sont les œuvres, le silence. Un lecteur averti y percevra d’ailleurs peut-être des références à certaines de ses narrations. Outre l’espace personnel de réflexion où a souvent lieu le processus de création de Jakuta Alikavazovic, à savoir son bureau, l’auteure invoque six autres univers créatifs, chacun apportant sa propre vision et son langage artistique à l’exposition.
Nous pouvons traverser le rideau de perles de Felix González-Torres qui a cherché a générer le moment présent entre l’avant et l’après. La transition qu’il évoque est le sida, qui a particulièrement impacté les générations nées dans les années 1950/1960.
Danh Vo et Claudio Parmiggiani partent quant à eux du concept de ruine, ou destruction, vers l’idée de commencement ou de renaissance. En effet, Danh Vo crée une reproduction de parties de la Statue de la Liberté qu’il dispatche dans des musées à travers le monde. Ce faisant, il questionne la place qu’occupe aujourd’hui les valeurs de liberté, de démocratie, de droits de l’Homme. Sont-elles perdues ou continues-t-elles de vivre un peu partout dans le monde ? Jakuta Alikavazovic rappelle ce moment clé de La planète des singes où la statue émerge comme vestige d’une civilisation disparue.
Claudio Parmiggiani donne à voir les traces produites par la fumée en mettant en scène la destruction par le feu d’une bibliothèque, et par extension de la mémoire, de l’histoire, des cultures. Cette œuvre trouve son écho chez Jakuta Alikavazovic dans la bibliothèque de Sarajevo qu’elle a pu visiter en voyage avant sa destruction en 1992.
Bianca Bondi, Dora Budor et Tarek Lakhrissi produisent des œuvres évolutives où les visions diffèrent à chaque visite. Nous pouvons rester admiratifs devant la magnifique installation immersive dans le sel de Bianca Bondi qui intègre vivant et non vivant avec une multitudes de détails et des couleurs en évolution à mesure que les cristaux sont à l’air libre. Cette fossilisation du temps ramène aux survivances des mémoires.
Sous une lumière rouge, Dora Budor présente une vision post-apocalyptique d’un désert composé de poussière. Pour Jakuta Alikavazovic cette pièce évoque des questionnements sur la fin du livre et sur la multiplicité des sujets déjà traités. Cette œuvre est une base pour le développement de sa pensée.
Les sept pendules en verre suspendues au plafond par des chaînes de métal plongent le visiteur dans une transe à l’initiative de Tarek Lakhrissi. D’après Jakuta Alikavazovic, c’est une invitation à interroger ce que sont les formes qui nous aident à vivre. Dans ces espaces propices à la tranquillité, s’éveillent les phrases.
Des images naissent dans l’esprit lors de l’écriture, tout comme dans la lecture. Jakuta Alikavazovic s’interroge sur ses propres images et aimerait voir celles de ses lecteurs, leurs similitudes et leurs inconstatables différences. L’exposition a été pensée comme le palais de la mémoire de l’auteure, rempli d’espaces et d’artefacts à parcourir. C’est une expérience immersive pouvant amener à l’introspection. Bien que la matérialité du format produit des images plus fixes, quelles ont-elles été pendant votre déambulation ? Seront-elles pour autant toutes les mêmes ? Les imaginaires des artistes convoqués ont participé à l’écriture de Jakuta Alikavazovic qui invite à son tour le visiteur à traverser le rideau de perles et s’initier à son propre palais de la mémoire, explorer ses propres images et imaginaires ; et pourquoi pas, à écrire.
Sapho Dinh
1 Nous pouvons citer parmi ses textes phares : Corps volatils (2007), L’avancée de la nuit (2017), Comme un ciel en nous (2021).
Exposition gratuite, ouverte jusqu’au 19 mai 2024, du mercredi au dimanche de 11h à 18h.
Le MO.CO Panacée sera ouvert le 18 mai en nocturne pour la Nuit européenne des musées.
Le 14 avril à 16h au MO.CO Panacée, Jakuta Alikavazovic propose une lecture/rencontre gratuite.