Marseille (AFP) – Après avoir rejeté des millions de tonnes de « boues rouge » toxiques, l’usine Alteo de Gardanne (Bouches-du-Rhône), leader mondial de l’alumine de spécialité, aurait continué à polluer le Parc national des Calanques avec ses rejets liquides, des faits lui valant désormais une mise en examen.
Alteo est soupçonnée d’avoir, à Gardanne et Cassis, entre le 1er janvier 2016 et le 31 décembre 2021, « laissé s’écouler dans les eaux de la mer dans la limite de la mer territoriale, directement ou indirectement, une ou des substances dont l’action ou les réactions ont même provisoirement entraîné des effets nuisibles sur la santé ou des dommages à la flore ou à la faune », a précisé le procureur de Marseille, Nicolas Bessone.
Plusieurs arrêtés préfectoraux autorisant l’entreprise à déroger temporairement aux seuils de toxicité pour ses effluents liquides en mer avaient pourtant été pris en 2015, 2016, 2018 et 2020, notamment pour sauvegarder plusieurs centaines d’emplois.
Malgré ce droit à polluer, Alteo ne serait donc pas rentrée dans les clous : ses effluents déversés en Méditerranée présenteraient toujours des taux de concentration trop élevés sur un ou plusieurs des paramètres visés par les arrêtés, parmi lesquels des métaux lourds comme le mercure, le zinc, le lithium, le cuivre ou encore l’arsenic.
Selon Le Monde, ces dépassements auraient notamment concerné le mercure et l’arsenic, avec au total 64 infractions constatées entre 2016 et 2021.
En 2020, l’entreprise se félicitait pourtant d’avoir atteint « ses objectifs de qualité d’eau (…) à l’échéance du 30 août 2020, conformément à l’arrêté préfectoral ».
Scandale environnemental
Sous la pression d’associations écologistes et à la suite d’un arrêté préfectoral de fin 2015, l’usine avait déjà dû cesser de déverser en mer ses rebuts solides de bauxite, la matière première de l’alumine, surnommés « boues rouges ». En 50 ans, l’usine avait rejeté au moins 20 millions de tonnes chargées d’arsenic et de cadmium.
Depuis, Alteo ne rejetait donc plus qu’un effluent liquide, à l’origine de cette mise en examen. Les rejets solides étaient eux stockés en plein air à Bouc-Bel-Air, près de Gardanne.
Mais près d’une dizaine de plaignants, dont le maire de la commune de Gardanne, des associations environnementales et des riverains de l’usine, avaient déposé plainte en 2018 pour « mise en danger d’autrui », évoquant un scandale sanitaire et environnemental. Leur souhait : faire cesser définitivement tous les rejets d’Alteo et la condamner pour la pollution passée.
« Alteo a pris acte de la mise en examen. Depuis son rachat en 2021, le site a opéré une transformation industrielle majeure, avec l’arrêt effectif du raffinage des bauxites. En outre, nous poursuivons activement nos efforts pour réduire notre empreinte environnementale », a estimé auprès de l’AFP le nouveau président de l’entreprise, Alain Moscatello. « Nous avons hérité d’un passif et nous nous efforçons de faire mieux, de faire bien », a-t-il ajouté.
Après avoir longtemps appartenu au groupe français Péchiney jusqu’en 2003, Alteo a régulièrement changé de propriétaires depuis : rachetée par le géant minier anglo-australien Rio Tinto puis par le fonds d’investissement américain HIG en 2012, elle appartient depuis 2021 — après son placement en redressement judiciaire en raison d’une baisse des commandes et d’une crise du marché mondial de l’aluminium — au groupe de logistique United Mining Supply (UMS) implanté en Guinée.
Créée en 1894, Alteo est la plus ancienne usine du monde d’alumine. Elle importe sa matière première principalement de Guinée pour fabriquer de l’alumine blanche, utilisée dans l’armement, l’industrie automobile ou la fabrication des téléphones portables.
AFP
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